Interview : Jeremy Narby – La nature est intelligente, et nous ? – par Patrice van Eersel pour Nouvelles Clés


... Source : http://www.cles.com/debats-entretiens/article/la-nature-est-intelli...

  Dix ans après sa première hypothèse – les chamans auraient un accès direct à la double hélice d’ADN -, l’anthropologue Jeremy Narby se tourne vers des scientifiques… aux découvertes étonnamment animistes.


Nouvelles Clés : Le serpent cosmique (éd. Georg) se déroulait en Amazonie et c’est là que commence aussi votre nouveau livre, L’intelligence dans la nature (éd. Buchet Chastel). En fait, vous aviez promis à vos lecteurs une suite à votre enquête. Vous aviez découvert, très surpris, que les peuples premiers – que nous appelons schématiquement « chamaniques » et qui sont un peu nos ancêtres – n’ont pas acquis leurs connaissances originelles de façon pragmatique, par « essais/erreurs », en testant un peu tout et n’importe quoi, mais plutôt en communiquant directement avec les autres règnes vivants, dans une sorte d’intuition fulgurante. Une telle communication inter espèce suppose que les animaux et les plantes ont une conscience. Vous avez donc décidé de creuser, cette fois auprès de scientifiques, la question de savoir si toute la nature ne pouvait pas être décrite comme intelligente.

Jeremy Narby : Je suis retourné en Amazonie, puisque c’est là en effet que commence la piste qui m’a mené du chamanisme à la biologie moléculaire et m’a fait penser que la nature était intelligente. Le Serpent cosmique faisait l’hypothèse qu’en superposant les connaissances chamaniques et celles des biologistes, on se retrouvait comme avec deux cartes, deux grilles de lecture datant d’époques très différentes mais coïncidant étrangement. Les biologistes travaillent sur l’ADN, qui est une sorte de texte chimique enfoui au fond de chaque cellule. En soi, cela semble confirmer l’idée d’une intelligence, certes mystérieuse mais générale. J’ai donc repris l’enquête, en commençant par ceux qui m’en avaient parlé en premier : les chamans amazoniens, qui véhiculent à ce sujet une connaissance vieille de milliers d’années. À partir de 2001, j’ai sillonné surtout l’Amazonie péruvienne, pour interviewer les spécialistes indigènes, dans plusieurs cultures : Ashaninka, Shipibo, Shaoui, Kaldochi, Qitchua, Awahi… Ils sont tous d’accord : pour eux, les plantes et les animaux pensent, ont des plans, un savoir, sont « humains » dans leurs mondes… En fin de compte, rien de très nouveau. C’est même très ancien. Ils l’ont toujours dit et il n’y a pas trente-six façons de le dire. Au bout d’un certain temps, il s’est plutôt agi de déplacer mon travail anthropologique du côté des scientifiques…

N. C. : Les chamans disent-ils que la nature a des intentions à notre égard ?

J. N. : Il faut comprendre que pour eux, le concept de « nature » n’a pas de sens. Je leur demandais plutôt quel intérêt pouvaient avoir les plantes à nous donner des informations. La réponse était généralement qu’elles sont beaucoup plus anciennes que nous et se préoccupent de notre santé, comme des grands-parents se préoccupent de leurs petits-enfants même s’ils sont méchants. Les grands-parents ne savent pas dire non à leurs petits-enfants quand ces derniers leur demandent quelque chose ! C’est leur plaisir de les informer.

Moi, je recherchais, de façon délibérément politique, à révéler un terrain d’entente entre le savoir indigène et la science. Il est clair que l’idée d’une « intention » de la nature fait glisser le sujet vers ce que nous appellerions la « téléologie », dont les scientifiques ont a priori horreur. Je n’avais donc pas envie d’aller par là en premier. Je voulais plutôt circonscrire un plus petit dénominateur commun entre les cultures primordiales et nous, humains formés par la science du début du 21e siècle. J’ai donc laissé à l’arrière-plan les intentions de la nature, supposées ou réelles, pour devenir une sorte de diplomate entre des systèmes de savoir très différents et dépasser les approches classiques. Il m’a semblé que le travail le plus radical consistait à me comporter comme un anthropologue, non plus auprès des Indiens, mais des scientifiques. Je suis donc sorti d’Amazonie pour me rendre dans des laboratoires, notamment de biologie, et y poser des questions candides, comme je l’avais fait pendant des années dans la forêt.

La science est un autre monde que la forêt. Les scientifiques s’expriment d’abord par le texte – ce qui est assez pratique et m’a permis de connaître, sans quitter mon domicile, de repérer toutes sortes de recherches allant dans le sens de mon enquête. Par exemple des études sur le sens de l’abstraction chez les abeilles, ou sur la capacité des plantes à prendre de bonnes décisions, ou encore sur l’aptitude des moisissures visqueuses (des êtres unicellulaires) à trouver la sortie d’un labyrinthe ! J’ai contacté ces chercheurs et suis allé les interroger dans les laboratoires où ils opéraient. Ce n’est évidemment pas une étude exhaustive. J’ai plutôt reniflé ma piste, comme un chien lâché après une proie…

N. C. : Vous avez couru après des chercheurs qui s’étaient signalés sur le web comme menant des recherches en affinité avec votre sujet ?

J. N. : Exactement, bien que ne sachant pas d’avance à qui j’aurais à faire. Il faut avouer que nous avons pas mal de préjugés vis-à-vis des scientifiques : nous les imaginons froids, pressés, portant des blouses blanches et parlant à la troisième personne. Alors que chacun de ceux à qui j’ai rendu visite était large d’esprit, humble, anti dogmatique, critique des explications matérialistes simples, ouvert au mystère et, ma foi, à la pointe d’une interrogation réellement rationnelle, basée sur l’expérimentation sur… eh bien oui, sur l’intelligence dans la nature. Et montrant ce qu’il y a de beau dans la science : elle génère des résultats reproductibles et solides. C’est vrai que les chamanes peuvent, dans leurs visions, dialoguer par exemple avec l’esprit d’une abeille et apprendre des choses sur la « façon abeille » de ressentir le monde. Mais quand le chaman revient de son voyage, on n’a que sa parole. Tandis que lorsqu’un scientifique met des abeilles dans un labyrinthe, conçu de façon à montrer que ces abeilles peuvent gérer des concepts abstraits – comme de reconnaître et de transmettre aux autres la bonne piste marquée par une lettre ou par une couleur, et d'éviter les autres pistes, marquées par d’autres lettres ou d’autres couleurs -, c’est une expérience que tout le monde peut tester à son tour.

N. C. : Cela dit, un rituel à l'ayahuasca génère des visions comportant des constantes, quelle que soit la personne - par exemple des visions de serpent de toutes tailles…

J. N. : Sauf que deux personnes ne voient jamais exactement la même chose, même s’il y a certainement des recoupements possibles. Sans doute l’approche rationnelle est-elle plus myope et ne peut pas poser toutes sortes de questions – cela lui donne d’ailleurs une sorte d’humilité. En revanche, les données générées sont solides et relativement incontournables. Par exemple, quand on montre qu’une moisissure unicellulaire peut trouver le chemin le plus court entre l’entrée et la sortie d’un labyrinthe, personne ne peut plus effacer ce savoir ! Imaginez ça : une simple cellule ! On ne sait pas comment elle fait, mais le fait est définitivement établi.

L’excitant, dans tout cela, est de constater que l’Occident s’est certes coupé du chamanisme, mais que sa science est désormais assez développée pour commencer à atteindre des résultats similaires à ceux des chamans, par une approche sans doute plus myope, mais conduisant finalement aux mêmes endroits. On peut utiliser la science pour comprendre la nature. Évidemment, on peut aussi combiner les deux : science et chamanisme sont… synergiques. Mais il n’est même plus besoin de se pencher sur le chamanisme, on peut rester pleinement sur le terrain scientifique pour arriver à une compréhension quasi chamanique de la nature. Et ça, c’est une belle chose. C’était en fait mon idée de départ, mais j'ai été surpris de constater à quel point les scientifiques parlaient comme des chamans, réfléchissaient comme des chamans et avaient même des yeux comme des chamans !

N. C. : Des yeux !?

J. N. : Anthony Prewabas, par exemple, qui étudie l’intelligence des plantes et enseigne la biologie à l’université d'Edimbourg, a un regard particulièrement perçant, qui m’a fait penser à un certain nombre de chamans que j’ai connus. Le regard des chamans a été un sujet commenté à plusieurs reprises – dans Chamanes au fil du temps (éd. Clés / Albin Michel), nous avons publié des textes frappants là-dessus. Un regard souvent assez difficile à soutenir.
Finalement, le chamanisme fait quelques propositions centrales. L’une d’elles est que la nature est intelligente, que l’on peut communiquer avec elle et que les chamans développent des techniques pour cela. Une autre est que, sous la surface de la diversité des êtres, on trouve une unité cachée, qui relie les êtres et dont la connaissance se transmet de chaman à chaman. En gros, ce que les biologistes contemporains découvrent de nos jours, c’est bien ça. Ainsi, en étudiant les signaux moléculaires que les cellules des plantes s'envoient, lorsqu'elles apprennent et communiquent, Anthony Prewabas a montré que ces signaux étaient en grande partie similaires à ceux que nos propres neurones utilisent pendant que nous sommes en train d’avoir cette conversation.

N. C. : Des échanges d’ions à travers des membranes ?

J. N. : Ou carrément des protéines ou des bouts d’ARN. Nous pouvons donc toujours penser, avec notre cerveau, que le brin d'herbe à nos pieds n'a rien à voir avec nous, mais en réalité, pour que notre cerveau puisse avoir cette pensée, il doit utiliser les mêmes messages que les cellules à l'intérieur du brin d'herbe utilisent pour que celui-ci puisse assimiler de l’information du monde extérieur et prendre les bonnes décisions qui lui permettront d’exister. Telle est la vérité moléculaire mise à jour pendant les années 90. Quelqu’un comme Anthony Prewabas a découvert tout ça avec ahurissement : en prenant les molécules au sérieux, on est finalement amené à avoir un point de vue animiste ! Et ça dépasse largement les signaux neuronaux : vous savez que la moitié des gènes contenus dans le génome de la banane ont des équivalents dans le génome humain. Cela ne veut pas dire que nous sommes à moitié banane ; mais un gène étant une sorte de paragraphe d’information, qui sert à construire une protéine, la moitié des paragraphes du grand livre d’information nécessaire à l’élaboration de la banane sont exactement les mêmes que ceux du grand livre humain.

N. C. : Cette « grande unification » entre êtres vivants est d’autant plus frappante qu’à l’intérieur même de nous, les biologistes découvrent, stupéfaits, que nos neurones, nos glandes endocrines et notre système immunitaire fonctionnent avec les mêmes molécules.

J. N. : Ça va très vite. On oublie trop facilement que les premiers « textes » des différents génomes n’ont commencé à paraître qu’en 1995 (l’année de parution du Serpent cosmique). Pour ma nouvelle enquête, je ne me suis appuyé que sur les découvertes de ces dix dernières années, qui ont été d’une richesse folle et que nous sommes loin d’avoir encore intégrées. Du coup, un chercheur comme Anthony Prewabas en fait désormais presque trop, oubliant que nous vivons toujours dans un monde où les plantes sont considérées comme stupides. Le deuxième sens du mot « légume » dans le dictionnaire est une insulte s’appliquant aux êtres humains plongés dans l’inconscience du coma. C’est comme si notre vocabulaire était encore raciste envers l’ensemble des autres espèces. Nous admettons à la rigueur que certaines espèces « supérieures », grands singes, dauphins, rats, chats et mammifères en général, sont doués d’une certaine intelligence – ce qui revient à enfoncer une porte ouverte -, alors que nous nous refusons à étendre cette qualité aux reptiles ou aux insectes, et encore moins aux plantes, qui n’ont pas de cervelle. Ce préjugé s’avère faux.

N. C. : Faux du haut en bas de l’échelle. Votre nouvelle enquête passe progressivement des êtres unicellulaires aux plantes, puis aux insectes, avant d’en arriver finalement aux mammifères, notamment au jaguar, qui règne en quelque sorte sur la forêt amazonienne…

J. N. : C’est une figure majeure de cette région. Les chamans s’affirment capables de se transformer en jaguar, c’est-à-dire de se mettre, au cours de leur transe, dans l’état d’esprit de ce félin. La transformation est un thème qui revient sans cesse dans le chamanisme. Mais qui revient sans cesse aussi en science ! Rien ne reste tel, tout se transforme et même nous, nous sommes le fruit d’une évolution qui n’a de cesse de transformer les êtres. Chamans et scientifiques ont donc en commun de voir, non seulement l’unité sous la surface de la diversité, mais aussi les transformations permanentes qui grouillent sous l’apparente stabilité. La nature est un magnifique paradoxe, comme le Concombre masqué de la bédé : « Tel qu’en lui-même, toujours il change. »

La molécule d’ADN n’a apparemment pas changé en quatre milliards d’années, alors que son mécanisme intrinsèque a généré des milliards de formes se métamorphosant en permanence, à l’infini. C’est pourquoi les néodarwiniens ont raison de mettre l’emphase sur l’évolution et de la placer au centre de tout – même si je ne suis pas d’accord avec eux quand ils disent que le moteur de celle-ci est une accumulation de mutations aléatoires. À mon sens, toute certitude sur le moteur de l’évolution et sur les causes finales, dans un sens ou dans l’autre, relève de la croyance théologique et pas de la démarche scientifique. Ce moteur n’est pas démontrable ! Certains sont convaincus qu’il ne fonctionne que par hasard et nécessité, d’autres que c’est Dieu qui a fait le coup. Je ne veux surtout pas me positionner sur l’un ou l’autre terrain. Je veux rester agnostique. En tant que diplomate entre les savoirs, surtout préoccupé par l’état de la biosphère où nous vivons, je sais que je ne sais pas : les causes ultimes de l’évolution m’échappent.

N. C. : Renvoyons donc dos-à-dos les néodarwiniens, si attachés à leur athéisme militant, et les créationnistes biblistes, qui voient la main de Dieu partout. En affirmant : « L’univers n’a pas de but ! », les premiers ne se rendent généralement pas compte qu’ils ont le même mode de pensée que les seconds, alors qu’ils dirigent les universités et gouvernent l'idéologie et les médias ! À ce propos, que pensez-vous des virulentes attaques des néodarwiniens contre les partisans de l'« intelligent design » ? Ces derniers ne disent-ils pas, comme vous, que la nature a une intelligence intrinsèque – ce qui, selon eux, prouve l’existence de Dieu ?

J. N. : Il ne faut pas tous les mettre dans le même sac. Certains sont plus fins que d’autres. Michael Behee (?), William Dembsky sont des gens qui posent tout de même de bonnes questions – dont celle de l’intelligence de la nature, que je trouve bien sûr excellent de mettre sur la table. En revanche, vouloir en profiter pour importer Dieu dans la nature ne me semble pas judicieux.

N. C. : Que l’on parte des grandes percées scientifiques du 20° siècle (en particulier en physique de l’infiniment petit, où le réel nous échappe) ou du dialogue culturel entre Occident et Extrême Orient (où l’ineffable Tétragramme jouxte l’ultime Vacuité), il semble nettement plus… intelligent, c’est le mot, de se garder de ce genre de raccourci. Seul un agnosticisme positif et ouvert peut fédérer les différentes croyances !

J. N. : J’aime l’idée que c’est le processus évolutionnaire lui-même qui est intelligent. Une intelligence interne en quelque sorte. Interne au monde, au réel, à la matière, plutôt qu’une intelligence « au-dessus » ou qu’un hasard aveugle. J’ai abordé la question dans un séminaire de trois jours, aux États-Unis, ne sachant pas quel accueil me serait fait. C’est très bien passé, je n’ai eu droit qu’à des applaudissements. Ni les scientifiques, ni les spiritualistes présents ne m’ont agressé. Tous avaient plutôt envie de prolonger la discussion. Je crois que le monde commence à être prêt pour une sorte de synthèse. D’ailleurs, ce qu’on peut observer, dans ce match d'« Intelligent design contre Néodarwinisme », c’est qu’ils sont tellement comme deux béliers se rentrant dedans, qu’on ne peut à l’évidence pas en rester là. On a nettement besoin d’une synthèse. Car enfin, nous sommes tous concernés ! Certes, chacun a le droit de croire ce qu’il veut, mais ce qui est en question, c’est la vie elle-même et son sens ! Alors, il n’y a aucune raison pour que tel ou tel groupe puisse tranquillement affirmer que ce sens est ceci, ou qu’il est cela et que nous l'acceptions ! Il serait intéressant de voter sur ces questions, mais au préalable, il faudrait vraiment informer l’opinion, sur les données et les enjeux, ce qui n’est pas le cas actuellement. Mais je pense que la plupart des gens qui lisent un peu ou qui ont, ne serait-ce qu’un chat ou un chien, savent bien que les humains n’ont pas le monopole de l’intelligence, de la conscience, de la sensibilité. Ils savent que la vie est sacrée, que nous vivons dans un monde matérialiste et technologique qui l’a désacralisée, et qu’il y a donc un problème. Et un désir grandissant de se rapprocher de la nature de manière un peu plus fine.

C’est clair, qu’il y a une intelligence dans la nature et jusqu’au fond de nos cellules. C’est clair qu’il y a quelque chose d’ahurissant et de mystérieux dans la vie. C’est clair que l’évolution a eu lieu et que nous faisons partie. Pour un être humain, comprendre la biosphère est sans doute aussi compliqué que pour une fourmi de comprendre New York. C’est difficile, nous sommes trop petits… tout en nous débrouillant finalement pas si mal. Et je crois que l’agnosticisme aide à s’ouvrir au plus grand nombre possible de données, mais sans nécessairement vouloir tout de suite retomber sur des certitudes. On peut tout de même en savoir beaucoup plus sur la biosphère qu’une fourmi. J’aime croire dans le savoir, tout en me sachant ignorant, à jamais, des causes finales.

N. C. : Quand vous parliez des gens qui ont des animaux domestiques, vous m’avez fait penser au biologiste Rupert Sheldrake, qui a écrit, il y a une quinzaine d'années, un livre intitulé L’âme de la nature. Quelle différence entre lui et vous ?

J. N. : C’est carrément un scientifique et il y va frontalement – c'est tout à son honneur, car il en a pris plein la figure. Total respect pour Rupert ! Je tente un autre sentier, plus indirect. Je suis un anthropologue qui mène une enquête auprès des Indiens et des scientifiques et je leur donne tour à tour la parole, c’est tout. À chaque lecteur citoyen de penser ensuite ce qu’il veut. Si, ayant lu mon bouquin, il pense toujours que la nature est une grosse machine que l’on peut piétiner et exploiter, libre à lui ! Je ne me confronte à personne. Quand Rupert Sheldrake a écrit son premier livre, la revue Nature a dit qu’il fallait le brûler ! Rien de tel contre moi. J’embrasse les scientifiques qui découvrent des choses nouvelles et je mets simplement en lumière le fait que ces découvertes sont parallèles à ce que les cultures indigènes disent depuis longtemps. C’est donc une bonne nouvelle ! J’aime l’approche aïkido et le respect…

N. C. : … tout en reconnaissant qu’il y a souvent malentendu sur les mots : « savoir », « connaissance », « know how » ne recoupent que très partiellement leurs homologues dans d’autres langues. Vous nous proposez ainsi d’adopter le mot japonais « shi seï », pour nous élargir l’esprit…

J. N. : Chaque mot est une valise chargée, parfois bourrée de linge sale. Le mot intelligence est souvent défini dans les dictionnaires occidentaux comme une spécificité strictement humaine, qui ne peut donc en aucun cas s’appliquer à des êtres non humains. Nos préjugés nous sont donc injectés dès l’apprentissage des mots. Même chose pour le mot Nature, qui est censé définir tout ce qui n’est pas humain dans l’univers. En ce sens, l’expression « intelligence dans la nature » est une impossibilité. Du moins en anglais ou en français. Depuis que le chercheur japonais xxxxx a découvert qu’une moisissure unicellulaire pouvait résoudre l’épreuve du labyrinthe et qu’il a écrit dans la revue Nature qu’elle était donc « intelligente », il se trouve confronté à deux types de journalistes : les Occidentaux lui demandent surtout de s’expliquer sur le mot « intelligent » appliqué à une cellule ; alors que les Extrêmes Orientaux, eux, veulent surtout savoir, en détail, comment la moisissure a réussi son coup. Nos concepts même nous empêchent d’intégrer les nouvelles données ; ils sont trop carré, alors qu’il faut intégrer des cercles. La culture européenne est partie de l’idée d’une séparation entre l'humain et la nature, d'une séparation explicable justement par notre intelligence, ce trésor si unique qui était censé nous caractériser, alors que tout le reste de la nature était peuplé de sortes de robots !
Il y a désormais un très grand nombre d’approches différentes du concept d’intelligence. Le mot nippon shi seï (capacité de savoir), par exemple, est celui qui met les Japonais à l’aise pour parler aussi bien des moisissures que des humains, quand les uns ou les autres font preuve d’une « capacité de savoir ». Cette définition semble convenir à beaucoup de gens, dans beaucoup de situations. Pour nous dégager du bourbier sémantique où nous sommes enlisés, nous autres, Occidentaux, qui commençons tout juste à réfléchir à l’intelligence qu’il y a chez les non humains, je propose donc d’importer ce mot japonais !

N. C. : À l’autre extrême, des gens comme Albert Jacquard vont jusqu’à dire qu’il n’y a pas de différence de fond entre l’animé et l’inanimé. Nous, avec notre conscience, nos émotions et notre intelligence, nous ne serions jamais qu’un état de la matière, comme il y a des liquides, des solides, des gazeux…

J. N. :   Entre le chamanisme et la biologie, j’ai mon assiette assez pleine. La physique échappe à mon enquête. Il me semble pourtant qu’il y a une différence fondamentale entre un tas de sable et une vache le premier ne peut pas s’autodupliquer, le second a la capacité à le faire. On compare complaisamment nos technologies a des êtres vivants, mais c’est une imposture : elles ne sont pas capables de se reproduire et de véritablement s’autogérer. Votre téléviseur ne peut pas tout d’un coup devenir deux télés ! Entre le vivant et l’inerte, il reste une prouesse inégalable. Malgré tous les progrès de la biologie, nous serions incapables de former un être humain simplement à partir d’atomes ! Je vois donc toujours une grande distinction entre le vivant et l’inorganique.

N. C. : Pour finir, et pour dire un mot de la crise biosphérique majeure que nous traversons, pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « bon prédateur » – un terme que vous utilisez à propos des jaguars et que vous aimeriez pouvoir étendre aux humains.

J. N. : C’est devenu une évidence depuis peu. Nous faisons partie de la toile de la vie et sommes construits comme les autres êtres vivants et le fait d'empoisonner ces derniers, c'est nous empoisonner nous-mêmes. Nos pollutions se retournent contre nous et nous rendent malades. Il nous faut donc affiner la connaissance des autres espèces, avec qui nous vivons et que nous mangeons. Nous sommes le prédateur n°1, au sommet de la chaîne alimentaire, et c’est vrai que nous sommes une jeune espèce – l'Homo sapiens n’a que deux cent mille ans – et que nous avons à apprendre auprès d’autres grands prédateurs, beaucoup plus anciens que nous. Les jaguars sont, dans leurs forêts, les n°1. Comme nous, ils sont très polyvalents, courent, nagent, grimpent aux arbres, mangent des reptiles, des poissons, des tortues, des singes ou des chevreuils. Ils n’ont pas de rivaux et redoutablement efficaces. Mais contrairement à nous, ils sont très discrets. À tel point que les biologistes ont beaucoup de mal à les étudier – ils n’ont jamais pu surprendre une femelle mettant bas.

À lire :
– Le serpent cosmique, éd. Georg
Intelligence dans la nature, éd. Buchet Chastel
Chamanes au fils du temps, éd. Clés / Albin Michel

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