Le cocotier est loin de n’être qu’un arbre « d’argent » ; il est très souvent surnommé « arbre de vie » par la littérature scientifique (Ohler 1984) pour la multiplicité de ses usages tant alimentaires que domestiques ou sociaux à travers les mythes, la médecin locale et la magie.
La noix de coco est à la fois un fruit, un légume et un condiment. Elle est consommée comme fruit à un stade immature, vðs , pour sa chair gélatineuse immergée dans une boisson savoureuse et sucrée, et à un stade avancé de germination, sol, pour consommer l’haustorium, en particulier les fruits germés dénommés solvet (vet -, pierre) sélectionnés pour leur fermeté et leur saveur sucrée, ou solqёtqet, dont les fruits coincés entre les palmes commencent à germer sans être en contact avec la terre. L’haustorium de ce fruit est plus sucré, et la cavité du fruit est dépourvue d’eau.
L’Homme n’est pas le seul à rechercher cette douceur. Une fois la fleur fécondée, elle peut être attaquée au sommet de l’arbre par les roussettes (gërët, Pteropus anetianus), les loriquets à tête bleue (mès, Trichoglossus haematodus) et les rats (gösöw, Rattus exulans et R. rattus). De plus, les fruits germés ouverts constituent la base de l’alimentation des cochons domestiques de l’île et les résidus d’albumen sec râpés sont donnés aux poules.
L’unique bourgeon terminal du cocotier est un mets d’autant plus recherché que pour le consommer il faut sacrifier l’arbre entier. Il sert à préparer la « salade du millionnaire ». A Vêtoboso même si les villageois connaissent cet usage, ils ne le mettent pas en pratique car cela impliquerait l’élimination d’un jeune cocotier, les bourgeons des vieux étant trop difficiles d’accès.
Le lait de coco est extrait à partir de l’albumen râpé d’une noix mature ou meren. Il peut être mélangé à l’eau de cuisson ou versé pur dans les marmites où sont cuits les tubercules et des fruits coupés en morceaux ou râpés en boulettes. Il est indispensable dans les recettes de laplap cuit au four à pierre, et il est un des éléments fondamentaux dans la préparation du nalot. Même si les nangilles et les velles sont plus valorisées pour les nalot cérémoniels comme le löt nemerefi, une fête ou une cérémonie ne peut s’affranchir d’un des nombreux nalot au lait de coco depuis la colonisation et l’augmentation du parc à cocotiers qui s’en est suivie.
L’huile de noix germée est utilisée pour graisser les feuilles d’héliconia afin qu’elles n’attachent pas à la pâte de tubercules ou de fruits. On peut aussi la consommer telle quelle avec un morceau de taro.
L’ARBRE AUX MILLE USAGES
A chaque usage correspond une partie du cocotier : feuille, nervure, coque et bourre. Les palmes entières sont posées sur les toits en feuilles de sagoutier pour les protéger des cyclones. Si une partie du toit est emportée lors d’un cyclone, des palmes rapidement et sommairement tressées boucheront les interstices pour éviter que le vent, en s’engouffrant n’emporte le reste du toit. Tressées en nattes serrées, les palmes peuvent servir de toits pour les maison éphémères dans les jardins.
Les folioles souples situées à la pointe de la palme sont tressées en éventail. Les plus solides sont tressées en de nombreux paniers ayant chacun un usage bien particulier. Elles sont aussi séchées à l’intérieur des maisons pour allumer le feu du matin ou pour éclairer son chemin la nuit.
Les nervures des folioles sont assemblées en balais, et chacune d’entre elles est utilisée pour vérifier la cuisson d’un tubercule en train de cuire dans une marmite. Brûlant lentement, le stipe de cocotier est un bon combustible. Il est également utilisé comme pilier dans la construction des maison.
Les coques vides servent de récipients, en particulier celles qui sont allongées et pointues car elles peuvent ainsi être plantées dans la terre par le buveur de kava. Les coques permettent de râper l’épiderme des cormes de taro, de creuser le four à pierre. Elles servent également comme combustible donnant à la nourriture, comme le poisson ou l’igname nummulia un goût et une texture particuliers.
La bourre de coco sert de passoire pour filtrer les débris de racine de kava ou les débris d’albumen du lait de coco. On peut s’y sécher les mains et l’utiliser comme papier hygiénique.
Les nervures des palmes ou la bourre de coco étaient jadis tressées en corde. La corde en bourre imputrescible, était particulièrement prisée pour l’amarrage des canots et reste aujourd’hui le moyen de ligaturer le bout pointu des flèches.
La noix (sous la bourre) sèche et vide sans qu’elle ne soit brisée, est utilisée comme diffuseur de feuilles magiques, par exemple enfouie à l’entrée des bassins de taros pour éliminer les ravageurs. Le cocotier magique par excellence est celui qui, immature, a un anneau rouge autour de l’attache du pédoncule au-dessus des pores de germination/ l’eau de ce type de cocotier est en général utilisée comme excipient pour un ensemble de recettes magiques, en liant un ensemble de feuilles de diverses espèces permettant ainsi à l’homme ou à la femme malade d’assimiler les substances médicales. Du temps de la hiérarchie du soq, l’homme qui passait son premier grade, ne pouvait pas entre autre, se laver pendant 100 jours alors qu’il était enfermé dans le nakamal. A sa sortie, il devait se laver avec un seul fruit du stade mët, (contient de l’eau mais pas encore d’albumen) bouchée par des galets de la plage, des feuilles magique sont enfermées. Lorsque la marée est haute, cette noix doit être discrètement et invisiblement enterrée à la limite de la ligne d’eau. Cinq jours plus tard, en montant au sommet d’un arbre, on peut observer l’arrive des poissons par le noircissement de la mer. Pour les stabiliser près du rivage, des algues consommables ont multipliées sous l’action d’une autre feuille jetée dans la mer.
Si un enfant ne sait pas bien marcher, la mère le présente à un cocotier dont les folioles bougent tout le temps même lorsque le vent s’arrête, le cocotier môtô lak. Le père agite de haut en bas des folioles de cocotier devant puis derrière l’enfant.
Si quelqu’un a besoin d’avoir un discours fécond, « s’ouvrir le gosier » en bichlamar, il doit boire l’extrait, filtré dans les tissus fibreux du cocotier, de huit folioles de ce même arbre écrasées à la pierre et mélangées à de l’eau de mer. Avec les débris végétaux, le corps doit être frotté deux fois devant et deux fois derrière. Puis, ces débris sont jetés dans la quatrième vague pour que le corps puisse prendre la force de celle-ci. Plus qu’un discours prolifique, on acquiert ainsi la possibilité d’être un manar « La personne qui sait » les danses coutumières et les rites, mais aussi l’ensemble de la flore et de la faune.
En mars 2002, un couple de Vétuboso a fait appel à un « sorcier » de Santo car les deux se plaignaient de maladies chroniques. Le sorcier trouva deux récipients en bourre de coco contenant de la craie, un crâne miniature sculpté, des débris d’os humain et de la cendre : cette « recette » a été empruntée à des habitants de Pentecôte. L’un était enfoui dans la terre, sous le lit de leur maison sur pilotis. Le deuxième était enterré sous un cocotier que le propriétaire malade avait plané. Pour expliquer ce geste, des habitants du village m’expliquèrent que le cocotier symbolise l’Homme avec ses fruits en forme de visage : les deux pores non germinatifs représentent les yeux et le pore germinatif la bouche à travers de laquelle on peut s’abreuver. Si le « sorcier » n’avait pas trouvé le paquet magique en bourre de coco, alors la mort de l’arbre aurait précédé celle de l’homme qui l’avait planté.
Sur Mota Lava, la noix de coco peut également être utilisée comme châtiment : lorsqu’une personne manque de respect même par inadvertance, à sa tante paternelle, elle doit manger une noix de coco souillée par de la terre (Lanouguère-Bruneau 2002). A Ambae, les esprits des Hommes morts s’abritent au sommet des arbres et des cocotiers (Rodman 1995).
EXTRAIT de la Thèse de Sophie Caillon (2005) repris par Francesca
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