La révolte des sardinières de Douarnenez en 1924 – Les grèves en Pays Bigouden en 1926-27

Eugène Cloutier : « Il y a toujours de la sueur de pauvre dans l’argent des riches. »
Victor Hugo : « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches ».

I – Lutte des ferblantiers-boîtiers (1894-1902) pour les salaires et contre les machines

Les ferblantiers-boîtiers en lutte (1894-1902), pour les salaires et contre les machines. Un article dans Mémoire Vivante n°4 de juin 2014 (le bulletin de la section finistérienne de l’Institut CGT d’histoire sociale de Bretagne. VOIR L’ARTICLE EN PDF

II- Les sardinières de Douarnenez : un symbole des luttes de classes

Qui sont les sardinières de Douarnenez ? Les références littéraires ou politiques qui désignent ces femmes et la grande grève de 1924 sont nombreuses. Elles sont devenues des symboles dans la mémoire collective. Unidivers vous propose un retour sur ces femmes qui ont tant marqué l’histoire de la Bretagne.

Au XIXe siècle, Douarnenez, ville du Finistère, s’industrialise et prospère grâce au commerce de la sardine. L’essor de la pêche était auparavant limité : malgré un riche vivier de sardines dans la baie et les fonds voisins, les marchés se trouvaient trop loin pour pouvoir les vendre. De ce fait, quand la technique de conservation des aliments fut inventée par Monsieur Appert (l’appertisation) et ensuite développée (les boîtes en fer-blanc remplacèrent les bocaux de verre), le Nantais Joseph Colin, confiseur de son métier, créa et développa des usines sur les côtes bretonnes dès le début du XIXe siècle. Douarnenez passe de trois usines en 1860, à près de trente en 1880. En Bretagne, l’activité de pêche et les conserveries se sont donc rapidement développées avec, durant l’entre-deux-guerres, 132 usines de sardines sur 160 en France. Le port de Douarnenez quant à lui s’affirme comme principal centre sardinier de la côte et capitale de l’industrie de la conserve.

Les « Penn Sardin »

Dans les années 1920, ce sont plus de 2000 femmes qui travaillent dans les conserveries. Les hommes partent à la pêche, tandis que leur mère, leur femme ou leurs filles vont travailler à l’usine. On les appelle, en breton, les « Penn Sardin » : « tête de sardine » à cause de la coiffe qu’elles sont obligées de porter lorsqu’elles travaillent (cette coiffe douarneniste serait issue d’une coiffe paysanne du cap Sizun, « importée » en somme lors de la forte vague d’émigration rurale dans les années 1860-1870). Les conserveries, aussi appelées « fritures », puisqu’il faut faire frire les sardines dans l’huile avant la mise en boîte, développent l’emploi des femmes de la région. On entend dans les conserveries les sardinières chanter pour oublier leurs conditions de travail. Ces chants font aujourd’hui partie du patrimoine historique et culturel de Douarnenez.

Les difficiles conditions de travail

Pour les patrons de conserverie, cette main-d’œuvre féminine, abondante et peu exigeante, constitue une aubaine. Ils en profitent pour exploiter les ouvrières. Les conditions de travail sont très difficiles. La législation non plus n’est pas respectée (concernant le travail de nuit, les enfants ou les heures). Les sardinières œuvrent dans l’urgence, car les glacières et les chambres froides n’existent pas. Elles gagnent 0,80 franc de l’heure en 1924 alors que le kilo de beurre coûte 15 francs et le café 17. Les ouvrières travaillent alors le plus possible pour compenser leur faible salaire.

La grande grève de 1924

Déjà en 1905, une première grève avait éclaté parmi les sardinières qui réclamaient le paiement des salaires à l’heure et non pas au mille de sardines. Pour autant, la grève qui marque le plus les esprits, de par son ampleur qui dépasse vite le cadre local, est celle de 1924. Du 21 novembre 1924 au 6 janvier 1925, les sardinières luttent pour la revalorisation de leur salaire. Elles demandent un franc de l’heure. Pendant 6 semaines, elles déambulent dans la ville, s’arrêtant devant chaque usine pour entonner leur mélodie favorite. Chaque jour, les grévistes se rassemblent sous les Halles de la ville afin de discuter de la suite des événements. Un comité de grève est élu avec 6 femmes sur 15 membres, afin de négocier avec les représentants du patronat. Les sardinières, qui ont été rejointes par des soutiens locaux et nationaux, représentent 73 % des grévistes. La parole politique se libère chez les femmes. Alors que le patronat refuse de céder aux demandes des sardinières, de nombreux affrontements ont lieu. La tension est à son apogée lorsqu’ils font venir des briseurs de grève. Ces derniers provoquent un affrontement avec le maire de Douarnenez qui luttait aux côtés des sardinières. Finalement, le patronat doit céder et les sardinières obtiennent une hausse de salaire, le paiement des heures supplémentaires ainsi que celui des heures effectuées la nuit. Leur syndicat est aussi reconnu. Les sardinières se réjouissent alors d’avoir installé un nouveau rapport de force avec le patronat.

Les solidarités locales

En 1921, Sébastien Velly est élu maire de Douarnenez qui devient la première ville communiste en France. C’est, entre autres, ce fait majeur qui a permis aux femmes de lutter pendant six semaines. En effet, la mairie devient un appui politique de première importance, ce qui n’est pas négligeable lorsqu’on sait que les sardinières vont entamer un rapport de force avec le patronat. En 1924, Daniel Le Flanchec, une forte personnalité, est à la tête de la mairie de Douarnenez. Ce dernier soutient les travailleuses en s’engageant à leur côté pendant la grève. Il est même blessé lors de l’altercation avec les briseurs de grève. Les sardinières bénéficient d’une autre solidarité : les marins-pêcheurs qui les rejoignent dès le début de la grève. De plus elles occupent un poste clé dans la chaîne de la vente du poisson. Sans elles, les pêcheurs ne peuvent plus travailler, car le poisson ne sera pas conservé. Et, sans elles, ce dernier ne peut pas être vendu. Elles ont très bien compris leur rôle et pendant six semaines la grève paralyse l’économie de la ville qui ne vit que des ressources halieutiques.

Les solidarités nationales

La grève à Douarnenez prend très vite des proportions qui dépassent le cadre de la commune puisque des grèves de soutien ont lieu sur tout le littoral breton. Les sardinières reçoivent le soutien d’ouvriers, de syndicalistes, de politiques ou de simples citoyens touchés par leur lutte. Des dons et des aides, comme de la nourriture, sont envoyés d’un peu partout en France. Des responsables syndicaux nationaux ou encore des membres du Parti communiste rejoignent Douarnenez pour soutenir les grévistes et leur apporter leur expérience. Le député et directeur de l’Humanité Marcel Cachin vient soutenir le mouvement sur place, à l’Assemblée ou encore à travers des articles dans son journal.

Les sardinières de Douarnenez : un symbole

Les sardinières sont passées à la postérité comme un symbole de lutte et de modernité. Au lendemain de la grève, une sardinière se démarque de la foule des grévistes, car elle est veuve et n’a donc pas de mari qui pourrait l’empêcher de se présenter aux élections : Joséphine Pencalet. Cette dernière figure alors sur la liste du maire sortant, Daniel Le Flanchec, lors des élections municipales. Malgré une victoire au premier tour, elle ne pourra participer aux délibérations du conseil municipal que quelques mois : son élection sera invalidée par le Conseil d’État au motif qu’elle est une femme (les femmes n’obtiendront le droit de vote en France qu’en 1945 soit 20 ans plus tard). Sans aucun soutien de son parti, elle retourne alors à sa condition de simple ouvrière avec amertume et le sentiment d’avoir été manipulée : pourtant, on se souviendra d’elle comme de la première femme élue en Bretagne.Les sardinières de Douarnenez deviennent un symbole des luttes pour les droits de la femme et contre le patronat. Elles font partie intégrante de l’identité de Douarnenez, ville longtemps marquée par les luttes de classes et les élections successives de maires communistes, ce qui lui vaudra, un temps, son surnom de « ville rouge ».

Une Penn sardin à la mairie, par Fanny Bugnon, en PDF

Les sardinières de Douarnenez, Joséphine Pencalet (1886-1972), Penn Sardin, Douarnenez, Finistère, luttes sociales

« Merc’hed Douarnenez a gane brav. Mouechou skiltr a n’eus, mouechou uhel. Glebor ar mour na rouilh ket o mouezh. » (Hor yezh, 1979.)

« Les femmes de Douarnenez chantent bien. Elles ont la voix aiguë, la voix haute. L’humidité de la mer ne rouille par leur voix. » (Tud ha bro, 1982.)

La chanteuse locale Claude Michel a consacré plusieurs albums à la reprise des chansons des sardinières de Douarnenez.

Une brochure de 1925, par Lucie Colliard, Une belle Grève de Femmes...

Sources :

  • Témoignages et portraits des sardinières de Douarnenez dans : MARTIN, Anne-Denes, Les ouvrières de la mer. Histoire des sardinières du littoral breton, Paris, L’Harmattan, 1994.
  •  Documentaire sur Joséphine Pencalet, sardinière et première femme élue en Bretagne en 1925 : Joséphine Pencalet, une pionnière, réalisé par Anne Gourou, 2015.
  • Sur l’histoire de Douarnenez : BOULANGER, Jean-Michel, Douarnenez de 1800 à nos jours : Essai de géographie historique sur l’identité d’une ville, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000.


Comité de grève de 1924 – Coll Alain Le Doaré. Premier rang de gauche à droite : Etienne Jequel, Anna Julien, Le Cossec, maire durant la destitution de Daniel Le Flanchec, Alexia Poquet, Charré (des jeunesses communistes). Deuxième rang : Charles Tillon, Simonin, Lucie Colliard, Boville, Mme Le Flanchec, Faure-Brac. Troisième rang : Bordennec, Renault (de l’Humanité), Garchery, Mme Morvan, Gauthier, Jean Join, Mme Julien.

 


  • Le Chant des sardinières

En hommage aux luttes des sardinières voici un extrait de l’album de nos amies bigoudènes Marie-Aline Lagadic et Klervi Rivière “LE CHANT DES SARDINIÈRES” dans lequel on trouve la fameuse chanson “Saluez riches heureux ” qui a été reprise par les ouvrières en lutte à cette époque.

Sources : pour en savoir plus, Gaston Balliot

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