Je publie ci-dessous la transcription d’un entretien que j’ai donné sur le rêve dans le cadre d’un dossier sur la créativité en mai dernier. Le style est pour cette raison très oral et informel, aussi l’article est quelque peu différent des précédents. J’y aborde mon avis sur certains éléments concernant le rêve lucide et le fonctionnement onirique, qui pourraient intéresser certains lecteurs je l’espère.

Peux-tu nous expliquer l’origine de ton intérêt pour les rêves ?

Ça vient sans doute du fait que j’ai toujours eu une vie onirique assez riche. Mes premiers souvenirs de rêves sont anciens, j’ai encore clairement en tête plusieurs rêves datant de l’âge de 4 – 5 ans. Notamment, je me souviens très nettement d’un cauchemar, à mon avis mon premier vrai cauchemar – on me coupait une jambe – qui m’avait vraiment effrayé à l’époque ; j’étais encore en maternelle. J’ai fait beaucoup de rêves lucides à partir du collège surtout ensuite, sans vraiment me poser de questions à ce sujet.

J’ai vraiment commencé à m’intéresser à ça de façon plus approfondie vers l’âge de 16 – 17 ans, avec mes premières expériences de transe. Pour moi, c’était un portail d’exploration, à un âge auquel j’avais très envie de voyager mais où je ne pouvais pas partir tout seul. Le fait de me concentrer sur l’expérience intérieure m’a servi d’exutoire, sans doute. Pour moi, le rêve était une façon de vivre des aventures, de découvrir des choses sans avoir à bouger. C’était agréable qui plus est. J’avais beaucoup de rêves lucides à l’époque : j’avais une certaine conscience de ce qui se passait, c’était plutôt sympa.

Tu parles de rêve lucide, qu’est-ce que c’est ?

Ma définition du rêve lucide, c’est un rêve dans lequel tu as conscience de rêver. La question qui revient souvent, c’est « quel intérêt ? ». Sans doute de pouvoir mieux profiter de l’expérience, j’imagine. S’immerger dans cet environnement purement immatériel et tester des choses (voler, découvrir d’autres perceptions, etc.). Essayer d’interagir avec les personnage aussi : ils sont comme des interfaces vers des parties de ton esprit auxquelles tu n’as pas accès consciemment.

C’est une exploration mentale et émotionnelle, mais aussi une exploration des sens. C’est comme vivre dans un autre monde – ça te permet des perceptions impossibles autrement dans ta vie, car même lorsque tu voyages, tu restes toi-même, tu as ton corps. En rêve lucide, il y a une forme d’émerveillement qui se produit. Un émerveillement sensuel (le toucher, la vue) notamment, et cela fait partie de la pratique du rêve de développer de plus en plus ses sens en rêve. Au début, tu n’as pas forcément le goût ou l’odorat. Il faut progressivement augmenter le champ des perceptions dans le rêve. Tu améliores alors ton champ d’expérience.

Au-delà de l’aspect aventure, c’est aussi une expérience spirituelle brute au sens strict, un peu comme si tu naissais de nouveau dans le monde.

Par contre, je ne prône pas du tout le rêve lucide à tout prix. Mes rêves les plus forts ne sont pas forcément lucides. Ils sont généralement « normaux », mais avec un bon degré de conscience. Ce sont des rêves très stables.

Que veux tu dire par degré de conscience ?

C’est difficile de mettre des mots là-dessus, on n’a pas de modèle qui permette vraiment d’évaluer ça. Tu peux être dans un rêve lucide qui est instable : tu n’as pas une bonne conscience de toi même – tu es juste un observateur du rêve, tu es conscient de rêver mais pas bien incarné dans le rêve.

Un rêve où tu as une bonne conscience, c’est un rêve très détaillé, solide. Des rêves où il y a une histoire qui soutient le tout, avec un début, un milieu, une fin, un univers stable et solide, comme si tu étais véritablement une personne, tu as conscience du monde dans lequel tu vis, de ce qui s’y trame.

Tu n’es pas forcément toi, c’est peut –être une aventure où tu es un personnage qui n’est pas toi, ou toi dans un « univers parallèle », ou tu as une vie différente mais où tout se tient.  Ce sont généralement des rêves où il y a une composante émotionnelle très forte. Le genre de rêve où, quand tu te réveilles, il change ta journée, tu as l’impression d’avoir vécu une autre vie. Tu es affecté en tant que personne. Comme si psychologiquement, tu avais vécu ces événements. Des rêves où tu ressens vraiment l’univers dans lequel tu te trouves. Tu as le sentiment d’être chez toi.

Et les personnages de ces rêves ?

Souvent, dans ces rêves là, il y a un rapport émotionnel clair et fort avec les personnages. Ils peuvent être inventés par ton esprit, mais ils ont une personnalité, un rôle dans l’histoire, ce ne sont pas seulement des figurants de ton esprit ou des ornements du rêve, tu as une relation particulière avec chacun d’entre eux. Ils créent des émotions réelles en toi.

Dans ces rêves, tu as une personnalité et une manière de réagir différente ?

Oui je pense, comme si j’étais la version héroïque de moi-même. Je me sens bien, délivré de mes angoisses et névroses. Comme une personnalité nettoyée des choses qui me gênent au quotidien et qui peut s’exprimer pleinement.

Ça a des conséquences dans la vie ?

Pas dans le sens où dans ce rêve-là, j’ai fait telle chose, et donc je le reproduirais ; mais j’ai des souvenirs de rêves où je me suis réveillé le matin avec l’impression que c’était le début de la meilleure journée de ma vie. C’était à un niveau presque extatique qui pouvait durer plusieurs minutes ou heures. Comme si j’avais vécu toute une vie, et que je me réveillais et que je j’en vivais une autre. Comme si je venais de vivre une parenthèse, une ellipse dans ma vie, que je reprenais ma vie mais que tout était différent désormais, quelque chose avait changé dans mon esprit. Je reprenais ma vie mais je ressentais ce changement.

Ce sentiment s’efface souvent au bout de quelques heures, mais je pense que c’est comme toute expérience forte, ça s’accumule dans ton esprit et ça te change progressivement. Ce n’est pas forcément le scénario qui s’est produit dans ton rêve qui te change, mais l’impact émotionnel et le changement psychologique sont réels et se manifestent dans ta vie.

Je te donne un exemple : quand j’étais au Canada, vers mars/avril 2010, j’étais très déprimé. Un matin, j’ai rêvé de mes grands parents, qui sont décédés, et que tout allait bien ; je me suis réveillé vraiment en extase, ça a duré pendant plusieurs jours (ce qui n’est pas courant) où j’étais vraiment au sommet de ma forme, alors que rien dans ma vie n’avait changé.

Ça s’est passé à un niveau émotionnel et je ne peux pas l’expliquer. Comme si ça avait ouvert un robinet de bonheur dans mon esprit. Ce n’est pas quelque chose que je contrôlais et ce n’est pas en me rappelant du rêve que je vivais ça. Aussi, physiquement tout me paraissait plus vif, les échanges avec les gens, les couleurs, tout me semblait plus vif après ce réveil.

Dans ces rêves, il y a une intensité sensorielle et émotionnelle unique. Tu vis vraiment la chose et, parfois, tu ramènes cet état de conscience avec toi.

Tu parles d’expériences vis-à-vis de tes sens en rêve – peux-tu développer ?

Les sens, c’est la constitution même du rêve. Un rêve, ce n’est pas tant imaginer les choses, c’est ce moment où tu bascule : ta vision qui apparaît, puis le toucher, et tu es projeté dans un monde dont les sensations sont les limites. Pour moi ce sont les sensations qui représentent le rêve. Je sens le rêve s’étioler quand je sens les sensations disparaître (je perds la vue en premier, le toucher en dernier, et je retourne aux sens physique). Les sensations, ce sont les ancrages du rêve.

Il y a une forte intensité des sensations, un niveau de détails tactiles qui peut être encore plus fort que dans la vie réelle. Comme pour la vision, il y a une vivacité des couleurs qui dépasse parfois ce que tu peux voir dans la vie réelle. La même chose se produit avec le « sens interne » qu’est l’émotion, une sorte de sens qui te connecte au monde. C’est aussi ça qui rend le rêve réel, il y a une véritable émotion qui se produit à ce moment. D’ailleurs ça vaut aussi pour le cauchemar. C’est l’émotion qui est là et qui donne de la consistance au rêve. Si c’était juste des images qui défilaient, ce ne serait plus la même chose. Tu es transporté dans un monde duquel tu ne peux pas te dégager, tu es obligé d’y participer.

Peux-tu me parler de la notion de contrôle en rêve ?

Contrôler un rêve, ce n’est pas très intéressant pour moi. L’intérêt du rêve, c’est que c’est un monde dans lequel l’inconscient prend le dessus. J’ai déjà fait beaucoup de rêves que je contrôlais, et l’univers onirique était très pauvre. Il n’y avait pas d’histoire, seulement une sorte de monde vide dans lequel je me baladais, ce n’était presque pas un rêve, mais une perte de temps quelque part ; l’intérêt du rêve lucide, c’est d’être conscient du rêve sans interrompre le processus de création inconscient qui se produit autour de toi ; toute l’astuce est de ne pas devenir trop conscient car sinon tu te réveilles, ton rêve ne peut plus se maintenir. Quelque part, tu passes alors derrière le rideau, tu sors de l’investissement nécessaire au sein de ce monde qui s’est créé dans ton esprit, tu perds la connexion avec la pièce qui se joue ; au niveau des sensations, tout s’effondre quand tu deviens trop conscient de toi même.

Tu as déjà eu ce problème ?

Oui, souvent ; dans l’apprentissage du rêve lucide, on se réveille souvent rapidement.

L’intérêt du rêve lucide, pour moi, c’est de pouvoir participer à ce monde qui se crée ; quelque part c’est ton esprit qui se crée. Pour les bouddhistes, la pensée est l’ornement de l’esprit primordial (le « noyau de l’esprit »), un ornement qui surgit et s’effondre au gré de ses mouvements. Pour moi, le rêve est un ornement de l’inconscient, une manifestation spontanée de l’inconscient, de ce qu’il a en lui ; d’où l’intérêt de le voir, car on n’y a pas accès autrement en général.

En rêve, tu te retrouves en fait à séparer tes névroses de toi-même à un moment. Tes peurs, tes blocages peuvent se manifester dans le rêve sans que toi en tant que rêveur tu ne les ressentes ; toi, tu ne les vis pas forcément, tu es comme un observateur de ton esprit. C’est l’univers autour de toi qui te les montre – le rêve, c’est un moment où tu peux être séparé d’une partie de ton esprit. Et ça, c’est plutôt unique, non ?

Après, par contre, je ne suis pas du tout convaincu que tu puisses avoir accès directement à ton inconscient ; c’est une couche qui se manifeste, mais pas une donnée brute de décoffrage, c’est une construction, une synthèse qui se produit dans ton esprit de plusieurs choses qui peuvent sembler complètement paradoxales. C’est pour ça que les rêves peuvent apparaître bizarres parfois.

Il y a une logique interne au rêve cependant, pour moi le rêve est toujours logique, on a l’impression que c’est le chaos mais, le rêve, on le vit toujours de manière logique – même si, quand on se réveille, on se rappelle de bribes de rêve qui paraissent chaotiques, sur le coup tout apparaît être une suite logique qui se produit et qui te transporte de façon fluide d’un univers à un autre. C’est pour ça qu’en tant que rêveur, tu ne te rends pas compte que tu rêves, car ça se fait de manière fluide et souple, il y a un fondu qui se produit quand tu changes de rêve. Mais, simplement, le rêve est fait d’éléments de ton inconscient que tu ne mettrais pas ensemble à l’état de veille. Et pour moi ça a quelque chose de très artistique. Il y a ce processus qui est d’associer des contraires, de donner à voir des choses sous un angle que tu n’aurais jamais envisagé. Pas toujours, car le rêve peut être très étrange et déstructuré, mais parfois la synthèse est parfaite, et crée une œuvre d’art qui est un rêve qui te marque et te change psychologiquement, de la même façon que lorsque tu vois une vraie œuvre d’art. Sauf que c’est encore plus fort, car tu y participes directement.

Le rêve n’est pas pour autant un envoi brut de ton inconscient, donc, il y a une réorganisation de tes souvenirs, de tes névroses, etc. C’est une interprétation très libre de ton esprit d’informations dont il dispose. Ça ne veut pas forcément dire quelque chose, voire ne veut rien dire du tout. Pour moi, le rêve n’est pas signifiant en tant que tel. Il te montre quelque chose, mais du fait que c’est l’inconscient, il n’y a pas de but dans un rêve. Il ne veut pas te faire « passer un message » comme on l’entend souvent, en tout cas c’est mon avis. D’ailleurs à ce niveau je ne suis pas forcément en accord avec l’approche psychanalytique de Freud. Pour lui, le rêve montre des éléments à analyser, des éléments qui ont un sens, un message à décrypter. Effectivement, certains rêves peuvent te provoquer une prise de conscience, mais globalement le rêve n’est pas réellement signifiant selon moi. On ne peut pas tirer quelque chose de ses éléments séparés. C’est pour ça que pour moi les dictionnaires du rêve ne riment à rien. Parce que le rêve est un tout avec son propre lexique du moment, non renouvelable. Le rêve, c’est une synthèse à un moment donné d’éléments complètements disparates ; il n’y a pas de message en tant que tel, mais un impact. Pour moi le rêve est un vécu, pas une information.

Après, ce vécu, libre à toi de le saisir ou pas : tu vis des expériences que tu ne peux pas vivre au quotidien. Ce sont des expériences qui te touchent, te changent psychologiquement, et après libre à toi de saisir ça ou d’ignorer une bonne partie de ta vie, presque un cinquième, avec ses propres impacts émotionnels mis à la trappe.

C’est là que pour l’approche freudienne, le rêve est une information sur le toi passé (ce que tu as accumulé), il n’y a que de l’ancien, le rêve ne crée rien de nouveau, il te montre des informations sur tes envies, tes émotions, ta libido. Pour moi, le rêve est un processus créatif qui amène du neuf, qui donne l’opportunité de vivre des choses ; c’est une marmite créative permanente. Il y a des connexions qui se font, des rassemblements d’éléments paradoxaux que tu n’aurais jamais associés, tout ça par le biais du hasard. Ça crée du nouveau dans ton esprit.

Dans mon cas, par exemple, j’ai découvert le sentiment amoureux, j’ai compris ce que c’était vraiment en rêve. C’est à partir de là que plus tard j’ai pu voir quand j’étais amoureux ou pas. C’est dans un rêve que j’ai réalisé qu’avant je n’avais jamais été amoureux. Dans le rêve tu peux être libéré de tes névroses, car tu t’en trouves dissocié à un certain niveau, tu les observes de l’extérieur. De la même façon, ça te libère de certains blocages et libère certaines choses qui existent en toi en tant que potentiel. Pour moi à ce moment-là, dans ce rêve précis, pour je ne sais quelle raison, j’ai pu ressentir le sentiment amoureux pleinement. À l’époque j’avais 17 ans.

Ça m’a servi plus tard d’étalon pour savoir si j’étais pleinement amoureux ou pas. Le sentiment était presque pur, rien n’était là pour le bloquer. J’étais étonné, d’autant plus que c’était avec une femme imaginaire que je ne connaissais pas.

Il y a une frustration vis à vis du manque d’informations sur le rêve, on en parle peu, non ?

Pas forcément, parce qu’il y a quand même des gens qui travaillent dessus, même s’ils étudient plus le sommeil que le rêve. Après, comme de toute façon pour moi le rêve est plus un vécu qu’une source d’informations, ça ne me gène pas forcément. Le rêve, c’est l’expérience subjective par excellence. Et ce n’est pas comme s’il y avait une démarche pour apprendre à rêver, ou une meilleure façon de rêver qu’une autre.

Mais il y a quand même moyen de développer son univers onirique ?

Il y a pas mal d’informations disponibles pour ceux qui en ont besoin. Sur internet, il y a des espaces de discussion, en particulier sur le rêve lucide, des espaces tant anglophones que francophones (pour entrer plus rapidement en rêve, faire des rêves lucides, etc.). On trouve des communautés en ligne qui sont plutôt actives. Comme il n’y a pas d’exigence scientifique, la transmission d’informations va plus vite.

Il y a aussi de la littérature sur le sujet, mais elle n’est pas forcément sérieuse, comme les dictionnaires de rêves, etc.

En ce qui me concerne, je ne me sens pas frustré, mais c’est aussi parce que ça fait longtemps que je pratique. Mais pour quelqu’un qui veut débuter là-dedans, je ne conseillerais pas de commencer par la lecture, mais plutôt de commencer par mieux se rappeler de ses rêves (c’est plus un conseil pratique qu’informatif). Je m’intéresse très peu aux rêves de manières scientifique, car pour moi c’est avant tout une expérience personnelle que j’ai envie de vivre, plus qu’un objet d’étude externe.

Justement, comment apprendre à rêver ?

« Apprendre à rêver » n’est pas vraiment le bon terme je pense, mais pour améliorer ses capacités à ce niveau, la base pour moi est de développer une bonne conscience de soi plus que toute autre technique : être conscient au quotidien, conscient de ce qu’on fait, de son environnement, conscient de soi. La prise de conscience de soi développe l’intensité des rêves, même si je ne peux pas forcément l’expliquer à un niveau concret. Puis, se souvenir de ses rêves : travailler sa mémoire onirique.

Est-ce que tu penses que c’est un don ?

Pas un don, mais je pense que certaines personnes ont plus de facilités que d’autres. Certaines personnes m’ont dit qu’elles n’ont jamais rêvé. Mais je ne vois pas ce qui pourrait empêcher quelqu’un de rêver. Je pense même que l’esprit en a besoin.

Chez toi, c’est assez naturel ?

Oui j’ai rêvé toute ma vie, j’ai des souvenirs très anciens de rêves qui datent de l’âge de 4 ou 5 ans comme je te disais. J’ai de nombreux souvenirs oniriques à partir de 7- 8 ans.

Il y a quand même un manque de reconnaissance au niveau du rêve.

Le rêve lucide n’est reconnu scientifiquement en France que depuis 1994. Le « grand spécialiste » français du rêve et du sommeil, que je ne citerai pas (rire), disait que c’était impossible, et a changé d’avis le jour où il en a fait un. C’est pour ça que je n’attends rien au niveau scientifique. Aux États-Unis, c’est depuis les années 70, grâce à Stephen Laberge
surtout.

Avant c’était de l’ordre de la mystique, en gros…

Oui, c’est ça, jusque dans les années 1860-80. Hervey de Saint-Denis avait écrit un livre, Les rêves et les moyens de les diriger, qui était resté relativement confidentiel à cette époque. Les gens étaient plus intéressés par le spiritisme que par le travail interne. Ensuite, très peu de choses ont été écrites dessus jusqu’aux années 1970 avec Stephen Laberge (en tout cas rien de poussé sans aspect mystique). C’est toujours un sujet qui n’est pas très pris au sérieux (mais un peu plus avec les travaux faits par la neurologie).

Quelles personnes ont parlé du rêve ?

Les surréalistes me viennent à l’esprit déjà. Après, beaucoup d’inventeurs : Nicolas Tesla créait certaines de ses inventions dans son sommeil, apparemment, il faisait vraiment de l’ingénierie dans son sommeil, il les testait dans son esprit, et une fois qu’il avait tout réglé dans ce qui devait être un genre de demi sommeil assez poussé, il les fabriquait en vrai.

Le rêve a perdu de son importance avec les Lumières, en fait, du moins en tant qu’expérience majeure (il est resté comme inspiration artistique, mais pas comme quelque chose de « sérieux »). De l’Antiquité au Moyen-Âge, le rêve était souvent perçu comme une interface de connexion avec le divin. Pour les Romains, quand ils voyaient un dieu en rêve, c’était vraiment lui qui projetait son image dans le rêve – ce qu’il disait était parole d’évangile, les rêves faisaient office de prophétie, ils étaient intégrés à la vie réelle. Saint Augustin, ensuite, a beaucoup parlé du rêve. Dans De Genesi ad litteram, il parle du rêve lucide, c’est sans doute le plus ancien texte sur le sujet qui nous soit parvenu – je n’ai vu ce texte cité nulle part dans toute la littérature sur le sujet d’ailleurs, je l’ai découvert en faisant des recherches il y a 3 ans. Il y évoque un problème contemporain : dans certains rêves, il se rendait compte qu’il rêvait, mais il essayait de convaincre les personnages de son rêve qu’il était en train de rêver. C’est vraiment amusant d’imaginer ça, je trouve. Les mêmes problèmes depuis presque 2000 ans.

Depuis les Lumières, donc, le rêve est devenu plutôt une source d’inspiration artistique, ce n’est plus quelque chose de sérieux, ni une réalité en soi : c’est quelque chose dont on tire une inspiration. C’est différent chez les mouvements mystiques qui ont continué d’utiliser le rêve comme support spirituel. Pour moi c’est clairement un des intérêts majeurs du rêve, mais c’est la preuve aussi que le rêve est ce qu’on en fait avant tout. On en tire ce qu’on veut bien en tirer. Avant, il avait un impact concret et très puissant sur la vie.

Parle-moi de tes expériences oniriques en lien avec la créativité

Pour moi, dans les rêves, on retrouve les 5 sens, mais les 3 sens les plus utilisés et les plus puissants sont la vue, l’ouïe et le toucher.

On peut avoir la vue et l’ouïe sans être encore dans un rêve (on parle d’hallucinations visuelles ou auditives hypnagogiques, c’est-à-dire à l’endormissement), mais à partir du moments où le sens du toucher apparaît, on est projeté dans le rêve, on ne peut pas rester en dehors du rêve d’après mon expérience.

Pour moi, le toucher est le sens le plus important, c’est celui qui ancre le rêve.

Il m’est arrivé de perdre la vue ou l’ouïe en rêve, et j’étais en train de me réveiller (les sens disparaissaient), et en me concentrant de toutes mes forces sur le toucher, j’arrivais à revenir dans mon rêve et à faire renaître les autres sens.

C’est le toucher qui ancre dans le monde réel aussi d’ailleurs, je pense.

Pour moi l’inspiration la plus directe, c’est au niveau musical : tu peux entendre dans ton rêve des arrangements et des compositions extraordinairement complexes et fournies, de tout type de musique. Tout ce que ton cerveau a entendu est conservé quelque part et il peut le faire ressortir sous forme d’une recréation musicale originale.

Il m’est arrivé de rêver que j’écoutais mon baladeur dans la rue, et j’entendais de la musique. Ce n’était pas une musique que je connaissais, mais c’était sans aucun doute une musique qui aurait pu passer à la radio et avoir beaucoup de succès. La composition atteint souvent une complexité importante (avec un arrangement musical complet). Ça m’est arrivé des centaines de fois. Ou de rêver que je joue de la musique. Je joue de la guitare dans mon rêve, et je n’ai pas de problème de technique pour jouer, je crée de la musique naturellement. Normalement quand tu t’exerces, tu as naturellement des gammes favorites, des types de sons que tu répètes naturellement et des accords/rythmes que tu reprends car ils te sont plus familiers. Dans le rêve, pour moi, il y a cette ouverture vers tout ce que ton esprit a pu entendre dans ta vie, ce qui te permet d’avoir des mélanges, et de créer un art musical. Tu entends la musique sur le moment, de manière auditive. C’est quelque chose que tu reçois. Quelque chose que tu ne pourrais pas recréer seul. Mais tu peux le détailler dans ton rêve si tu es suffisamment conscient, et faire attention à (et analyser) chacun des instruments un à un.

Mon indicateur d’entrée dans le sommeil est d’ailleurs lié à ça : je commence par essayer d’imaginer une musique dans ma tête (sans forcément la créer) – au début quand je suis juste couché, je n’entends pas grand chose, mais plus je me détends, plus je commence à entendre une ligne de violon par exemple, et plus je me rapproche du sommeil, plus d’autres instruments interviennent. Quand je suis très proche du sommeil, je ne contrôle plus rien, et j’entends une symphonie. Ce qui est marrant, c’est que le fait de lâcher prise sur ton esprit permet à cet esprit onirique de resurgir un peu plus à la surface. Mais ça vient quasiment du rêve, ça participe de la même dynamique.

Cependant, il est difficile de ramener ça tel quel – tu ne peux pas ramener une musique de ton rêve, à moins d’être un prodige peut-être. La mémoire onirique est extrêmement volatile. Malgré tout je pense que ça t’influence dans ta musique. En tout cas, pour moi c’est le signe qu’en chacun de nous il y a une sorte de génie artistique qui ne demande qu’à être révélé. Quelque chose que ton esprit construit en arrière plan, et ton rôle en tant qu’artiste est d’apprendre les outils techniques pour reconstruire ça dans ton art. Ton rôle n’est pas de créer, ton esprit sait déjà le faire (comme on le voit en rêve), ton rôle est simplement de lâcher prise et de laisser ton esprit créer en opposant le moins de barrières possibles. En rêve tu vois le résultat concret de ce que ton esprit est capable de produire quand il est laissé à lui-même, sans essayer de le contraindre à quoi que ce soit.

Qu’en est-il de la continuité entre plusieurs rêves ?

Ça m’est déjà arrivé, et j’ai déjà fait un rêve et sa suite à 5 ans d’intervalles. Je veux dire par là que j’ai refait le même rêve et j’ai rêvé la suite. Ou bien je rêve que je rêve, et je me réveille dans mon rêve pour continuer le premier rêve… Tu me suis ?

Le rêve que tu fais deviens aussi une source de rêves futures – ton esprit enregistre – j’avais oublié ce premier rêve et je m’en suis rappelé lorsque j’en ai rêvé de nouveau 5 ans plus tard.

Le rêve lui-même devient alors un souvenir qui peut être réutilisé dans un rêve ultérieur. Pour moi, d’ailleurs, faire un rêve lucide devient plus compliqué par certains côtés : avant il me suffisait de me demander si je rêvais (ou parfois je ne voyais simplement pas de lien avec mes souvenirs « réels ») et je devenais lucide. Mais au fur et à mesure, mes rêves s’imbriquent les uns dans les autres, je me souviens de rêves passés dans des rêves naissants, et j’ai l’impression que ce sont les souvenirs du personnage que je suis dans le rêve : ça me crée une sorte de vie.

Du fait d’avoir pas mal travaillé sur les rêves, je découvre des choses qui n’ont pas forcément été évoqués dans la littérature sur le sujet, par exemple le fait que mon esprit me crée de faux souvenirs dans mes rêves (j’ai tout un passé, des souvenirs d’une vie « inventée »). Dans l’absolu, il n’y a rien pour me rappeler que je ne suis pas dans la réalité. Je pense qu’il s’agit du développement naturel des facultés oniriques, et probablement des connexions qui se font dans le cerveau grâce à la plasticité neuronale. En portant ton attention pendant des années sur quelque chose, ton cerveau s’adapte et renforce ça. Plus tu t’intéresses au monde du rêve, plus le monde du rêve réagit à ça, et plus il devient intense et complexe.  Je pense que tout réagit à l’attention qu’on y porte : ça permet de développer des niveaux oniriques de plus en plus puissants et profonds.

Peux-tu me parler des rêves eux-mêmes, de leur nature ?

Il y a deux grands types de rêves, pour moi : les rêves avec une histoire, classiques, dont tu te souviens (ceux du sommeil paradoxal), et les rêves du sommeil profond dont tu ne te souviens pas normalement (je dois me rappeler de seulement 5-6 rêves de ce type, car j’avais pu devenir légèrement lucide).

« Officiellement », on ne rêve pas dans le sommeil profond ; moi, je pense qu’on y rêve ce deuxième type de rêves dont je n’ai que peu de souvenirs conscients, donc, mais sur le moment, je sais que je le vis toutes les nuits et de façon très longue. C’est un type de rêve où l’esprit sembler réorganiser les choses, les rabâcher, avec une action très répétitive, comme pour garder l’esprit occupé. Les sens sont au minimum ; à un certain niveau tu es conscient que tu es dans ton lit en train de dormir, mais très loin – en train de rabâcher mentalement une activité (par exemple, taper des pages et des pages sur l’ordinateur, ou ranger ou classer une chose encore et encore). Ton esprit est complètement fixé là-dessus et c’est très dur de l’en détacher. J’ai pu parler à 2-3 personnes qui ont vécu ça. Pour moi ce sont des moments de sommeil profond, mais je ne peux pas le prouver, leur nature est juste tellement différente. C’est un autre type d’activité onirique plus basique, sans marmite créative.

Les rêves dont on parle normalement, avec une histoire, me font penser qu’ils ont une fonction, une importance : ce n’est pas seulement une sorte de déchet du fonctionnement de ton esprit pendant la nuit. Ce n’est pas une production indirecte d’un mécanisme, c’est quelque chose de fondamental pour moi : ton esprit pourrait faire autre chose pendant la nuit, mais il ne le fait pas. Ils n’ont pas pour moi de fonction de soupape de ton esprit (ça, c’est l’autre type de rêve, où l’activité onirique est minimale, où il ne se passe rien, ça te garde occupé pendant que ton corps et ton esprit font autre chose).  L’esprit rêve de façon volontaire, je pense, même si inconsciente.

Le dogme psychanalytique veut qu’on rêve pour libérer quelque chose. Mais, pour moi, le rêve n’est donc pas le relâchement d’une tension (il peut y avoir de ça, mais ce n’est pas le but à mon sens).  Le rêve à son importance réelle au quotidien : l’esprit a besoin de ça pour se développer. C’est simplement son mode de fonctionnement naturel. Ce n’est pas un sous-produit d’une autre activité de l’esprit. C’est exactement ce que ça doit être. Un autre état de vie, parfait dans ce qu’il est.

Cette entrée a été publiée dans Rêve, et marquée avec rêverêve lucide, le 16 octobre 2013 .

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