« L’amour d’un être humain pour un autre, c’est peut-être l’épreuve la plus difficile pour chacun de nous, c’est le plus haut témoignage de nous-même ; l’œuvre suprême dont toutes les autres ne sont que les préparations. »
Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète
Un de mes amis, qui étudie la méditation à mes côtés depuis de très nombreuses années, est parti en retraite pour une dizaine de jours. Avant de partir, nous avons discuté ensemble à propos des pratiques sur lesquelles il pourrait mettre l’accent.
Je lui ai confié un cycle de méditation sur la bienveillance, la tendresse et la compassion, convaincu que cela l’aiderait grandement.
A son retour, il m’a dit avoir été surpris : « Je n’avais pas du tout réalisé avant cette retraite que ce dont je souffre le plus est d’un manque de bienveillance. Je n’avais pas du tout vu combien je suis dur avec moi et les autres.
Tu insistes pourtant souvent sur le fait que notre souffrance, nos problèmes relationnels avec notre conjoint, nos enfants, nos proches, nos collègues de travail, mais aussi nos difficultés tout court viennent de là. Je t’entendais, mais je ne me sentais pas vraiment concerné jusqu’à maintenant ».
Cette discussion m’a fait un choc et m’a conduit à admettre que les notions de bienveillance, d’amour, de compassion sont en effet presque inaudibles.
Comme éditeur, j’ai publié plusieurs ouvrages magistraux sur le manque de bonté, de bienveillance et de compassion. Et ce sont chaque fois des livres qui ne trouvent pas leur public.
Quand j’enseigne les journées pour apprendre à méditer, celles que je consacre à la bienveillance sont celles qui attirent le moins de gens.
Cette énigme ne cesse de m’interroger. Pourquoi ?
Cela me frappe d’autant plus que, pour moi, ce que la méditation a le plus éclairé est précisément la découverte de la bienveillance et la révolution qu’implique la redécouverte de la bienveillance.
Je voudrais tenter ici quelques réponses qui ne sont, j’en ai bien conscience, que très sommaires et incomplètes.
Première raison — le phénomène de la bienveillance est très vaste et prend plein de visages différents. Il est donc difficile de comprendre aisément ce que l’on veut dire par cette notion.
La bienveillance implique de prendre soin — prendre soin de la tasse dans laquelle je bois mon thé, de cet oiseau qui vient manger dans ma main, de cette personne en difficulté, de moi qui rencontre des difficultés, qui suis malade, qui échoue, qui a peur, qui voudrait mieux faire, ne pas se mettre en colère, avoir moins peur…
Elle est donc tout aussi bien l’écoute, l’attention, la bonté, la tendresse…
Car sans que nous en soyons toujours conscients, nous sommes de toute façon sensibles à ce qui arrive — j’ai reçu une bonne ou une mauvaise nouvelle, je suis triste, en colère ou joyeux, c’est l’hiver – mais nous portons peu attention à la manière dont nous nous relions à tout cela.
Or c’est là que joue la bienveillance : elle transforme notre relation à tout ce que nous vivons.
Elle rend tout plus vivant ! Je sens ma peur, une douleur, une inquiétude – la bienveillance est la capacité à pouvoir entrer en rapport avec ce qui m’arrive. Le contraire de la bienveillance est la brutalité qui me conduit à rejeter ce qui m’arrive, à ne pas vouloir en reconnaître la présence…
En ce sens le signe patent de la bienveillance est un sens de solidité et de force. Parce que je suis bienveillant envers moi, je n’ai pas peur de mes émotions, de mes besoins, de mes attentes, de mes convictions, de mes allants…
La bienveillance n’a donc rien à voir avec une sorte de complaisance paresseuse avec laquelle on l’identifie. Car, en effet, nous croyons qu’être bienveillant implique l’abandon de toute exigence, de tout possibilité de changement. C’est en réalité, exactement l’inverse.
Ce n’est pas en terrorisant un enfant qu’il apprend plus facilement une leçon ! Et bien, il en est de même avec nous !
Nous croyons que si je suis bienveillant avec moi, cela va impliquer un renoncement à toute forme d’amélioration, de changement, d’avancée.
Voilà aussi une idée tellement violente ! Comme si la seule force qui nous pousserait en avant était la brutalité !
C’est ainsi que l’on a été certes éduqué enfant. Il faut redoubler d’efforts, surtout ne pas se laisser aller.
Mais est-ce vrai ? Est-ce que la bienveillance n’est pas à même de nous faire avancer ?
Est-ce que ce regard bienveillant d’un enseignant ne m’a pas donné des ailes et pousser à faire des efforts dont je ne me croyais pas capable ?
Entre la compassion envers les autres et la bienveillance envers soi, il y a pour nous un fossé.
La première nous semble un devoir moral, un peu abstrait et aussi écrasant. En faisons nous jamais assez par rapport à toute la souffrance qui existe dans le monde ?
La seconde nous semble une forme d’égoïsme, et par là une pratique illégitime. Elle semble même d’autant plus égoïste qu’il nous faudrait être compatissant.
Or il y a deux problèmes différents ! Ce n’est pas parce que je m’occupe de moi que je ne vais pas m’occuper de Paul.
L’égoïsme n’est pas du tout lié à un acte de bienveillance envers soi, mais à un manque profond de bienveillance. C’est parce que je manque d’une réelle bienveillance envers moi que j’ai sans cesse besoin de confirmation, voire d’écraser les autres pour me rassurer…
Avoir un rapport bienveillant avec soi est le socle de la paix et de la bonté — et de tout accomplissement.
Il y a peu, je me suis trompé de RER — au lieu d’aller à mon rendez-vous, je me suis retrouvé dans l’autre sens. J’étais déjà en retard. J’ai commencé à m’en vouloir et me faire des remontrances — j’ai vu alors la brutalité avec laquelle j’étais en train de me parler. Si j’avais été avec un ami, j’aurais eu une parole réconfortante.
Mais là, puisqu’il s’agissait de moi, je m’accablais ! Grâce à la pratique, ce que l’on ne remarque souvent même pas m’a sauté aux yeux.
Les pratiques de bienveillance ont le pouvoir extraordinaire de dissoudre toutes ces formes de brutalité envers nous-même. Or il n’y a aucune raison de continuer à être dur avec soi !
Quel soulagement de dissoudre peu à peu cette atmosphère de violence ordinaire dans laquelle nous vivons trop souvent !
Une autre difficulté vient de la confusion entre l’amour, avec toutes ses connotations complexes et ambiguës, et la bienveillance.
Ma grand-mère m’aimait profondément. Mais au nom de son amour, dès que je venais la voir, elle me torturait.
Je n’aurais pas dû avoir les cheveux aussi longs, et est-ce que j’avais appelé mon cousin et pourquoi je ne venais pas la voir plus souvent et quand j’allais revenir et pourquoi…
En un sens, elle m’aimait mais n’avait aucune bienveillance envers moi. Du reste, elle n’avait pas en elle la place de voir qui j’étais. Elle m’aimait et donc elle exigeait que je fasse ce qu’elle souhaitait, que je sois disponible pour elle.
On comprend que pour beaucoup l’amour est ainsi souvent vécu comme un fardeau et qu’il soit à la fois désiré et redouté.
Pour des raisons que l’on comprend très bien, nombre de gens expliquent n’en avoir rien à faire de la bonté.
Ce qui importe est de toucher à la vérité.
Un thérapeute ne cherchera pas à être bienveillant avec son patient mais à l’aider pour de bon. Le médecin, l’enseignant, ne cherchent pas à aimer leur patient ou leur élève, mais à accomplir leur tâche.
Je comprends la nécessité qui préside à un tel souci — délivrer la relation d’une gangue sentimentale inutile et vaine.
Mais en réalité, c’est parce que le thérapeute ne cherche pas à être bienveillant qu’il est juste, et donc bienveillant. Le thérapeute sympathique, mais qui n’est pas dans un vrai travail, ne peut évidemment pas vous aider réellement.
Aussi, je crois à l’inverse qu’il faut dire : aucun thérapeute, médecin ou enseignant ne peut faire ce qu’il accompli jour après jour sans aimer ce qu’il fait, sans aimer les personnes avec qui il est en relation. Sans une profonde bienveillance qui lui permet de pouvoir laisser être ce qui est.
Mais pour réussir à retrouver ce sens oublié de la bienveillance, il faut le distinguer de la sentimentalité sucrée, ne pas le confondre avec une relation affective bouleversante. La bienveillance implique l’intelligence d’être avec ce qui est. Il y a plus de bienveillance dans le thérapeute qui permet à son patient d’être pleinement qui il est, qui par sa présence lui donne l’espace dont il a besoin, que dans l’amoureux ou l’amoureuse qui fantasme sur la star de télé réalité.
Au cœur de toutes ces mécompréhensions, réside l’idée que nous devrions être plus bienveillant. Or cela est particulièrement angoissant.
Ces pratiques visent justement à vous faire abandonner ces exigences qui reposent sur un manque de bienveillance.
Les méditations sur la bienveillance ne visent pas à injecter en nous de la bonté, mais visent à nous réapprendre à habiter cette qualité de présence que nous connaissons tous mais dont nous nous sommes détournés, que nous avons désertée, que nous confondons avec de nombreuses contrefaçons.
On ne peut pas faire des efforts pour être bienveillant — on peut apprivoiser l’espace de la bienveillance et découvrir la joie profonde qu’il y a à y vivre.
Partout, les grands enseignants de méditation s’attachent aujourd’hui à transmettre ces pratiques.
Nous aurons la grande joie dans l’École occidentale de méditation de recevoir Thupten Jinpa, chercheur, ancien moine, et l’un des principaux traducteurs du Dalaï-Lama, il vient de publier N’ayons plus peur — Oser la compassion peut transformer nos vies, où il présente son travail pour transmettre les pratiques de bienveillance en relation avec les médecins et chercheurs de l’Université de Stanford.
Vous pourrez voir en direct la retransmission de cette rencontre sur la chaîne Youtube de l’École occidentale de méditation jeudi 8 décembre à 20H. Pour venir à la soirée inscrivez-vous ici. Attention, nombre de places limité.
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