Le Bouddhisme au quotidien ...conférence donnée à l’Auditorium du collège de Margencel

Je vous souhaite Tashi Delek, en tibétain c’est une formule auspicieuse. Je suis très heureux d’être parmi vous ce soir.

Je vais essayer d’évoquer certains conseils de la tradition bouddhique pouvant être appliqués au quotidien par le commun des mortels et des gens de toutes les traditions. Je tenterai d’expliquer comment développer un esprit plus détendu, à l’aise, un esprit heureux tous les jours, et comment développer un état d’esprit positif dès le matin au réveil.
Après cela nous donnerons une place importante à la session de questions/réponses qui peut nous permettre d’éclaircir certains points ou d’aborder des sujets plus personnels.

Pour tout ce qui concerne les émotions comme la joie, la détente intérieure, etc, le point fondamental est l’esprit. Je vais donc tenter d’évoquer la notion d’esprit et j’accorderai une place importante à vos questions.

Selon la vue propre au bouddhisme, le monde tel que nous le connaissons est constitué de deux aspects, l’aspect matériel comme les maisons, les éléments, etc, c’est-à-dire tous les phénomènes matériellement constitués. Et d’un autre côté la vie consciente habite le monde inanimé. Lorsqu’on parle de vie consciente, la vision bouddhiste évoque six différents mondes :
-  le monde divin
-  le monde des demi-dieux
-  le monde des enfers
-  le monde des esprits affamés
-  le monde des animaux
-  le monde des humains qui nous concerne plus particulièrement

Les êtres conscients, et en particulier les êtres humains, cherchent à atteindre une certaine forme de bonheur et cherchent à s’éloigner le plus possible de toutes les formes de souffrance connue.
Pour atteindre le bonheur il est bon d’en connaître les causes afin de les cultiver. Et de la même façon pour éloigner la souffrance il faut en connaître les causes. Avec cette compréhension il est donc possible d’éliminer les causes de la souffrance et par conséquent la souffrance elle-même.

En ce qui concerne la félicité ou le bonheur, on parle d’un bien-être corporel ou matériel, et d’un bien-être mental ou une paix de l’esprit. Pour la plénitude matérielle, il suffit simplement de réunir les conditions favorables telles que les possessions, un certain confort, etc. Mais pour atteindre la paix de l’esprit les conditions extérieures sont moins importantes, elles ont moins de portée pour atteindre la plénitude intérieure dont les causes résident dans la conscience elle-même, dans l’esprit lui-même.

Pour ce qui est du bien-être physique, on parle plus particulièrement de certaines pratiques qui peuvent (ré)instaurer un équilibre dans les constituants corps, comme certaines formes de yoga ou d’exercices physiques. Pour l’esprit l’équilibre intérieur peut être apporté par certaines pratiques méditatives comme la concentration mentale ou d’autres pratiques permettant d’éliminer les émotions négatives, il s’agit alors d’équilibre intérieur ou de plénitude de l’esprit due à un entraînement spirituel comme les différentes étapes de la concentration mentale. Donc pour l’esprit, les techniques sont beaucoup plus nombreuses.
La vie de Djétsun Milarépa, le grand yogi et poète tibétain du XIème siècle, reste encore un exemple
pour de nombreuses personnes. Quand il était jeune il avait eu des accointances avec la sorcellerie et avait causé la mort de nombreuses personnes. Il a ensuite rencontré son maître, Marpa, qui lui avait permis d’éliminer ses émotions négatives, ses facteurs mentaux négatifs. Et au terme de nombreux 
efforts en méditation et l’application des instructions de son maître, il a fini par atteindre l’omniscience d’un Bouddha et il a enseigné de nombreuses manières possibles, surtout à travers ses chants et poèmes. Dans l’un de ses chants de réalisation, il dit : « Si l’on n’a pas de bonheur intérieur, si l’on n’a pas l’esprit en paix, les possessions extérieures peuvent alors même devenir la cause de notre souffrance. » Cela veut dire que l’esprit est prépondérant. Même si nous avons des possessions, une situation élevée, etc, si notre esprit n’est pas en paix, les conditions extérieures n’apporteront aucun bien-être et ne serviront donc à rien.
Parmi d’autres enseignements donnés par Milarépa, un passage dit que si nous ne possédons pas une forme de contentement, alors le bonheur ne pourra jamais advenir. C’est pourquoi il est important de développer un certain contentement vis-à-vis de nos possessions extérieures, de réduire notre attachement, nos désirs, et de faire en sorte que ces désirs soient aisément satisfaits afin de ne pas toujours courir après les objets de nos désirs.

Prenons l’exemple de la soif. Lorsque nous avons soif nous buvons un verre d’eau, et une fois notre soif étanchée si nous continuons à boire nous subirons alors une forme de souffrance. Notre estomac va commencer à protester. C’est pour cela que le sentiment de contentement est important, sinon nous penserons continuellement que nous avons besoin de ci, de ça, etc. Et nous finissons par créer des besoins que nous n’avions pas auparavant. Ce sentiment de contentement nous permet donc de conserver une certaine paix de l’esprit, et même une forme de bonheur intérieur durable au lieu de courir constamment après les phénomènes extérieurs.

Le sentiment inverse du contentement peut être désigné sous le terme de jalousie ou plutôt d’envie. On envie les possessions d’autrui, on cherche à avoir exactement la même chose que les autres, voire encore mieux qu’eux. C’est un sentiment qui n’a pas de fin. Même si on est satisfait une première fois par tel ou tel objet, on peut avoir envie d’un autre objet, le dernier sorti, la meilleure technologie, etc, alors que le sentiment de contentement permet de réduire cette sensation d’envie ou de jalousie.

Il est facile de comprendre que les émotions négatives telles que l’envie, l’attachement, la colère, l’aversion, etc, envahissent notre esprit.
Prenons l’exemple d’un verre d’eau. L’eau, par nature, est claire, mais elle peut être mêlée à des sédiments ou à de la boue. Si on les mélange, les deux vont sembler d’une même nature. On va penser que l’eau par nature est boueuse. Mais si on laisse reposer cette mixture, la boue va lentement se déposer dans le fond du verre, et l’eau retrouvera alors sa clarté naturelle.
Il en est de même pour l’esprit. Même si, d’une manière générale, notre esprit est envahi par la jalousie, la colère ou l’envie, sa nature même est clarté et luminosité. On retrouve la nature de l’esprit si on applique certaines techniques appropriées. Il est donc possible d’évacuer les émotions négatives.

Lorsqu’on voit une personne qui blesse quelqu’un d’autre, on peut penser que c’est la personne toute entière qui est malveillante. Mais il est important de distinguer l’esprit lui-même des facteurs mentaux qui peuvent l’envahir. Comme dans l’exemple de l’eau et de la boue qui sont deux entités différentes, on ne peut pas réduire l’une à l’autre. C’est la même chose pour l’esprit et les facteurs mentaux négatifs comme la colère. L’esprit lui-même possède sa nature, sa propre clarté, même s’il peut temporairement être sous l’emprise de la colère, de la malveillance, etc.
Lorsque l’esprit est envahi par la colère, les deux possèdent une certaine base commune. On ne trouve pas la colère en dehors de l’esprit bien sûr, mais l’esprit ne peut pas se réduire à la colère elle- même. Lorsqu’on perçoit quelqu’un comme un ennemi, comme une personne hostile, on peut chercher à lui faire du mal. Ce n’est pas notre esprit lui-même qui cherche à blesser les autres, c’est la colère naissant dans notre esprit qui est la cause de tout cela.
Au lieu de la boue, on prend souvent l’exemple du lait : si on mélange du lait à de l’eau, l’eau devient blanche, mais en fait ce n’est pas l’eau qui est blanche c’est le lait qui est dans l’eau. Si quelqu’un

cherche à blesser une autre personne, ce n’est pas son propre esprit qui est le maître de tout cela, mais c’est la colère qui devient maître de son esprit. Le véritable responsable est la colère. Il est important de distinguer les deux. En logique on parle de trois possibilités :
-  Il ne peut pas y avoir de colère sans esprit, parce que la colère est un facteur mental
-  Il peut il y avoir un esprit sans colère, donc un esprit bienveillant
-  Il peut il y avoir l’absence des deux comme la matière

On peut trouver une raison pour démontrer que la colère n’est pas l’esprit lui-même, qu’elle fait partie de l’esprit mais n’est pas l’esprit. Par exemple lorsqu’un bébé naît, il a assez peu d’émotions négatives, il n’a pas les mêmes émotions que nous comme l’orgueil ou les formes d’aversion extrême que nous pouvons développer. D’après la théorie des renaissances on dit qu’il a certaines empreintes mentales issues de ses vies passées, mais les empreintes et les émotions manifestes ne sont pas la même chose. Lorsque le bébé grandit et devient un adulte on peut observer des changements dans son esprit, il peut développer plus d’aversion ou plus de bienveillance, etc. Cette fluctuation des émotions négatives sur la base d’une vie humaine montre que l’esprit n’est pas lui-même la colère ou l’aversion. Si c’était le cas on verrait tous les bébés être en colère dès leur naissance. Ils auraient de l’aversion et de la colère envers leur propre mère et tous les êtres, ce qui n’est pas du tout le cas. Cela montre que la colère, la haine, l’aversion ou les autres émotions négatives n’ont pas autant de force et ne sont pas manifestes dans l’esprit d’un bébé. Et c’est la preuve montrant que la colère et l’esprit participent d’une même base mais ne sont pas identiques.
Si quelqu’un vient nous insulter, c’est une condition extérieure qui fait que la colère ou l’aversion advient dans notre esprit. Mais sans conditions extérieures l’esprit n’a aucune raison de développer la colère ou d’autres émotions ayant pour nature de le perturber. Même si nous possédons des empreintes issues de nos vies passées, les émotions manifestes comme la colère, l’orgueil, etc, ne possèdent pas de continuité par elles-mêmes, c’est notre esprit qui les favorise, qui les détermine, mais ces émotions, ces facteurs mentaux n’ont pas de continuité en soi.

Lorsqu’on prend l’exemple de la colère ou de l’aversion, celles-ci possèdent chacune un antidote direct : l’antidote de la colère est la patience. Il est important de méditer ou de cultiver la patience dans notre propre esprit sinon les problèmes n’ont aucune chance de se régler. Par exemple quand deux personnes sont en colère, si aucun antidote n’est appliqué cela peut parfois finir très mal. Il est important de voir que la colère en soi ne naît pas, elle est. Si nous avons un conflit avec quelqu’un, nous pouvons nous dire que nous sommes nous-mêmes la cause de la colère de l’autre, nous pouvons avoir fait une erreur, ou avoir dit quelque chose de déplaisant, etc. Si nous développons ce sentiment de patience vis-à-vis de l’autre personne, non seulement nous réussirons à apaiser notre colère mais aussi celle de l’autre par la même occasion. Si nous comprenons les choses ainsi, et si nous développons la patience, par exemple en nous excusant, l’esprit de la personne en question ainsi que le nôtre vont donc se calmer.

Il est dit dans certains textes enseignés par le Bouddha que le fruit de la patience cultivée au cours de cette vie apportera des fruits positifs dans la vie suivante. La personne aura une voix agréable à entendre, un corps agréable à voir, un certain pouvoir vis-à-vis des autres. C’est pourquoi il est important de cultiver la patience, non seulement afin d’en bénéficier dans cette vie présente mais aussi dans celles à venir, pour ceux qui adhèrent au principe des renaissances.
Cette méditation sur la patience ne peut pas porter de fruits immédiats. Il serait assez peu réaliste de penser qu’on sera tout le temps patient après avoir médité seulement cinq minutes sur la patience. L’entraînement de l’esprit se fait petit à petit. Au début on réussira sans doute à se calmer, mais peut-être pas à chaque fois ; cependant, avec le temps les choses s’adouciront, notre esprit gagnera en force et nous réussirons à développer la patience dans toutes les conditions.

Ici il était donc question de la patience, mais on peut aussi évoquer la persévérance. C’est une forme d’enthousiasme à pratiquer la vertu et éviter les actes négatifs, les actes qui portent préjudice tant 
aux autres qu’à nous-mêmes. Cette persévérance quant à l’accomplissement de la vertu fait partie des six Perfections (Paramita) enseignées dans le Véhicule universel du Bouddhisme (le Mahayana), et qui peuvent être pratiquées par les bouddhistes comme par les non-bouddhistes. Il s’agit de pratiquer la générosité, la patience, l’éthique, la persévérance, la concentration et différents types de sagesse. Grâce à ces pratiques le fruit ultime ne sera pas forcément l’état de Bouddha, mais à court et moyen terme on peut obtenir plus de paix intérieure. Certains textes décrivent les fruits particuliers de chaque Perfection, comme par exemple dans le cas de la générosité entraînant des possessions dans des vies suivantes. Donc la pratique des six Perfection engendre des fruits éminemment positifs.

Le fruit ultime de la pratique de l’éthique est de renaître sous forme humaine. On parle de trois causes de la renaissance humaine :
-  l’éthique (et les autres perfections évoquées précédemment)
-  les prières altruistes (les vœux que l’on fait pour renaître sous forme humaine afin d’être bénéfique aux autres)
-  la troisième cause étant l’abandon des dix non-vertus effectuées par le corps, la parole et l’esprit. Les trois non-vertus corporelles sont : prendre la vie, voler, c’est-à-dire prendre ce qui ne nous appartient pas, et avoir une conduite sexuelle négative comme prendre femme de quelqu’un par exemple.
Les quatre actes non-vertueux de la parole sont : mentir, diviser ou calomnier, avoir des mots durs ou blessants, et bavarder à mauvais escient.
Les trois non-vertus de l’esprit sont : l’attachement (ou désir obsessionnel), l’aversion et l’ignorance.

Pour en revenir à l’ordre habituel des six Perfections, il était d’abord question de la patience mais c’est la deuxième Perfection car la première est la générosité, ensuite vient donc la patience, puis l’éthique, et la persévérance.

Nous arrivons donc maintenant à la concentration. Il y a différents termes qui évoquent la concentration, mais là il s’agit d’avoir un esprit qui demeure sur un objet.
La pratique de la concentration apporte des fruits dans la vie quotidienne, car elle offre la possibilité d’avoir un esprit clair et attentif à ce que l’on fait. Les deux obstacles principaux à la concentration sont la torpeur et l’agitation. L’antidote à la torpeur est l’attention, une attention claire, aigüe et fraiche. L’antidote à l’agitation est l’effort renouvelé. Grâce à l’attention et une forme de persévérance dans la concentration, il est donc possible d’éliminer les deux obstacles à l’absorption méditative, qui sont la torpeur et l’agitation mentale.
Différentes étapes permettent à l’esprit de cultiver l’acuité et la clarté ; la première concentration, la deuxième concentration, etc. Elles sont très détaillées dans les textes. Cette forme d’habitude permet à l’esprit de pacifier les obstacles de l’attention. Une fois qu’on a développé un état d’esprit proche de la pacification mentale, on peut sur cette base développer la vision pénétrante (ou vision supérieure) étant une forme d’esprit qui appréhende la réalité même des choses qui nous entourent, et de notre propre identité.

La sagesse, la dernière des Perfections que l’on peut pratiquer au quotidien, est un état de conscience qui appréhende clairement ses objets et qui en détermine les caractéristiques, les fonctions, etc. C’est une forme d’esprit qui voit la nature même des phénomènes qu’il appréhende. Cette sagesse nous permettant de connaître les objets apparents (comme l’impermanence grossière) de façon claire et valide est très importante dans le bouddhisme, car cette forme de réalisation conceptuelle concerne également les phénomènes qui ne sont pas directement perceptibles, comme l’impermanence subtile des phénomènes (par exemple le fait que les atomes qui constituent un coussin changent continuellement). Nous ne les percevons pas de manière directe avec nos sens, mais c’est par l’utilisation de concepts logiques, de raisons valides, que nous pouvons accéder à la réalité de ces phénomènes.

On dit souvent dans le bouddhisme que la cause de tous nos problèmes est l’ignorance qui nous fait appréhender les choses ainsi que nous-mêmes comme existant de manière intrinsèque. L’antidote à cette ignorance fondamentale est la sagesse qui réalise le non-soi ou l’absence d’identité intrinsèque de notre personne et des phénomènes. On voit par exemple que sur la base de nos caractéristiques on attribue faussement une identité inhérente, un soi. Par exemple, d’après les textes, un être humain est constitué de cinq agrégats tels que les formes, les sensations, les perceptions, les formations mentales et les consciences (visuelle, sensorielle, auditive, etc.). Sur la base de ces constituants on impute la notion de personne. Donc, sans les agrégats il n’y aurait pas de personne devant nous. C’est la même chose pour une maison où on peut distinguer des portes, des fenêtres, des murs, les fondements, un toit, etc, mais si on ôte chacune de ces caractéristiques on ne trouve plus du tout de maison.
C’est donc sur la base des caractéristiques que l’identité conventionnelle peut-être attribuée. Mais les choses et les personnes sont dénuées d’existence intrinsèque. Et la sagesse qui, au premier abord, est conceptuelle ou discursive, nous permet grâce à la raison valide, à la logique, d’accéder à la réalité des choses et donc d’éliminer les obstacles empêchant une connaissance directe et valide des choses ; celle-ci étant l’antidote à l’ignorance qui engendre tous nos soucis.

Revenons alors à cette sagesse qui réalise l’absence d’identité intrinsèque.

Un mot très simple est synonyme d’identité intrinsèque, c’est l’ego. Cet ego qui nous fait accomplir d’innombrables actions négatives pour notre propre profit.
Pour déconstruire cette notion d’ego on peut prendre l’exemple du thé indien (le Tchaï). Il n’a pas du tout d’existence propre car si on enlève l’eau chaude, les épices, les feuilles de thé, le sucre et le lait, il n’y a plus du tout de thé indien devant nous. On voit bien que l’objet lui-même, ici le Tchaï, dépend de ses propres caractéristiques, de ses propres constituants. Il en va de même pour nous ; si on enlève l’esprit et le corps, où est la personne ? Si on la cherche on ne la trouvera jamais. C’est pourquoi la sagesse qui analyse les choses, qui critique l’ego semblant aller de soi, nous permet d’atténuer petit à petit cette saisie quant à notre propre identité, et permet d’amoindrir la notion selon laquelle « s’il y a moi et les autres, il y a forcément antinomie entre moi et les autres ». A cause de cette inclination innée du soi, nous voulons tout faire pour satisfaire nos propres envies, nos propres désirs au détriment de tous les êtres qui nous entourent.
Cette sagesse qui réalise l’absence d’identité intrinsèque nous permet donc à la fois de réduire notre sentiment égotique, et en même temps de développer la plénitude, la joie, bref, la paix de l’esprit. Nous nous débarrasserons progressivement de ce fardeau de l’ego qui nous fait accomplir tant d’actions négatives.

Questions/Réponses

Q.  : Pour un enfant qui perd ses parents et qui est en colère, quel est l’antidote ?

R.  : L’une des meilleures façons de faire est de ne pas laisser l’enfant seul avec sa colère, et de le soutenir de notre mieux, avec bienveillance et attention.
Lorsqu’il aura grandi, étudié et que son esprit aura davantage la possibilité de comprendre les choses, à ce moment là on pourra essayer de lui indiquer différents éléments de réponses possibles pour expliquer ce qui est arrivé. Ca sera alors à lui de faire son choix. Mais il est vrai que, dans l’immédiat, l’aide qu’on peut lui apporter en l’entourant avec attention et chaleur peut permettre d’éviter la colère chez l’enfant.
Un enfant qui est en colère à cause de la perte de ses parents souffre énormément, et sa colère a une raison ; elle vient de sa souffrance. On ne peut pas lui demander d’oublier tout cela, ce n’est pas possible. Bien sûr il aura besoin d’être heureux et de trouver une résilience par rapport à tout ce qui s’est passé, il aura une envie de faire quelque chose, d’être heureux, et c’est aussi notre rôle de lui apporter de l’aide, de la compréhension, de l’attention, etc.

Q . : Ma question est au sujet des six mondes. Si j’ai bien compris il y a les trois mondes inférieurs et les trois mondes supérieurs. Dans les mondes inférieurs il y a le monde des enfers, celui des esprits avides et celui des animaux. Et dans les mondes supérieurs il y a le monde des dieux, celui et demi- dieux et celui des humains.
En somme, nous avons tous la chance de vivre dans le monde des humains, mais est-ce qu’on peut estimer que, au cours d’une même journée, on puisse passer d’un monde à l’autre et expérimenter les six mondes ?
Lorsqu’on éprouve de la colère, est-ce qu’on se trouve dans le monde des enfers ?

R. : En effet, parfois les six mondes sont comparés à ce qu’on peut vivre dans une journée. Une personne en colère peut expérimenter ce que peut vivre un être dans les mondes infernaux. Mais en fait il est expliqué que pour un individu qui renaît dans les enfers, son esprit brûle constamment et éprouve de grandes souffrances. Lorsqu’une simple étincelle touche notre doigt nous crions de douleur, mais on ne peut pas imaginer les souffrances bien plus terribles éprouvées par les êtres des mondes infernaux.
Lorsque nous sommes en colère, notre esprit bouillonne, nous ne sommes pas à l’aise, nous voyons tout en noir, etc, ça peut être similaire à la souffrance des êtres dans le monde des enfers, mais pas identique.
La souffrance ressentie dans un instant de colère est difficilement comparable avec les souffrances qui sont éprouvées par les êtres infernaux. Certains exemples peuvent servir à illustrer les souffrances qu’on peut connaître dans les enfers, mais il est difficile de comparer les deux situations. On distingue différents types d’enfer dans la cosmologie bouddhiste, les enfers chauds, les enfers froids, les enfers périphériques, etc. Quand on renaît dans les enfers c’est généralement pour un temps assez long, qui ne peut même pas être compté en milliers d’années, mais en milliards d’années, parce que les karmas qui engendrent ces naissances infernales sont vraiment très lourds. Si quelqu’un naît dans un enfer et qu’il doit souffrir d’une mort violente, comme un écrasement par exemple, il ne va pas tout de suite s’en aller dans les mondes supérieurs, mais il va reprendre à nouveau un corps mental qui sera encore écrasé, puis une fois encore, et encore... Ces souffrances sont donc difficilement supportables. Si nous nous piquons avec une épine de rose c’est déjà douloureux, mais pour les esprits des mondes infernaux la souffrance est multipliée par un nombre beaucoup plus important et dure continuellement, jusqu’à épuisement du karma en question.

Q.  : Pour beaucoup d’occidentaux évidemment le non-désir est une notion qui est difficile à intégrer. Est-ce qu’il n’y a pas, peut-être, une contradiction entre le non-désir et la non-ignorance. C’est-à-dire que plus on connaît de choses et plus on découvre des domaines dans lesquels on peut s’épanouir et qui entraînent des désirs pouvant être justifiés. On peut comprendre qu’il y a des désirs superflus bien sûr, mais on peut quand-même compter dans l’échelle des désirs par la connaissance.
Est-ce que ce sont des notions qui sont évolutives suivant le temps et suivant les cultures ?

R.  : Oui, il arrive parfois qu’on entende dans les enseignements bouddhiques la notion de non-désir. Mais en fait c’est une interprétation extrapolée de l’absence de désir obsessionnel qui est vraiment un cas particulier, c’est la fait de vouloir satisfaire seulement son propre ego. Alors que, comme vous le dites, il y a des désirs tout a fait justifiés. Désirer aider les êtres, désirer que les gens soient en paix et libérés de la souffrance, désirer tout faire pour que le monde soit en paix, etc, relèvent d’une motivation très positive et même nécessaire. Mais le désir obsessionnel dont on parle en général est plutôt quelque chose de néfaste qui ne sert que l’individu et lui seul.
Par exemple, Sa Sainteté le Dalaï Lama insiste beaucoup sur l’aide qu’on peut apporter aux autres. C’est une volonté, un désir très fort de porter secours aux êtres, d’apporter du bien, etc. Mais vouloir satisfaire son propre désir nous fait courir à notre propre perte parce qu’aucune personne ne peut se suffire à elle-même, tous les êtres sont interdépendants. Vouloir ou désirer le bien des êtres et la source même de toutes nos qualités.
Etait-ce cette forme de désir dont vous parliez ?

Q.  : C’est sûr qu’il y a des confusions sémantiques ; désir, besoin, ambition... Evidemment si vous faites référence au désir qui est essentiellement dirigé vers son propre bonheur égoïste ou l’accumulation de biens matériels quelquefois inutiles, je peux comprendre ce que vous voulez dire. Mais quand on dit « désir », éventuellement ambition, si vous voulez altruiste, ça peut aussi entraîner des tensions puisqu’on veut bien faire, mieux faire, chercher des moyens pour le faire, donc on est entraîné dans une spirale ; ou, si vous voulez, aussi des initiatives qui, peut-être quelquefois, vont à l’encontre de la sérénité. Il y a aussi ces désirs même lorsqu’ils sont portés vers les autres qui peuvent quand-même entraîner une certaine tension.

R.  : Vous avez tout à fait raison. C’est aussi pourquoi Sa Sainteté le Dalaï Lama insiste beaucoup sur l’union des moyens habiles et de la sagesse. On dit : « l’enfer est pavé de bonnes intentions », et c’est justement le sujet en question. On peut vouloir aider les êtres mais ne pas savoir comment faire, ou ne pas le faire au bon moment, envers la bonne personne, etc. C’est pourquoi il est important d’unir l’intention altruiste, ce désir d’apporter de l’aide, au bon sens ou à la sagesse. Savoir quand accomplir les choses, comment, pour qui, etc, nous permet d’éviter des dégâts inutiles.
Sa Sainteté insiste aussi beaucoup sur le sentiment de contentement qui est parfois mal interprété. Il faut savoir se contenter de nos possessions, de ce que nous avons accumulé, mais ne jamais se contenter des bienfaits que nous pouvons apporter. Il y a toujours des nuances à apporter dans les enseignements qui sont donnés.

Q.  : J’ai le cas d’un enfant qui est très agité, et on est à la recherche de l’outil ou de la pratique pour pouvoir l’accompagner. Il a sept ans. Je suis son oncle et, de l’extérieur, je ressens des choses. Est-ce qu’on peut accompagner un enfant pour l’aider à sortir de l’agitation et l’orienter vers plus de concentration, de paix, de calme ?

R.  : Il peut il y avoir plusieurs causes à l’état d’agitation de votre neveu. Il est d’abord important d’essayer de trouver, avec l’aide de professionnels, quelles peuvent en être les causes. Voir si cela vient simplement de son jeune âge, car peut-être qu’à dix ou quinze ans, son esprit va commencer à se calmer spontanément, simplement en grandissant.
Cela peut aussi être la conséquence d’une maladie, ou le cas des enfants hyper-agités, qui peuvent être des surdoués... ce n’est pas garanti, mais ça peut arriver !
L’enfant peut ressentir le besoin de se confier. La chance que vous avez c’est qu’il y a une relation de respect entre vous deux, ce qui peut vous permettre de l’aider et de trouver la cause de son état d’agitation. Il est possible aussi que ce ne soit pas grave et que cela passe plus ou moins rapidement. C’est à vous de voir au fil des jours comment la situation évolue.

Q.  : J’aimerais savoir, pour vous bouddhistes, d’où viendrait la dépression et que diriez-vous à quelqu’un qui est dépressif ?

R.  : Les Maîtres tibétains se sont rendu compte qu’en Occident c’est un phénomène assez répandu, et bien que ce ne soit pas forcément inexistant dans la culture tibétaine, c’est quand-même plus rare. Dans ce cas, comme dans bien d’autres, il faut toujours essayer de trouver la cause de la dépression. Ca peut simplement être un désordre corporel, ça peut provenir du cerveau, une carence de certains éléments. Si c’est plus profond, provoqué par une séparation par exemple, des techniques peuvent régler certains aspects de la dépression. On peut développer et cultiver l’amour bienveillant, la compassion, ouvrir l’esprit sur les autres personnes qui souffrent du même problème ou de problèmes encore pires. Cela permet de moins s’appesantir sur sa propre personne. Cette ouverture d’esprit nous aide à avoir un esprit plus léger et plus attentif aux autres, ce qui peut régler beaucoup de choses.
La méditation sur l’amour et la compassion peut vraiment aider.

Q.  : Est-ce que vous ne pensez pas que la colère puisse être parfois salvatrice et justement faire avancer vers autre chose, qu’elle puisse être bonne pour l’être humain et qu’il faut avancer pour essayer de se sortir de certaines situations.

R.  : Dans le bouddhisme on évite d’être catégorique, et nous disons souvent « ça dépend ». Ca dépend de la situation, du contexte. La colère est généralement une émotion négative qui nous fait commettre des actions négatives. Par exemple si quelqu’un nous insulte nous pouvons vouloir nous battre, jusqu’à sortir le couteau, etc, et cette attitude peut donc entraîner de graves conséquences. Mais dans certaines situations, ça peut-être différent. Par exemple, si votre enfant est attaqué par quelqu’un vous allez immédiatement réagir avec force, colère et même violence. Mais votre colère aura une base de compassion car vous aurez envie d’aider quelqu’un, en l’occurrence votre enfant. Il est donc toujours important de distinguer un contexte par rapport à un autre.

Q. : Pour s’aider soi-même déjà. Pour pouvoir avancer et se sortir de certaines situations...

Généralement la colère peut entraîner des conséquences négatives, mais la motivation, l’intention est primordiale. Si notre intention est de nous sortir d’une situation difficile ou d’aider quelqu’un, à ce moment-là la colère ne sera pas forcément négative. C’est l’intention qui détermine, qui colore, l’émotion en question. Il faut toujours prendre garde à l’intention, à la motivation avec laquelle nous nous servons d’une émotion pour agir, ou pour se sortir de telle ou telle situation.
La nature même de la colère, sa racine, à quelque chose de néfaste parce qu’elle perturbe l’esprit qui n’est plus vraiment attentif à ce qu’il fait, il ne distingue plus vraiment les choses. On peut simplement crier dans la rue en dérangeant les gens, on peut vouloir se battre contre tout le monde, même envers ceux qui veulent nous aider, etc. Notre esprit n’est alors plus très discernant quand la colère surgit. Mais dans certains contextes elle peut être utile. C’est comme un poison que l’on utilise pour fabriquer un sérum qui va lui-même neutraliser le poison.
Il faut vraiment prendre garde au contexte et surtout à l’intention, parce que si on utilise un poison à mauvais escient on risque de se détruire soi-même.

Q.  : Est-ce qu’on peut en conclure que pour un bouddhiste la colère des Tibétains contre l’impérialisme chinois est justifiée ?

R.  : Je ne pense pas que la plupart des Tibétains soient en colère contre les chinois. Bien sûr certains, surtout quelques groupes de jeunes tibétains à l’intérieur du Tibet et parfois à l’extérieur, peuvent être plus véhéments face aux chinois. Mais la plupart des Tibétains, comme le gouvernement en exil et le Dalaï Lama, ont une vision très réaliste des choses et savent que rien n’arrive sans cause. D’après la loi de causalité et la conception des renaissances, les Tibétains pensent qu’ils ont accumulé des karmas négatifs dans les vies passées et que, grâce aux Chinois, ces karmas négatifs peuvent arriver à maturation dans cette vie présente, leur donnant ainsi l’occasion de purifier ces karmas négatifs.
Bien sûr, c’est une vision totalement différente de celle qu’on trouve en Occident, mais c’est ce qui leur permet de conserver un certain degré de compassion envers les Chinois qui sont à leur tour en train d’accumuler des karmas négatifs, alors que les Tibétains sont en train de purifier leur karma négatif.
Mais la colère peut advenir chez un Tibétain qui voit ses parents assassinés, ou s’il est forcé par un soldat chinois d’assassiner ses parents, et cette colère est tout à fait compréhensible.
Mais la plupart des Tibétains ont un autre regard sur ce qui advient et peuvent régler la situation par la non-violence et la compassion.

Q.  : C’est une question sur cette loi de causalité, de karma et de renaissances.
Si j’ai bien compris, lorsqu’on s’observe, qu’on s’analyse, on voit qu’on n’existe pas, il n’y a pas de nous, le soi n’existe pas. Si on enlève le corps et l’esprit il n’existe rien. Donc finalement qu’est-ce qui renaît, qu’est-ce qui revient ? C’est quoi ? On ne peut pas imaginer que c’est la même personne qui revient indéfiniment. Je ne comprends pas très bien.

R.  : Lorsqu’on dit que la personne n’a pas de soi, on dit qu’elle n’a pas d’existence intrinsèque, mais on ne dit pas qu’elle n’a pas du tout d’existence. Ce serait une vision nihiliste que le bouddhisme réfute en long et en large, tout comme la vision absolutiste ou éternaliste.
La Voie médiane enseignée par le bouddhisme s’éloigne des extrêmes du nihilisme et de l’éternalisme.
D’une manière conventionnelle la personne existe tout à fait. Nous sommes bien en train de parler, d’écouter, etc. Nous sommes bien présents, réunis dans cette pièce. Tout cela est valide d’une manière conventionnelle. Mais si on cherche au niveau ultime on ne trouve pas de groupe. Si on analyse la notion de groupe, on ne trouvera pas ce groupe. Ce sont seulement des individus les uns à côté des autres sur l’ensemble desquels on attribue la notion de groupe.
La personne elle-même existe tout à fait conventionnellement.
La vision nihiliste pourrait entraîner quelque chose d’assez néfaste. On pourrait se dire qu’il n’y a pas de karma. Se dire : « vu que je n’existe pas je n’accumule pas de karma, donc je peux tout me permettre. » Cette façon de penser pourrait entraîner des conséquences assez graves.
Dans un texte du VIIIème siècle (le Bodhisattvacharyavatara), Shantideva, un grand Maître bouddhiste
de l’Inde, disait que le corps c’est comme un hôtel et la conscience est comme un locataire. Lorsque la mort advient, le corps et la conscience se séparent. Le corps revient à sa nature matérielle et la conscience poursuit son cheminement, possédant sa propre continuité d’instants cognitifs qui se succèdent les uns aux autres.
On peut donc dire que conventionnellement quelqu’un reprend naissance, parce que c’est une continuité consciente qui s’unit aux cellules mâle et femelle des parents lui permettant de reprendre un corps physique.
Le corps actuel se dégradant, il disparaît, et on reprend naissance dans un autre corps, et ainsi de suite de vie en vie. Conventionnellement ça fonctionne tout à fait. C’est ultimement que les choses n’existent pas. Les choses n’ont pas d’existence en soi, mais elles ont une existence conventionnelle. Pour démontrer la loi de causalité karmique le Bouddha parle de la patience qui a pour fruit le fait d’avoir dans les vies suivantes un corps agréable à voir. Bien sûr ce n’est pas tout à fait la même personne, mais ce n’est pas non plus une altérité absolue. Ce n’est ni la même chose, ni autre chose. C’est pourquoi on parle de Voie médiane car elle se situe entre les deux.

Q.  : Par rapport à nous Occidentaux, qui paraissons souvent tristes, comment le bouddhisme cultive, entretient, ce sourire et ce rire qui vous illuminent toujours ?

R.  : Dans le bouddhisme on essaye généralement d’apprendre à être quelqu’un de bien, et être quelqu’un de bien suppose des qualités comme la détente et la paix de l’esprit par exemple. Le bouddhisme se compose en deux aspects :
-  l’aspect de la pratique ou de la conduite. Il s’agit de la non-violence, même si on ne peut pas aider les autres, au moins ne pas les blesser et ne pas leur porter ombrage.
-  et l’aspect de la vue, ou la vision, correspond à l’interdépendance, l’existence dépendante.
Lorsque ces deux aspects sont cultivés de concert, ils permettent à l’esprit de se détendre, de trouver un certain bonheur au quotidien. Même si les problèmes adviennent toujours, ils sont utilisés sur la voie pour permettre une transformation. Le Dalaï Lama parle souvent de la transformation de l’esprit, et même si Sa Sainteté est en exil depuis cinquante ans, son passe-temps favori est toujours le rire.
Toujours dans le texte de Shantideva il est dit : « S’il y a une solution, pourquoi s’inquiéter ? Et s’il n’y a pas de solution à quoi bon s’inquiéter ? »

Merci beaucoup.

Sources : Guéshé Thupten Tènpa via BuddhalineLaisse parler le coeurZelie DeviantartFrédéric BaylotChristain Gaudin, livre zen pour chatsPensées inspirantes

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