Il y a des moments où l’Esprit se meut parmi les hommes, où le souffle du Seigneur se répand sur
les eaux de notre être. Il en est d’autres où il se retire et abandonne les hommes à leurs actes,
dans la force ou la faiblesse de leur propre égoïsme.


Les premiers sont des périodes où même un léger effort suffit à produire de grands résultats et à
changer la destinée, les autres sont des espaces de temps où un grand labeur n’apporte que de
maigres résultats. Il est vrai que ces moments -çi peuvent préparer les premiers ; comme la
fumée légère du sacrifice montant vers le ciel, ils peuvent appeler ici-bas la pluie de la
munificence divine.


Infortunés, l’homme ou la nation, qui se trouvent endormis lorsqu’ arrive le divin moment ou qui
ne sont pas prêts à s’en saisir parce que la lampe n’a pas été entretenue pour l’accueillir, parce
que leurs oreilles sont restées sourdes à l’appel.


Mais trois fois malheur à ceux qui sont forts et préparés, et qui cependant gaspillent leur force ou
mésusent de ce moment ; pour ceux-là, la destruction est grande et la perte irréparable. Lorsque
vient l’Heure de Dieu, purifie ton âme de toute tricherie avec elle-même, de toute hypocrisie et
vaine infatuation, afin que tu puisses regarder droit dans ton esprit et entendre ce qui l’appelle.
Toute absence de sincérité dans la nature – c’était autrefois ta défense contre l’oeil du Maître et
la lumière de l’idéal – devient maintenant un défaut dans ton armure et une invite pour les coups.
Et si tu vaincs pour l’instant, c’est plus grave encore pour toi, car le coup viendra sûrement qui te
jettera à terre au milieu même de ton triomphe. Mais si tu es pur, rejette toute crainte.


L’heure est souvent terrible, tel un feu, un tourbillon, une tempête, tel les vendanges foulées sous
la colère de Dieu. Mais celui qui peut se tenir debout à cette heure, soutenu par la vérité de son
but, celui-là durera ; même s’il tombe, il se relèvera ; même s’il semble passer sur les ailes du
vent, il reviendra.


Ne laisse pas non plus la prudence du monde murmurer de trop près à tes oreilles, car c’est
l’heure de l’inattendu, de l’incalculable, de l’incommensurable. Ne juge pas du pouvoir du Souffle
à la mesure de tes minuscules instruments, mais aie confiance et avance. Mais garde ton âme le
plus que tu peux nette des vociférations de l’égo, même si ce n’est que pour un moment.
Alors une colonne de feu marchera devant toi dans la nuit et la tempête sera ton auxiliaire et ta
bannière flottera sur les plus hauts sommets de la grandeur qui était à conquérir.


Sri Aurobindo, 1918

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