Thomas d’Ansembourg a exercé la profession d’avocat au Barreau de Bruxelles et parallèlement il s’est engagé, pendant dix ans dans une association d’aide concrète aux jeunes qui connaissent des problèmes de délinquance, violence, prostitution et dépendances.
Par cette double approche, juridique et sociale, il s’est impliqué dans la gestion des conflits et la recherche de sens. Il se forme à différentes approches psychothérapeutiques, et particulièrement à la méthode de la Communication NonViolente (CNV) avec son fondateur Marshall Rosenberg. Il devient en 1994 son assistant, puis de Guy Corneau dans le cadre d’ateliers qui permettent d’explorer la relation entretenue avec soi-même, avec les autres (parents, conjoint, enfants, famille, collègues, etc.) et avec la vie.
Depuis 1995, il anime des conférences et ateliers en Belgique, en France, en Suisse, au Québec et au Maroc.
Bibliographie : 2001 : “Cessez d’être gentil, soyez vrai – Etre avec les autres en restant soi-même”- Editions de l’Homme.
2004 : “Etre heureux ce n’est pas nécessairement confortable” aux Editions de l’Homme et chez Pocket.
2008 : “Qui fuis-je, Où cours-tu, A quoi servons-nous ? Vers l’intériorité citoyenne” Editions de l’Homme.
Il vit en Belgique avec sa femme Valérie, et leurs trois filles.
www.thomasdansembourg.com
- Thomas, vous enseignez la communication non violente. Parlez-nous de votre cheminement.
Je me suis formé avec l’inventeur Marshall Rosenberg qui était un docteur en psychologie clinique américain, et qui est décédé l’année passée. J’étais à la source. J’ai eu la chance de me former avec lui, d’apprécier son intuition, sa profondeur et la dimension spirituelle de cet être humain hors du commun.
- Pourquoi justement vous y êtes-vous formé, était-ce une nécessite ? Pourquoi la CNV plutôt que la PNL ?
J’avais entendu parler de la PNL effectivement, mais les choses n’arrivent pas par hasard. J’étais avocat et je m’ennuyais un peu. Pour retrouver quelque chose de passionnant qui m’implique, je me suis occupé de jeunes de la rue pendant 10 ans. Un jour le directeur du centre m’appelle et me parle de Rosenberg. Il me cite quelques interactions… Je lui dis « Je souhaite me former avec cet homme-là ».
Dès que j’ai rencontré Marshall lors d’un stage de 4 jours j’ai eu envie d’intégrer cette approche pour moi. Ça me faisait vibrer.
- Est-ce que cela vous a aidé comme outil de communication par rapport aux jeunes en détresse ?
OUI au départ je venais pour cela. Pour mieux comprendre la détresse, la violence, la violence contre soi, les scarifications, les addictions, je voulais mieux comprendre cela.
Je ne me doutais pas qu’en entrant dans cet outil de pacification j’allais surtout apprendre à pacifier cet humain-là, à l’intérieur de moi-même et que ça allait m’aider à pivoter à l’intérieur de moi pour regarder les enjeux de façon complètement différente. Dans les années qui ont suivi j’ai totalement quitté la vie de juriste pour devenir un thérapeute, me former, devenir conférencier et auteur et transformer aussi ma vie affective.
Ce travail d’alignement, de discernement sur moi-même, de compréhension de mes freins, de mes blocages m’a permis de comprendre pourquoi j’avais peur de l’engagement affectif, et comment je pouvais démanteler cette peur de l’engagement pour entrer dans une relation de couple heureuse, et faire une famille et des enfants. Ce que je vis aujourd’hui avec immense joie et gratitude depuis 17 ans.
Donc ce n’est pas seulement un outil de communication, de relation. Ça l’est, mais c’est aussi et surtout un outil de connaissance de soi et d’ancrage dans qui nous sommes vraiment. Et cet aspect n’est pas très connu et cependant extrêmement bénéfique.
C’est citoyen d’apprendre à savoir qui l’on est et à s’aligner dans le meilleur de soi car on l’offre aux autres.
- Vous entendre donne envie de s’y mettre soi-même ! Est-ce que, de vous former à la CNV vous a permis d’être plus conscient de ce que vous viviez ?
Oui tout à fait, j’ai mesuré combien j’étais éduqué dans un conditionnement avec certaines visières, certains prismes, qui me faisaient voir les choses comme ça plutôt que comme ça, par habitude.
Mes parents m’ont éduqué avec les meilleures intentions du monde. Toutefois, leurs clichés, leurs préjugés ont créé un certain formatage.
J’ai réalisé qu’en déformant ce formatage je m’ouvrais à la vraie personne que j’étais, derrière le personnage gentil, policé, bien construit, propret qui ne dérange personne.
J’ai réalisé qu’au fond c’est un énorme appauvrissement. En côtoyant les jeunes de la rue et les personnes qui venaient en thérapie, je mesurais combien au coeur de chacun de nous il y a un foisonnement de richesses mais qui est étouffé derrière des habitudes, il ne faut pas déranger, ne pas parler plus fort, ne pas montrer qui on est, ne pas montrer sa sensibilité.
- C’est très freudien ces blocages qui remontent à l’enfance. Vous nous invitez à retrouver cet enfant intérieur pour retrouver cet état de béatitude : s’émerveiller de tout.
Oui je pense que nous sommes sur terre pour nous enchanter d’être en vie, dans un monde vivant. Je suis profondément convaincu, que le sens de la vie est l’enchantement. Vous voyez bien ce qui nous rend le plus heureux c’est une belle tablée de famille et d’amis qui partagent des bonnes choses, qui s’échangent des souvenirs. Ce sont des moments où l’on crée, où l’on aide, on prend soin, on se balade en forêt, on accompagne un malade, on donne la main à une personne en fin de vie…
Ces moments de mouvement à travers la vie sont ceux qui nous enchantent.
Sur notre fil rouge, dans les premières années de notre vie, le petit enfant est dans un état de paix intérieur profond la plupart du temps. Il se sent relié, il est là, sans appréhension du futur, sans regret du passé, il est là, présent. Il nous faudrait des années de méditation pour tenter de revenir là, à grands frais qui plus est.
Alors qu’on y était. Que s’est-il passé ?
A ce petit enfant qui est là, présent, attentif, des parents bienveillants, des enseignants bien intentionnés auront dit : « on ne fait pas les choses parce qu’on est bien dedans là, dans l’instant.
Non , on fait les choses parce qu’il est l’heure. Parce qu’il est temps, parce que c’est par ici et pas du tout par là. Parce qu’il faut étudier, étudier beaucoup, travailler, travailler beaucoup, trouver un conjoint, faire des enfants, payer sa pension de retraite et ne pas oublier de téléphoner à belle maman. »
Et mine de rien, sans rien y voir, ce petit homme quitte son élan de vie, il se conforme à la norme, il se coule dans le moule, il achète la paix sociale. Il est Gen-til…
On n’est pas sur terre pour vivre une vie matérielle. Il y a certes des choses à faire qui sont la logistique de l’être mais on a inversé le cours de choses.
Si moi, être humain, j’ai quitté mon enchantement pour me couler dans un moule, et que je vis dans des enfer-me-ments, qu’est-ce que je fais la plupart du temps ? Je compense mon mal-être. Je picole un petit peu trop, je prends deux trois médicaments un petit peu trop, je joue sur les écrans un petit peu trop, je regarde la télé un petit peu trop, je roule un peu vite, un petit peu trop.
Et bien sûr que notre société de consommation s’engouffre dans ce cap que j’ai laissé entre mon élan de vie et ce que je suis vraiment. Allez-y soyez malheureux, je vous compense. Surtout ne travaillez pas à votre discernement, votre conscience, votre alignement, votre discernement ! Vous cesseriez de consommer. Il y a donc bien un intérêt citoyen à apprendre qui je suis pour reconnaitre mes vrais besoins et ne pas être piégé par mes envies.
- Ce qui m’a surpris dans votre conférence, c’est le chiffre de 25% de la population qui tente de réenchanter le monde en changeant sa façon d’être…
Oui, ça c’est la force que nous avons. Il n’y a pas de fatalité au désenchantement actuel, nous possédons un pouvoir aussi considérable qu’ignoré. Le pouvoir de réenchanter notre propre vie et celle de nos proches en étant plus attentif, plus vigilant, plus ouvert, plus
généreux, plus patient, plus empathique.
Ce pouvoir est en nous, nous avons juste besoin de quitter les habitudes de rapports de forces, d’action réaction.
Aujourd’hui le mouvement des
créatifs culturels indique que 25 à 30 % de la population est en voie d’ouverture, de remettre l’humain au centre, de considérer que l’humain est sacré, que la terre est sacrée. Le respect, l’équité est essentiel. Je rencontre des jeunes qui ne sont plus du tout dans la course au succès, à l’apparence. Ils n’ont pas besoin de voiture, ils louent ou partagent à l’occasion, certains n’ont pas de téléphone, ils n’ont qu’une boîte mail qu’ils ouvrent à la maison car ils ne veulent pas être dérangés. I
ls ne sont pas intéressés par faire de l’argent, mais ils veulent une vie bonne et généreuse, du temps avec leur famille et leurs enfants. Dans les entreprises dans lesquelles je travaille à l’occasion, on observe des difficultés entre les seniors qui bossent 15 heures par jour, conditionnés pour gagner de l’argent et les jeunes qui arrivent et qui disent « moi je quitte à 18 heures, j’ai un bébé dont je dois m’occuper ». C’est intéressant à observer.
- Dans ce cas vous oeuvrez à réhabiliter le dialogue entre ces différentes personnes ?
OUI accepter la différence. L’autre a parfaitement le droit de penser autrement et j’apprends donc à me déposséder de mon envie de toute-puissance, à m’ouvrir à l’altérite et en cela la vie est un parcours initiatique, ce n’est pas un truc tout confort.
Particulièrement dans ma vie de couple, apprendre à tolérer que l’autre soit autre, qu’il voit les choses autrement et ne plus craindre que les désaccords fassent du désamour. Celui a qui a fait carrière 15 heures par jour pendant 25 ans, a cherché à être heureux et en paix, à assurer un confort à sa famille. Celui qui rentre à 18h, il veut la même chose, il veut être en paix, heureux et assurer un confort à sa famille.
Ce sont les mêmes besoins nourris par des stratégies bien différentes mais je crains que la stratégie des générations précédentes ait été contreproductive.
- Vous parlez de la culture du malheur…
Parfois on a du mal à accepter le bien-être, on est habitué au malheur, à la frustration, au mal vivre et cela nous énerve mais on connaît, c’est familier. On a une culture du malheur, nous sommes pétris dans le malheur. Beaucoup de guerre, de maladie, de mortalité infantile en Europe encore récemment.
Notre disque dur s’est encodé, on n’est pas là pour rigoler. C’est un premier vaccin anti-bonheur. Par contre le bonheur, l’accueil, le bien-être c’est inconnu, c’est suspect. Il peut donc y avoir une partie de nous qui pourrait saboter le processus pour retrouver un état de tension et d’agacement qui nous est familier.
Personnellement j’ai eu besoin d’apprendre à me déprogrammer de la culture de la tension. J’ai grandi dans une famille aimante, avec de bons parents mais il y avait pourtant des tensions, des agacements.
J’ai grandi dans ce climat : vivre cela suppose des incompréhensions et des agacements. Tout d’un coup dans ma relation de couple avec Valérie ma femme on s’entend, c’est fluide, agréable et j’ai trouvé cela suspect. Alors je remettais de la tension, je m’énervais.
Heureusement j’avais pu comprendre mon piège, et en faire part à Valérie. Je lui ai dit « Si je sabote indique-le-moi » et un jour elle m’a dit « Stop tu sabotes ».
- Quel est le message de votre livre « Du je au nous, l’intériorité citoyenne le meilleur de soi au service de tous » ?
Le message est de montrer que si j’apprends à bien me connaître, à savoir qui je suis, inévitablement, cela va m’amener dans un processus d’ouverture, de générosité, d’attention, de solidarité. Ce qui crée l’égoïsme, c’est la peur de manquer : je mets des cloisons, des divisions et je rejette.
Si je me connais bien je n’ai pas peur de manquer, je sais que j’appartiens à un monde généreux, à une vie qui est vivante et soutenante et donc je m’ouvre aux autres dans un élan de connaissance, d’ouverture, une curiosité joyeuse d’être avec l’autre. Je ne demande à personne de me croire sur parole, je partage simplement ce que j’observe depuis plus de vingt ans en accompagnant les personnes.
Je n’ai pas vu une personne apprenant à se connaître se renfermer en soi. Il y a peut-être un stade, le stade exécrable, comme on le nomme en termes thérapeutiques, le « je, me, moi », et ce stade fait partie du processus.
Il est à dépasser pour retrouver le plaisir d’être dans le nous. Il y a « je », il y a « tu » et il y a « nous ». Et ce qui nous nourrit le plus, bien sûr c’est d’être dans le « nous » !
Interview réalisée par l’association Planet’aiire
LIEN VIDEO :
https://www.soleil-levant.org/2016/10/interview-de-thomas-dansembou...
Pour ajouter un commentaire, vous devez être membre de ‘épanews’.
Rejoindre épanews (c'est gratuit)