S'ouvrir à l’autre relève souvent des bonnes intentions : nous avons tous des a priori, des réticences qui nous bloquent au dernier moment. Pourtant, si l’on veut véritablement se transformer en profondeur, il faut surmonter ces obstacles.
Le tonglen, pratique de méditation bouddhiste, apprend à absorber ce qui est négatif pour le restituer sous forme positive, permet de dépasser nos peurs et de développer notre capacité d’acceptation des événements extérieurs.
Dans cet ouvrage, Pema Chödrön détaille de façon très concrète et accessible cette discipline. Une méthode qui pourra intéresser non seulement les bouddhistes mais aussi tous ceux, croyants ou non, qui recherchent une aide dans leur pratique de la méditation.
Tous les êtres doués de sensibilité, sans exception, portent en eux la bodhicitta, qui est la tendresse inhérente au cœur, la tendance toute naturelle à aimer et à se soucier d’autrui.
Avec le temps, pour se protéger de la douleur et d’un certain malaise, on dresse de solides barrières capables de masquer sa tendresse et sa vulnérabilité.
C’est pourquoi on se sent souvent aliéné, en colère, agressif ; on fait l’expérience d’une perte de sens dans la vie, tant sur le plan individuel que planétaire. On ne sait trop comment, à force de rechercher le bonheur, on a, par mégarde, créé davantage de souffrance pour soi-même.
Le tonglen, ou pratique du donner et recevoir, renverse la tendance à se durcir et à se refermer car il cultive l’amour et la compassion. Lorsqu’on pratique le tonglen, au lieu de s’éloigner à toute vitesse de la douleur et du malaise, on en prend acte et on les reconnaît pleinement. Au lieu de ressasser ses problèmes personnels, on se met à la place de ses semblables et on apprécie la condition humaine qui est la nôtre.
C’est alors que les barrières se mettent à s’écrouler, et que le cœur, l’esprit commencent à s’ouvrir. Avant de passer à la pratique formelle du tonglen, j’aimerais parler de quelques moyens susceptibles de vous aider à faire entrer la perspective que propose le tonglen dans votre vie quotidienne. Après tout, l’essentiel c’est vraiment la manière dont on mène sa vie – avec la maitri et la compassion à l’égard de soi-même et d’autrui. En plus, si on s’exerce tous les jours à mettre en application cette perspective, la pratique formelle semblera beaucoup plus naturelle. Trungpa Rinpoché avait l’habitude de dire à ses élèves de vivre leurs vies comme autant d’expériences.
Autrement dit, soyez curieux, ouverts, sans attentes, puis voyez ce qui arrive et tirez des leçons de votre expérience. C’est pour cette raison que je suggère souvent aux étudiants de se donner un peu de temps – disons de trois à douze mois – pour voir tout simplement en quoi cette pratique influe sur leur vie. Mais il est inutile de s’imaginer qu’on arrivera à la perfectionner en si peu de temps. En réalité, c’est une pratique à approfondir jusqu’à la fin de ses jours.
La pratique de la méditation, ou shamatha-vipashyana, est un bon moyen de commencer à s’exercer à l’attitude qu’exige le tonglen. C’est une façon de vérifier son état d’esprit, comme si on tenait un miroir devant soi. La méditation cultive à la fois la bodhichitta ultime et la bodhichitta relative.
La pratique de la bodhichitta ultime enseigne à ne pas s’agripper aux pensées et aux émotions comme s’il s’agissait d’entités solides, et la pratique de la bodhichitta relative permet d’apprendre la maitri et la compassion. En général, il n’est pas indiqué de se mettre à la pratique du tonglen avant d’être bien ancré dans celle de la méditation assise.
Il faut surtout cultiver la ténacité, le courage et la patience de s’asseoir, d’être présent à tout ce qui surgit au cours de la méditation. Sinon, les émotions que provoque le tonglen pourraient bien vous faire tomber de votre coussin. C’est pour cette raison qu’on recommande toujours de commencer et de terminer une séance de tonglen par la pratique de la méditation.
Même quand on n’est pas assis sur un coussin ou dans une salle de méditation, on peut pratiquer l’attention et la conscience en éveil. Cette pratique peut servir d’outil pour entrer en rapport avec ce qu’on ressent à l’instant même. Par exemple, quand je suis seule ou quand je me retrouve dans le calme – pendant une promenade dans les bois, au moment de regarder par la fenêtre de ma cabane, ou lorsque je suis assise sur un banc au bord de l’océan –, je laisse tomber mes pensées et j’essaye de voir ce qui se cache derrière.
En réalité, c’est ça l’essence même de la pratique de la méditation : toujours revenir à l’immédiateté de l’expérience présente et abandonner les pensées et les jugements que l’on porte sur elle. Il se peut qu’on découvre que quelque chose reste une fois qu’on a laissé tomber les pensées et les scénarios. On reste avec l’immédiateté des perceptions sensorielles : la vue, l’odorat, le toucher, et le reste, et avec une sensation ou une humeur. Il se peut, par exemple, que le sentiment qui se cache sous nos pensées soit la haine de soi.
Par conséquent, quand nos pensées entrent en ébullition, ça a l’air de ça : « C’est mal, c’est mal, c’est bien, c’est bien, je devrais, je ne devrais pas. » Quand on s’aperçoit de la présence de ce type de pensées, il suffit de les laisser s’en aller et de revenir à l’immédiateté de son expérience. C’est ça la pratique de la maitri, ou entrer en amitié avec soi-même.
Je suis une fana des aspirations. Je pense qu’elles sont fort utiles sur la voie, parce qu’elles aident à rester en relation avec la motivation de cultiver la bodhichitta. Le slogan du lojong qui dit « deux activités : une au début, une autre à la fin » propose que le pratiquant commence et finisse chaque journée en réaffirmant sa motivation de faire tomber les barrières, d’ouvrir son cœur et d’aller vers ses semblables.
Lorsqu’on s’éveille le matin ou lorsqu’on se couche le soir, on peut faire une aspiration, en ses propres mots, ou répéter une aspiration traditionnelle, comme les Quatre incommensurables ou le vœu du bodhisattva. Il arrive que la pratique formelle du tonglen semble trop ardue. Si c’est le cas, on peut simplement formuler cette aspiration : « Que je sois capable, un jour, d’ouvrir mon cœur un peu plus que je peux le faire aujourd’hui. »
Cette approche est dénuée de blâme et d’auto-récrimination. Elle exprime simplement le souhait sincère de grandir.
La pratique de l’égalité est un moyen de se lier aux autres et de se rendre compte que nous sommes tous logés à la même enseigne. Ce n’est un secret pour personne : tous les êtres humains, comme nous d’ailleurs, veulent connaître le bonheur et éviter la souffrance.
Tout comme nous, tous veulent avoir des amis, être acceptés, aimés, respectés, ils veulent sentir qu’on accorde un prix à leurs qualités exceptionnelles, être en bonne santé et en harmonie avec eux.
Tout comme nous, personne ne veut se sentir seul, sans ami, ou traité avec condescendance, ni être malade, inadapté ou déprimé. La pratique de l’égalité vise tout bonnement à se rappeler ce fait chaque fois qu’on rencontre quelqu’un.
On se dit : « Tout comme moi, elle veut être heureuse ; elle ne veut pas souffrir. » On peut la faire pendant une journée entière, pendant une heure ou seulement quinze minutes. J’aime beaucoup cette pratique, parce qu’elle ouvre la barrière de l’indifférence face à la joie de quelqu’un d’autre, à sa douleur intime, à ce qu’il a de magnifiquement singulier.
Dans son livre Vivre en héros pour l’éveil, le grand maître et poète indien Shantideva insiste sur l’importance de méditer ainsi sur l’égalité de soi et d’autrui : Efforce-toi d’abord de méditer sur ce qui est commun à toi et à autrui.
Dans la joie et le chagrin tous sont égaux Ainsi protège tous les êtres, comme tu le ferais pour toi.
Jeffrey Hopkins, traducteur et interprète vers l’anglais du dalaï lama pendant dix ans, m’a raconté cette histoire au sujet de ses voyages en Occident en compagnie du maître. Partout, Sa Sainteté répétait en anglais « everyone wants happiness, doesn’t want suffering » (tout être recherche le bonheur, personne ne veut souffrir).
Qu’il soit dans un aéroport, un amphithéâtre, ou qu’il prenne part à une conférence de presse, il répétait : « Everyone wants happiness, doesn’t want suffering. » Au départ, Jeffrey se demandait « mais pourquoi est-ce qu’il n’arrête pas de dire ça ? », parce que ça lui semblait tellement simpliste, banal. Mais après un moment, le message a commencé à faire son chemin en lui, et il s’est dit « oui, j’ai besoin de ça ! ». C’est simple, mais c’est aussi profondément vrai, et c’était exactement le type d’enseignement qu’il avait besoin d’entendre.
Au début, il se pourrait que cette pratique semble superficielle, une sorte de lieu commun. Mais croyez-moi, le tonglen ouvre vraiment les yeux. Il rend plus humble parce qu’il projette une lumière sur l’habitude qu’on a de penser être le centre du monde. Quand on reconnaît qu’on partage sa condition humaine avec quelqu’un d’autre, on crée avec lui un lien intime surprenant. L’autre fait dès lors partie de la famille, ce qui aide à atténuer l’isolement, la solitude qu’on vit.
La pratique qui consiste à échanger son cœur est double : on échange le bonheur et on accepte la douleur. D’abord, on souhaite partager avec autrui tout ce qui est une grande joie dans la vie. Quant à la deuxième partie, lorsqu’on éprouve un quelconque sentiment de souffrance, on se rappelle qu’une foule d’autres êtres souffrent aussi et on souhaite qu’ils soient délivrés de leur mal.
C’est l’essence même de la perspective propre au tonglen : quand les choses sont agréables, penser à autrui ; quand les choses sont pénibles, penser à autrui.
Si cette pratique est la seule que vous retenez après la lecture de ce livre, elle vous fera du bien et fera du bien à tous les êtres qui entrent en contact avec vous. Échanger son bonheur quand on fait l’expérience d’un certain bien-être ou d’un plaisir – apprécier une belle journée de printemps, un bon repas, un animal tout mignon qui vient de naître ou une bonne douche chaude –, il faut le constater et chérir ces instants. Ces petits plaisirs tout simples peuvent procurer beaucoup de joie, de tendresse et un certain soulagement.
La vie est remplie de moments fugaces et merveilleux comme ceux-là, mais, le plus souvent, on fonce à toute vitesse sans les voir. La première partie de la pratique consiste donc à s’arrêter, à les remarquer et à les apprécier pleinement. On fait ensuite le vœu que d’autres personnes puissent en faire autant. Il est probable que plus on s’adonnera à cette pratique, plus on se surprendra souvent à prendre note de ces moments de bonheur et de satisfaction.
Quand on s’exerce à donner de cette manière, on ne passe pas outre son propre plaisir, ni sa joie. Lorsqu’on déguste un bol de fraises succulentes, on ne se dit pas : « Ah, je ne devrais vraiment pas aimer ces fraises à ce point, il y a tant de déshérités qui n’ont même pas un morceau de pain à se mettre sous la dent », mais au contraire : « Chouette ! Ces fraises sont extraordinaires. Je n’ai jamais rien mangé d’aussi bon. » On peut les savourer à fond. Ensuite, on se dit : « J’aimerais que tout le monde puisse goûter à ces fraises, je souhaite que tous les êtres puissent le faire. »
Il est bon aussi de penser à une possession personnelle qui procure beaucoup de oie. Il peut s’agir de son chandail préféré, d’une cravate, puis on peut s’imaginer qu’on donne cet objet à quelqu’un qu’on rencontre. Il n’est pas question de donner effectivement ses affaires, car on travaille ici avec l’imagination. On entre en rapport avec l’habitude de s’agripper, de se refermer, de refuser de partager avec les autres. À force de s’exercer ainsi, on acquiert une confiance dans ses propres richesses inhérentes, dans le fait qu’il y a toujours beaucoup à donner à son prochain.
Treya Wilbur décrit ce type de pratique du don dans son livre intitulé Grace and Grit, qui porte sur sa lutte contre un cancer incurable. Elle pratiquait déjà le tonglen depuis longtemps. Un jour, elle perd un collier en or, composé de minuscules étoiles, dont ses parents lui avaient fait cadeau, et qui était pour elle comme un bracelet à breloques porte-bonheur, parce qu’elle l’avait porté pendant les heures les plus difficiles de la chimiothérapie et des interventions chirurgicales.
Un jour, après l’avoir cherché partout, sans succès, l’impression que cette perte est de mauvais augure lui fait perdre courage. Mais forte de son expérience du tonglen, il lui vient soudainement à l’esprit de visualiser des millions de ces étoiles et de les donner pour faire du bien à tous ceux et celles qu’elle avait rencontrés. Pendant qu’elle pratiquait ainsi, elle raconte qu’elle prenait vivement conscience de ses désirs, de son attachement et de ses tendances à s’accrocher, comme autant d’habitudes bien ancrées, et elle s’est mise à abandonner tout ce à quoi elle sentait qu’elle s’attachait momentanément.
Cela ne l’a pas toujours aidée à aller au-delà de son inclination à s’accrocher, mais grâce à ce travail elle a appris à éprouver de la compassion pour tous ceux qui comme elles avaient de bonnes intentions, sans pouvoir vivre en accord avec elles. Grâce à cette pratique, que sa propre intuition l’a amenée à découvrir, elle est parvenue à se faire à l’idée de la perte de son collier et, surtout, elle a appris la joie de renoncer à ses attachements et de donner à ses semblables
La deuxième partie de la pratique est un peu plus exigeante. Ne vous y mettez donc pas si l’idée vous semble difficile à saisir. D’abord, on doit remarquer les moments où on vit quelque chose qui rend mal à l’aise, quelque chose de pénible ou désagréable. On souhaite ensuite que ses semblables en soient complètement libérés et on imagine qu’on leur envoie tout ce qui selon nous pourrait les soulager.
Par exemple, si on commence à sombrer dans la déprime, on se dit : « Puisque je n’ai pas le moral de toute façon, je veux l’accepter totalement pour que d’autres ne connaissent pas la dépression. » Ou encore, « puisque j’ai mal aux dents, je veux l’accepter tout à fait de sorte que mes semblables ne connaissent pas ce mal ». Puis, il faut leur envoyer du soulagement. Il s’agit de le faire tout bonnement, sans trop se préoccuper de la logique dans tout ça.
Pour bien des gens, ce type d’échange paraît exagéré, c’est aller trop loin, trop tôt. J’ai décidé d’en parler de toute façon, parce qu’il m’a personnellement beaucoup stimulée. Ainsi, le dégoût, la paranoïa, qu’on éprouve généralement lorsqu’on vit quelque chose de désagréable, le sentiment d’être une cible, tout cela fait volte-face et sert de combustible pour éveiller le cœur.
Le « tonglen dans les embouteillages » est un exemple particulier de cette pratique. Il s’agit de travailler avec tous les sentiments désagréables avec lesquels on doit composer au milieu d’un bouchon, ou encore lorsqu’on fait la queue longtemps au supermarché : la colère, le ressentiment, l’agitation, l’irritabilité, la peur de rater un rendez-vous. D’abord on regarde autour de soi et on voit que tous les autres automobilistes ressentent la même chose. Ensuite, on inspire pleinement tout ce qu’on ressent et on expire de la détente, du soulagement, tant pour soi que pour tous ceux qui sont coincés dans le bouchon.
On se rend compte que les êtres humains sont tous dans la même galère. Tout un chacun dresse des barrières et utilise la gêne que crée l’embouteillage pour se sentir encore plus isolé. Il s’agit donc de renverser la situation ; elle se transforme alors en lien avec tous ceux qui sont prisonniers de leurs véhicules. En l’espace d’un instant, lorsqu’on les regarde par la vitre, ils sont tous devenus des êtres humains.
C’est vraiment l’essence de la démarche du tonglen. Comme elle m’a été très utile, j’aime bien la recommander à tous mes étudiants. Même si vous choisissez de ne pas faire la pratique formelle, rien ne vous empêche de vous exercer au tonglen surle-champ.
Une fois qu’on en a pris l’habitude, et qu’on le fait régulièrement, la pratique formelle du tonglen semble plus réelle et prend davantage de sens. On peut faire le tonglen sur-le-champ dans les situations concrètes où on se retrouve tous les jours. Dès qu’on vit quelque chose qui éveille la compassion ou qui est difficile ou pénible, on peut s’arrêter pendant un instant, inspirer toute la souffrance qu’on voit, et expirer un sentiment de soulagement. Le processus est simple et direct.
À la différence de la pratique formelle, pas besoin de visualiser ni de suivre diverses étapes. C’est un échange naturel et simple : on voit de la souffrance, on l’accueille avec l’inspiration et, en expirant, on envoie du soulagement.
On pourrait, par exemple, voir une mère battre sa gamine au supermarché. C’est dur à regarder, mais on ne peut vraiment rien faire ni dire au moment où ça se déroule. La première réaction, la peur, pourrait pousser à se détourner et oublier tout ça. Mais ici, au lieu de regarder ailleurs, on pourrait vraiment commencer à faire le tonglen pour la petite fille en larmes et pour la mère aussi, qui est en colère et à bout de nerfs.
On peut dégager un sentiment général de détente, d’ouverture, ou quelque chose de plus précis, une étreinte ou un mot gentil, tout ce qui semble convenir dans les circonstances. Il n’y a rien là de bien conceptuel, c’est presque spontané. Lorsqu’on vit quelque chose de pénible de ce genre et qu’on reste avec cette situation, elle peut ouvrir notre cœur et devenir source de compassion.
Quand de fortes émotions affleurent sans qu’on sache quoi en faire, on peut pratiquer le tonglen sur-le-champ. Par exemple, il se peut qu’on ait une violente dispute avec son conjoint ou son patron au travail. On vous gueule après et vous ne savez comment réagir.
C’est le moment d’inspirer les sentiments douloureux et de redonner de l’espace, de la détente, avec le souffle – pour vous-même, pour la personne qui hurle, et pour tous ceux qui vivent la même situation difficile.
Il arrive un moment, bien sûr, où il faut répondre à la personne qui vous invective, mais lorsqu’on laisse entrer un peu d’espace et de chaleur au milieu de la situation, il sera probablement plus facile d’agir avec adresse. On peut aussi recourir à cette pratique quand l’ouverture et la compassion ne coulent pas de source. Par exemple, on aperçoit un SDF dans la rue qui demande des sous et semble être un alcoolique.
Même si on aimerait bien être compatissant, on ne peut s’empêcher de rebrousser chemin le cœur plein de dégoût, de ressentiment. C’est le bon moment de faire le tonglen pour soi-même et pour tous ceux qui aimeraient se montrer ouverts, mais qui n’y parviennent pas. On inspire le sentiment de fermeture à autrui, le sien et celui de son prochain. Puis on expire de l’espace, de la détente, du lâcher-prise. Se sentir bloqué ne fait pas obstacle au tonglen : ça fait partie de la pratique. On travaille sur ce qui est ressenti comme un blocage, et qui devient le germe d’éveil du cœur, pour se rattacher à son prochain.
Il s’agit de marcher dans la rue, sur un pâté de maisons ou deux, fort de l’intention de rester aussi ouvert que possible à quiconque croise son chemin. On apprend ainsi à être plus honnête avec ses émotions et on se met davantage à la disposition des autres sur le plan affectif. Au cours de la promenade, on peut se détendre et sentir que son cœur et sa poitrine sont ouverts.
À mesure qu’on rencontre des passants, on peut même sentir un lien subtil entre leurs cœurs et le nôtre, comme s’ils étaient rattachés par un fil invisible.On pourrait se dire à soi-même « je vous souhaite du bonheur », au moment de passer à leur hauteur.
L’essentiel est d’éprouver un sentiment d’interdépendance avec tous ceux et celles qu’on croise. Si cet exercice vous semble embarrassant, parce qu’il vous expose un peu trop, contentez-vous de prendre acte et de vous rendre compte que bien d’autres personnes ressentent probablement la même chose.
Vous pouvez observer la manière dont les gens vous jettent un coup d’œil furtif -automatisme pour aller vers l’autre – , le plus souvent, assez loin pour que ça ne se voie pas. Peut-être ont-ils envie de rencontrer quelqu’un d’amical qui leur dit bonjour, quelqu’un avec qui ils pourraient créer des liens authentiques.
Vous voyez où je veux en venir ? Pour chaque personne qu’on croise, il est bon de prendre acte de ses propres pensées, de ses réactions affectives à son égard.
Il est bon d’observer si on éprouve de l’attachement, de l’aversion ou de l’indifférence envers chaque passant. Mais ce n’est pas le moment de porter des jugements sur soi par-dessus le marché. Il se peut que la mine souriante de quelqu’un redonne le moral illico et invite à s’ouvrir encore plus.
Voir une personne déprimée pourrait aussi faire affleurer la tendresse, la compassion.
On doit prendre bonne note des moments où on se met à se refermer ou à s’ouvrir. Quand on se rend compte qu’on se replie sur soi, ce n’est pas une raison pour s’en vouloir. On peut, au contraire, sympathiser avec tous les êtres humains qui se referment de la même manière et aspirent à s’ouvrir davantage. Et quand on éprouve du plaisir ou beaucoup de joie au cours de la promenade, on pourrait souhaiter la partager avec les gens que l’on rencontre.
L’ouvrage de Shantideva, Vivre en héros pour l’éveil, propose une pratique qui consiste à se mettre à la place d’autrui. C’est surtout une contemplation et, à la différence du tonglen, cette pratique n’est pas synchronisée au souffle. Elle peut également aider à s’ouvrir et à éprouver de la sympathie pour les personnes qui vous sont indifférentes, de même que pour celles qui vous donnent vraiment du fil à retordre.
D’abord, on doit imaginer aussi vivement que possible la personne qui fait l’objet de la contemplation. Il est bon de se montrer très curieux et de passer un peu de temps à se mettre à sa place, à voir le monde comme elle le voit. Que ressent-elle ? De quoi a-t-elle peur ? Le simple fait de s’intéresser à ce point à quelqu’un peut beaucoup contribuer à faire aimer un être et à s’en soucier. Pour aller plus loin, il est possible d’inverser les rôles : devenir cette personne, qui devient nous-même.
Nous nous mettons à sa place, et nous nous voyons alors comme elle nous voit. Comment nous voit-elle ? Comme un être neutre, un ami éventuel, un ennemi, une personne arrogante ou chaleureuse ? De quoi a-t-elle besoin ? d’une étreinte, d’un mot d’encouragement, d’une oreille ouverte et attentive, d’excuses, de pardon, qu’on lui montre qu’on est sensible à son intelligence, à ses talents ?
Lorsqu’on se met à la place de l’autre, on découvre que ce qu’il désire ressemble passablement à ce que l’on désire soi-même. Sur ce plan, il y a égalité. On pourrait peut-être aussi se rendre compte qu’on n’a encore jamais vu ni entendu vraiment cette personne, qu’on ne sait pas l’apprécier ni la traiter de manière juste. Maintenant qu’on y voit plus clair, il n’est pas impossible qu’on s’ouvre un peu plus la prochaine fois qu’on la rencontrera.
Pema Chödrön
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