Le masque 

Dans la Grèce antique, le terme "prosôpon" désigne le masque porté par les acteurs pour indiquer le rôle qu'ils jouent sur scène selon des normes bien définies : le héros, la veuve, le traître, l'émissaire, l'esclave...il est donc l'apanage du personnage public dont le rôle social masque l'individu. Dans la Rome antique la "persona" est plus une entité juridique dotée des droits et des devoirs identiques à tous. Seuls les citoyens on t droit au statut de "persona", les esclaves , les étrangers et les enfants en sont exclus. 

Aussi bien pour les Grecs que pour les Romains la notion d'individu est dénuée de toute portée humaniste. Pour eux le monde est formé de groupes inféodés à la Cité : Grecs et barbares ( c'est à dire non-Grecs ), hommes libres et esclaves, commerçants et guerriers. A partir du 2eme siècle avant notre ère les philosophes stoïciens développent le concept de "persona" en découvrant l' Homme derrière le masque. La sagesse des stoïciens consiste à savoir "habiter" ce masque. Pour cela le moi "intérieur"jouit de la liberté de choisir, non pas son rôle, mais de la manière de l'endosser, le rôle extérieur dépasse le masque et suggère l'individu derrière celui-ci. "Souviens-toi que tu es un acteur qui joue un rôle dans une pièce qui est telle que le veut le poète dramatique. Un rôle bref s'il veut qu'il soit bref, long s'il veut qu'il soit long. S'il veut que tu joues le rôle d'un mendiant, veille à jouer ce rôle avec talent, ou un boiteux, ou un magistrat, ou un homme ordinaire. car ce qui t'appartient c'est ceci : bien jouer le rôle qui t'a été confié, mais choisir ce rôle appartient à un autre ." affirme Epictète, le stoïcien latin à la fin du 1 er siècle.

La liberté dans la manière de porter le masque différencie l'Homme de l' animal. Sénèque y introduit un choix moral, une liberté de se rendre maître de soi tout en restant esclave de son destin que l'on soit esclave ou empereur : " Ne cesse pas, réalise ton oeuvre et joue le rôle de l'homme bon " ( des bienfaits ) et Epictète ajoute " Si tu veux être beau, jeune homme, travaille à acquérir la perfection propre à l'Homme. ". Une nouvelle notion est ainsi introduite induisant que , pour se réaliser, l'homme pour devenir pleinement homme nécessite un travail sur soi quel que soit le rôle extérieur qui lui est dévolu. Les stoïciens ont ainsi posé la première pierre d'une vision humaniste de l'être humain indépendante de son statut social, l'homme peut donc se réaliser grâce au libre-arbitre qui est l'apanage de son "moi intérieur".

Jésus développera et magnifiera ce concept en considérant et en insistant sur le caractère "sacré" de l'être humain et sa dignité en tant que fils ou fille d'un même père au regard duquel ils ont la même valeur. Il considère la courtisane, la femme adultère ou le collecteur d'impôts avec la même bienveillance ( provoquant la vindicte des pharisiens ) et délivre son enseignement souvent par des rencontres personnelles , la plus éminente étant peut-être l'entretien avec la Samaritaine dans lequel il prône, en conclusion, le culte " En Esprit et en Vérité " , condamnant de ce fait tous les dogmes, tous les rites, toutes les religions fondés sur la Lettre plutôt que sur l'Esprit. L'Histoire nous montre comment ce message a été trahi et ignoré par l'institution de "l'Eglise romaine" établie avec l'avènement de l'empereur Constantin.

Pour en revenir au masque, j'évoquerais seulement le drame de nos sociétés dites "modernes" dans le culte qu'elles rendent à la technologie et à la science plutôt qu'à la Vie dans ce qu'elle a de plus essentiel et transcendant. La majorité des humains ont perdu leur "âme", le lien qui les relie à l'étincelle qui entretient la Vie en eux, et ils prennent le "masque" pour leur véritable identité comme les personnages du" mythe de la caverne" de Platon, qui prennent les ombres portées sur le mur pour la réalité..

Cependant un sursaut de "spiritualité" semble éclore depuis quelques années, salutaire et salvateur car une étoile luit toujours au milieu des ténèbres. Suivons cette étoile dans le firmament de nos âmes et de nos coeurs et nous ne nous égarerons pas .

 
Rigobert