« Lorsqu’on me demande comment lutter contre la somnolence, je réponds qu’il ne faut pas lutter ! », dit Caroline Rome, sophrologue spécialiste du sommeil qui anime des ateliers au Centre du sommeil et de la vigilance à l’hôpital l’Hôtel-Dieu, à Paris. Ce jour-là, elle initie une quinzaine de patients à la « sieste flash » (ou micro-sieste), pour lutter contre une insomnie chronique, une apnée du sommeil ou un sommeil perturbé par des horaires décalés de travail. En position assise, les pieds à plat, le dos droit, la tête en équilibre et les yeux clos, les patients sont invités à respirer profondément par le ventre en tenant dans la main un trousseau de clés. Une voix douce, des images induites par la sophrologue… l’ambiance est au ronronnement. Au bout de quelques minutes, le bruit soudain des clés tombant à terre en fait sursauter plus d’un. C’est la fin de la sieste flash. « C’est une bascule, une petite porte de sommeil qui s’ouvre et qui s’accompagne d’un lâcher-prise au niveau mental et corporel, ce moment que l’on connaît tous lorsque la tête bascule en avant », explique Caroline Rome.
Longtemps victime de préjugés dans une société qui valorise le travail, la sieste suscite pourtant l’intérêt de nombreux chercheurs pour ses multiples vertus chez l’adulte. Au-delà des troubles du sommeil, on s’interroge sur ses effets sur la vigilance, l’immunité, l’hypertension, la mémoire, etc. Fréquente chez plus de 85 % des mammifères, la sieste n’est pas une phase d’inertie ou une simple pratique dans les pays chauds. « En réalité, la sieste n’est pas culturelle, elle est naturelle. C’est nous qui en faisons quelque chose de culturel », rappelle le docteur Eric Mullens, spécialiste du sommeil et auteur d’Apprendre à faire la sieste. Et si c’était un médicament ? (éd. Josette Lyon, 2011).
Le mot vient du latin Siesta, qui désigne la sixième heure (sexta hora) après le lever du soleil, ce moment où notre vigilance baisse, en début d’après-midi, même si nous n’avons pas déjeuné. « Ce qui fait la particularité de la sieste, c’est une demande de mise au repos plutôt cognitive et cérébrale, dont on sait qu’elle touche presque tout le monde. Notamment avec les baisses d’attention, les erreurs, les diminutions de temps de réaction dans la journée. Or la sieste répare ces phénomènes », souligne le professeur Damien Léger, chef d’unité du Centre du sommeil et de la vigilance.
Les effets positifs d’une sieste de 15 à 20 minutes
Déjà, à la fin des années 1990, des études japonaises avaient observé les effets positifs d’une sieste de 15 à 20 minutes sur la vigilance et la performance d’une tâche après un déjeuner et une nuit de sommeil normale (Takahashi, National Institute of Industrial Health, 1998, Kawasaki et Hayashi, Department of Behavioral Sciences, Faculty of Integrated Arts and Sciences, Hiroshima University, 1999).
Il a aussi été montré que la restauration de la vigilance après une sieste diminue le risque d’accidents de la route, notamment en cas de conduite nocturne chez les sujets jeunes, pour qui l’effet d’une sieste de 30 minutes est supérieure à celui de la caféine, selon une étude menée par la Clinique du sommeil à Bordeaux, publiée en 2007 (Sagaspe et al.).
De façon plus inédite, la sieste agirait sur le système immunitaire et le niveau de stress. Une équipe de chercheurs menée par Brice Faraut au Centre du sommeil et de la vigilance a analysé la salive et l’urine après une privation de sommeil la nuit, suivie ou non d’une sieste (Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism, 2015). « Nous voulions voir la relation entre sommeil, système de stress et système immunitaire. On a mesuré l’Interleukin-6 dans la salive, et observé une dépression de cette cytokine, qui a un rôle d’agent de défense d’agent pathogène au niveau de l’immunité buccale. Or elle remonte après une sieste de 30 minutes. C’était un premier indice », analyse Brice Fauraut. Après une nuit de sommeil limitée, les sujets ont vu leurs niveaux de norépinéphrine (ou noradrénaline, hormone et neurotransmetteur, libérée par le système nerveux orthosympathique) multipliés par 2,5, mais après une sieste de 30 minutes, ces niveaux ont été normalisés. « Ce sont des résultats intéressants, car on dit toujours que la sieste permet de dissoudre le stress, mais encore faut-il le montrer. Or là, nous en avons une démonstration physiologique, indépendamment du sentiment subjectif », relève Brice Faraut. Pour la première fois, on a donc montré que la sieste réduit l’activité des systèmes de stress, qui déclenchent aussi des réactions du système immunitaire.
Une baisse de la sensibilité à la douleur
Dans une autre étude menée au Centre du sommeil et de la vigilance, Brice Faraut et ses collègues ont observé que le manque de sommeil chez des sujets en bonne santé augmentait également la sensibilité à la douleur, mais qu’à la suite d’une sieste de 30 minutes, cette hypersensibilité n’avait plus d’effet (PLoS One, 2015). Réalisées avec des tests sensoriels (chaleur, froid et pression) sur différentes zones du corps (bas du dos, cuisse et sus-épineux), les analyses ont aussi montré que, d’une part, « les différentes aires testées ne sont pas sensibles de la même manière à la privation de sommeil », et que, d’autre part, « cette sensibilité n’est pas liée à la baisse de vigilance générée par le manque de sommeil qui aurait pu altérer la perception de la douleur », remarque le chercheur.
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Les vertus de la sieste n’ont pas fini de surprendre. Le 29 août, au Congrès européen de cardiologie, à Londres, le docteur Manolis Kallistratos a présenté les résultats de sa dernière recherche, menée à Athènes, consacrée aux effets de la sieste sur la tension artérielle. « Dans notre étude, les patients qui dormaient pendant 30 minutes présentaient en moyenne une réduction de 2 mmHg de la pression artérielle systolique mesurée sur 24 heures. Bien que cette réduction semble faible, elle traduit une diminution de 10 % du risque relatif aux accidents cardio-vasculaires », nous explique le cardiologue. Et si dormir une heure dans l’après-midi fut associé à une baisse de 4 mmHg de la pression artérielle et de 2 % de la pression nocturne, pour autant le docteur Kallistratos souligne qu’une sieste de « courte durée [moins de 20 minutes] ne peut influencer de manière significative la réduction de la pression artérielle pendant 24 heures ».
Un traitement non médicamenteux
Une pratique régulière de la sieste permettrait-elle alors de diminuer les posologies des antihypertenseurs ? Si l’étude a relevé une tendance de la diminution de pression artérielle plus fréquente « chez les patients hypertendus qui ont dormi pendant la mi-journée et qui prennent moins de médicaments antihypertenseurs, la différence était statistiquement non significative. Probablement que dans une étude avec un plus grand échantillon, cette différence pourrait être statistiquement significative », note-il.
Considérée comme un traitement non médicamenteux au Centre du sommeil et de la vigilance, la sieste pourrait sans doute réduire la consommationde nombreux médicaments selon le professeur Léger, « car lorsque l’on réfléchit à ce qui a été mesuré sur la douleur, la sieste aurait une valeur antalgique. Elle pourrait aussi concerner des gens qui se sentent fatigués et qui consomment des vitamines ou des médicaments pour se stimuler, alors qu’en réalité leur état n’est pas dû à la fatigue mais à un manque de sommeil ». La sieste est en effet réparatrice pour ceux qui ont peu dormi, d’autant qu’une privation de sommeil a des effets néfastes (stress, fatigue, sautes d’humeur, baisse d’immunité, concentration, etc.).
Une dette de sommeil qui s’accumule
Si aujourd’hui les Français dorment en moyenne sept heures par nuit, soit deux heures de moins qu’il y a 100 ans, ils sont de plus en plus nombreux à cumuler chaque nuit une dette de sommeil ou à dormir moins de 6 heures par nuit, selon l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). Un constat sans doute lié à nos modes de vie puisque cette année, une étude menée par l’université de Californie chez trois peuples de chasseurs-cueilleurs (en Tanzanie, Namibie et Bolivie), publiée dans Current Biology le 15 octobre, a montré que, même s’ils ne dorment que 6 heures 25 en moyenne par nuit et qu’ils font rarement la sieste, « ces groupes ont des niveaux inférieurs d’obésité, de pression artérielle et d’athérosclérose comparés aux individus dans les sociétés industrialisées, et qu’ils ont de meilleures conditions physiques. L’insomnie est si rare parmi eux que les San et les Tsimane ne possèdent pas de mot pour ce trouble qui touche plus de 20 % des Américains ».
En France, en 2013, 32 % des adultes seulement déclaraient faire une sieste dans la semaine, et 4 personnes sur 10 disaient souffrir de troubles du sommeil (Institut national du sommeil et de la vigilance).
« La sieste, qui était vue comme un confort, est maintenant vue comme un outil de santé publique », rappelle le professeur Léger. « On sait depuis longtemps par de nombreuses publications internationales qu’un sommeil régulièrement inférieur à six ou sept heures par 24 heures est source de pathologies liées à l’obésité, au diabète, à l’hypertension, à la dépression ou encore aux risques d’accidents dans la journée », ajoute le docteur Mullens.
Sieste flash
Etonnamment, l’insomnie chronique est l’une des rares pathologies où la sieste standard n’est pas conseillée pour éviter la privation de sommeil nocturne. Seule la sieste flash est préconisée : « Etant donné qu’il n’y a pas de sommeil dans la sieste flash, les patients insomniaques peuvent la faire autant qu’ils veulent, même dans les transports. Je leur apprends à se reconnecter à cette fonction naturelle, à écouter leur corps et à répondre à la somnolence par une sieste flash. Avec une série de petites techniques de relaxation, on observe souvent une amélioration du sommeil en général », soutient Caroline Rome.
Que l’on soit en bonne santé ou malade, la sieste doit donc s’adapter à chaque situation, et son dosage dépendra du degré de privation de sommeil la veille. De la sieste flash de moins de 5 minutes à la sieste royale d’une heure et demie, en passant par la sieste standard de 20 à 30 minutes, la durée n’a pas les mêmes effets sur l’organisme.
Comme le résume le professeur Léger : « La micro-sieste consiste à changer de rythme, faire une coupure, respirer tranquillement, et comporte rarement du sommeil. C’est une sorte de relaxation profonde. Une sieste avec un sommeil de 10 à 15 minutes serait suffisante pour améliorer la vigilance, la fatigue, la vigueur, l’humeur, et, à un moindre degré, les fonctions cognitives et les tâches de mémoire. Alors que les siestes plus longues sont nécessaires pour obtenir les mêmes bienfaits qu’une nuit de sommeil, notamment sur certaines tâches de mémoire et sur le métabolisme. Théoriquement, la sieste la plus récupératrice est la sieste standard de 20 à 30 minutes car elle a l’avantage de ne pas avoir de sommeil lent profond et qu’on en sort plus reposé. » En effet, lorsque le réveil s’effectue lors d’une phase interrompue de sommeil profond, on observe ce qu’on appelle une inertie du sommeil, un sentiment de malaise et de brouillard.
La sieste se distingue donc clairement du sommeil nocturne et semble receler de multiples vertus ressourçantes pour l’organisme. Les recherches médicales sauront-elles pour autant la réhabiliter dans nos mœurs ? « Nous avons grandi avec un schéma social du sommeil où l’on doit se réveiller le matin très actif et le rester jusqu’au coucher du soir. Or ce schéma est faux, il ne correspond pas à nos besoins physiologiques. Il faut donc réapprendre à observer les besoins de notre corps, ses signaux, et les respecter en fractionnant la journée avec une ou plusieurs siestes ! », soutient le polytechnicien Bruno Comby, auteur d’Eloge de la sieste (J’ai lu, réédition 2005).
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