Ça y est? Déjà revenus de vos résolutions? Sinon, ça ne saurait tarder après trois semaines de vœux pieux et de ceinture de chasteté morale. Dans un geste de libération inspiré par la révolution arabe, vous vous affranchirez, arracherez vos patchs de nicotine d'un élan souverain, prendrez rendez-vous avec votre coach à la Cage aux sports plutôt qu'au gym, céderez aux appels du fromage double crème (une lichette, hein!), prétendrez que les résolutions, c'est pour les cons, les sans-imagination, les autres, sans-reliefs de toutes espèces.
Vous n'avez pas tout à fait tort. Pourquoi s'embarrasser de résolutions quand on peut tout simplement être discipliné? La discipline est l'une des plus grandes libertés de ma vie, sa pierre d'assise. Pour moi, pas de bonheur possible sans la discipline pour y parvenir. Dommage qu'elle soit associée à Guantánamo, à la droite religieuse et aux privations imposées de l'extérieur, car elle offre justement une avenue à suivre pour s'assurer d'être seul maître à bord.
Chaque début d'année, on nous ressert le bonheur sous forme d'idéal à atteindre. Je croyais bien qu'on ne pouvait plus espérer vendre un autre livre de recettes sur le bonheur aux masses laborieuses et passives (mais indignées sur indignez-vous.ca). Je me trompais. Les recettes, c'est l'assurance tous risques du «Je l'ai testé pour vous».
Une résolution intenable
Mon pote Languirand m'a parlé du livre Opération bonheur de l'écrivaine Gretchen Rubin, numéro 1 sur la liste des best-sellers du New York Times et depuis un an sur celles du Canada, traduit dans une trentaine de langues (et dont il traitera demain à son émission Par 4 chemins). «Tu aurais pu l'écrire!», s'enthousiasmait mon octogénaire ami au bout du fil. Il a raison, j'aurais pu, si j'étais plus disciplinée.
En le lisant, on comprend qu'une résolution pour l'année s'avère tout simplement intenable. Gretchen Rubin, elle, en a pris une par mois et les découpe en saucissons. En janvier, elle s'attaque à son niveau d'énergie, en février à son couple et à l'amour, en mars au travail, en avril à la famille, en mai à ses loisirs, et ainsi de suite. Je me suis arrêtée en juillet, où elle s'attarde à son rapport aux objets, à l'argent et à la consommation. Et je n'ai pas encore abordé août: elle scrute les cieux et l'éternité en citant quelques proverbes bouddhistes sur le bonheur. Une chose est certaine, cette fille est un modèle et son modèle se vend bien.
Le bonheur n'est pas glamour
Même si j'ai trouvé le livre Opération bonheur très Oprah et porté sur l'anecdotique, il m'a au moins forcée à faire l'exercice de me demander: qu'est-ce qui me rend heureuse? Écrire le roman que mes amis me réclament ou faire des confitures d'abricots dont «mes» gars se pourlèchent les babines? Jouer aux 7 familles dans la tente-igloo avec mon B et mon beau-fils ou accepter une énième invitation à la radio pour parler de romantisme en déclin ou de la décote AAA, la préménopause de l'euro?
Dans le désordre, ce qui m'a permis de toucher au bonheur pourrait s'appeler l'équilibre, la mesure. Apprendre à dire non pour préserver cet équilibre a été l'une de mes premières règles de conduite. Il faut jalouser son temps qui mène au bonheur. Comme je jalouse mon temps qui mène à l'espace intérieur pour écrire et créer.
«En vieillissant, le piton fuck off qui nous permet de nous sacrer du regard des autres est collé», me glissait récemment une amie plutôt excentrique qui joue encore à la poupée à 59 ans. Deuxième règle de bonheur: ne plus espérer la caution extérieure, ne plus craindre d'être tancée du regard.
«Ce qui me rend heureuse, ce n'est pas d'écrire un autre livre, c'est de m'occuper de ceux que j'aime», me confiait une amie-mamie dont la générosité légendaire ne connaîtra pas de remboursement durant la présente incarnation. Le bonheur n'est pas glamour, il s'évanouit rapidement derrière les honneurs. Le bonheur se fait souvent tout petit, tapi dans son coin, un sourire, une main tendue, une écoute, du temps volé, et puis c'est tout. Mais cette empreinte demeure des heures, voire des jours durant, tatouée au coeur.
Demandez aux gens le moment qu'ils préfèrent dans leur journée; c'est souvent celui où ils se glissent entre les draps le soir, avec un soupir de soulagement, cet entre-deux où ils échappent à la spirale, aux attentes, aux obligations, et se font tout petits sous la couette. Merci, bonsoir, mission accomplie. C'est souvent la seule fois qu'ils s'appartiennent.
Le bonheur est aussi, pour moi, l'enfant de la spontanéité. Dans un monde réglé par de multiples agendas, décider in extremis de ce qui nous fait envie est un luxe à la fois inaccessible et abordable. J'ai adoré aller marcher à l'oratoire dans la tempête de neige la semaine dernière, amoureux comme des flocons. On y va? On y va. Rien que nous deux et l'éternité de ce halo de lumière divine dans la nuit. Si le bonheur n'est pas là, je ne sais pas ce qu'il vous faut. Peut-être le voir.
Comme une bordée de joie
On ne peut pas confondre la joie et le bonheur. Le bonheur est une eau tranquille; la joie, un ruisseau magique. Mais lire le livre Petit éloge de la joie (folio) de Mathieu Terence m'a procuré énormément de bonheur philo-poétique et rappelé combien la joie se fait rare une fois l'enfance évanouie. La joie de dessiner des anges dans la neige au retour de l'école avec mon B. La joie d'écrire au chaud alors que le ciel se décharge sur nous. La joie de retrouver de vieux amis. La joie de faire l'amour l'après-midi. La joie de prendre un bébé dans ses bras. La joie de «mon» ruisseau qui gazouille l'hiver. La joie de prendre la poudre d'escampette et de se débrancher. La joie de nettoyer après la fête, de sentir la maison respirer. «Quoi de plus saugrenu que l'idée d'un bonheur sauvage? Une joie domestique», écrit Terence dans cette série d'aphorismes et de courtes réflexions sur une émotion d'autant plus précieuse qu'elle nous échappe souvent.
Je lui laisse le mot de la fin — son 33e jet sur la joie — et c'est la grâce que je vous souhaite pour 2012:
«Refuser le port de la déprime obligatoire et l'euphorie qui la compense, ménager le plus d'enfance en soi, ne pas castrer ses goûts en les mettant sur le même plan par démagogie, ne pas renoncer à ses aspirations les plus élevées par timidité, ne pas s'en tenir au malheur et accepter cette épreuve supérieure qui consiste à ne pas s'en tenir au bonheur non plus. Et puis prendre son parti de la solitude que tout cela implique.»
«Finalement, qu'est-ce que j'attends de la vie? C'est simple... je veux être heureuse, me dis-je. Sans avoir jamais réfléchi à ce qui pourrait me rendre heureuse ni à la façon d'y parvenir.» — Gretchen Rubin
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/340608/le-bon...
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