Pour échapper à la répression chinoise, les moines tibétains risquent encore aujourd'hui leur vie sur le chemin de Dharamsala, cette ville du nord de l'Inde qui accueille le gouvernement tibétain en exil.
© AFP
En janvier, dans les contreforts des sommets enneigés qui dominent Dharamsala [ville du nord de l'Inde, où réside le gouvernement tibétain en exil], un adolescent bien bâti, les joues roses, se glissait dans un dortoir. C'était pour lui la fin d'un long périple hivernal qui l'a conduit de la Chine à l'Inde en passant par le Népal.
Ce moine en fuite était parti de cette partie du plateau tibétain qu'on surnomme le toit du monde. Il n'y retournera peut-être jamais pour revoir son père, ses frères et sœurs, et les yacks qui paissent autour du village où il vivait, un endroit complètement isolé. Pourtant, il a grandi en rêvant de contrées étrangères. "Au Tibet, j'ai entendu parler des droits de l'homme en Inde", explique Yeshi Phuntsok au centre d'accueil des Tibétains. Ce complexe de 500 places construit l'année dernière est destiné aux réfugiés venus du Tibet. Aujourd'hui, le centre en accueille une soixantaine. Beaucoup essaient de sortir de Chine, mais tous n'ont pas la chance de réussir, comme ce jeune homme. Il a tout de même donné à un passeur toutes les économies de sa famille, a dû voyager sous des bagages pour passer les postes de contrôle militaires et se cacher quelque temps au Népal avant de franchir dans la nuit noire, suspendu à une corde, le torrent qui marque la frontière.
"Depuis que je suis ici, je suis soulagé", s'exclame Yeshi Phuntsok. Vêtu d'un jean et d'un coupe-vent gris, ce moine au visage poupin est semblable à tous les jeunes garçons. Mais les nouveaux réfugiés qui parviennent à sortir au compte-gouttes de Chine pour rejoindre le gouvernement tibétain en exil en Inde arrivent avec des récits inouïs, ceux de leur parcours clandestin, mais aussi des témoignages directs faisant état d'une rébellion désarmée contre le pouvoir chinois menée par des moines, des religieuses et des nomades, la plus audacieuse depuis les émeutes de 2008 dans les rues de Lhassa. Depuis mars 2011, vingt-deux bouddhistes clamant des slogans au nom de la liberté et du retour d'exil du dalaï-lama, leur chef spirituel, se sont immolés par le feu, dont une demi-douzaine depuis le début de cette année. Plusieurs d'entre eux auraient même avalé de l'essence pour ne se laisser aucune chance de survie.
Des vidéos et des photos de ces moines et religieuses en flammes circulent dans le monde, malgré les actions des autorités locales qui coupent le téléphone et les réseaux Internet. Les journalistes étrangers ne sont pas autorisés à entrer dans les régions agitées pour y vérifier ce qui s'y passe. Les moines qui arrivent en Inde, où vivent déjà 100 000 Tibétains en exil, donnent leur version des faits. Yeshi Phuntsok nous décrit son périple, de Kham [l'une des trois régions historiques du Tibet] à Lhassa, de la ville frontalière de Dum à Katmandou, la capitale du Népal ; de là il a rejoint Delhi et, enfin, Dharamsala. Avant cela, l'été dernier, il a survécu dans une prison chinoise à un mois et sept jours où il a subi des chocs électriques et des passages à tabac. Il avait alors 17 ans.
Avec un autre moine, âgé lui de 15 ans, il avait brandi une pancarte où étaient écrits des slogans souhaitant une longue vie au dalaï-lama et appelant à son retour. "La police et l'armée sont arrivées peu après que mon ami et moi avions sorti nos pancartes, raconte Yeshi Phuntsok. Je savais que j'allais aller en prison. Mais je l'ai fait parce qu'en tant que tibétain j'avais le sentiment de faire quelque chose pour le Tibet." Craignant un soulèvement général, Pékin a bouclé l'accès aux monastères bouddhistes et a déployé des forces de police dans plusieurs zones de nomadisme éloignées de la capitale tibétaine.
Dharamsala est surnommé "le petit Lhassa". Cette ville des contreforts de l'Himalaya abrite le gouvernement tibétain en exil et le dalaï-lama, qui a fui la Chine pour l'Inde en mars 1959. Pékin accuse le chef spirituel d'être à l'origine de campagnes "sécessionnistes" visant à séparer le Tibet de la Chine, mais aussi d'encourager la vague actuelle d'immolations. "Depuis l'année dernière, des immolations individuelles ont eu lieu dans le Sichuan [province du centre-ouest de la Chine] et dans d'autres régions tibétaines, et ces tragédies nous sont pénibles", aurait déclaré Hong Lei, porte-parole du ministre des Affaires étrangères chinois. "Selon nos informations, nombre de ces immolations sont liées à l'entourage du dalaï-lama et à ses provocations de l'opinion à l'étranger." Des accusations que nie le dalaï-lama, qui assure mener une campagne pacifiste en faveur de l'autonomie et des libertés culturelles et religieuses qui sont refusées aux Tibétains par le pouvoir chinois.
Robert Barnett, spécialiste du Tibet, estime que les immolations sont le symptôme d'"un changement radical" du mouvement pour l'autonomie tibétaine. "Le mouvement touche désormais une zone géographique plus vaste et des classes sociales plus variées," juge Barnett, directeur du programme d'études sur le Tibet moderne à l'université Columbia, à New York. Depuis le début des années 1980 et jusqu'en 2008, les manifestations tibétaines étaient essentiellement urbaines et cantonnées à Lhassa. "Désormais, elles touchent de petites villes rurales de l'est du Tibet, et des agriculteurs, des nomades, des étudiants. Les moines et les religieuses mettent au point des stratégies plus efficaces pour faire part de leurs préoccupations et communiquer avec l'extérieur."
L'Inde garde un œil sur ce changement d'état d'esprit chez les exilés, au cas où les manifestations s'étendraient aux Tibétains à l'extérieur de la Chine. Depuis les émeutes de 2008 à Lhassa, dont Pékin avait fait porter la responsabilité à l'entourage du dalaï-lama, la frontière sino-népalaise est si étroitement surveillée que moins de mille Tibétains parviennent chaque année à rejoindre Dharamsala, alors qu'ils étaient trois fois plus nombreux avant 2008. Les Tibétains arrêtés à la frontière népalaise sont envoyés en prison à Lhassa avant d'être reconduits dans leur ville. Le dernier arrivant à Dharamsala est un moine de 18 ans, venu du monastère de Kirti, dans le sud du Sichuan – le monastère bouclé par les forces de l'ordre où ont eu lieu des affrontements entre des moines et l'armée chinoise. Enfoncé jusqu'au menton dans sa robe marron, il dit son inquiétude pour sa famille, qu'il a laissée là-bas, et refuse de donner son vrai nom. Il se fait appeler Doung Tug et raconte que, depuis un an, il a perdu un demi-frère et un camarade de classe, qui se sont immolés par le feu pour la cause tibétaine. "Je suis venu en Inde pour être libre."
"Mon demi-frère Rigzin Dorje avait 19 ans, et son ambition était de fonder une famille et de vivre en nomade", raconte Doung Tug. Le mois dernier, devant une école, il s'est donné la mort. Le jeune exilé témoigne de la présence de militaires et de policiers chinois en civil dans les monastères, et des cours de "rééducation patriotique" dispensés pour dénigrer le dalaï-lama. A cet instant, Kanyag Tsering, un moine plus âgé toujours en contact avec ses compagnons du monastère chinois de Kirti, prend la parole : "Il y a bien d'autres Tibétains, pas seulement au monastère de Kirti mais dans l'ensemble du Tibet, qui veulent venir en Inde."
http://www.courrierinternational.com/article/2012/03/09/la-grande-e...
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