Une journée européenne de mobilisation samedi, une autre la semaine prochaine, le don d’organes fait campagne mais pour quels résultats ? En France, 579 personnes sont décédées faute de greffons en 2014. Un amendement, prévu dans la loi de santé publique, doit favoriser ce don. Il est pourtant controversé.
Savez-vous que, faute d’être inscrit au registre national des refus, vous êtes présumé donneur ? Que l’on peut prélever vos organes si vous n’avez pas clairement manifesté votre opposition.
Sans doute pas, comme la plupart des Français. Nous méconnaissons la loi et, c’est toute l’ambiguïté, en sollicitant l’avis de la famille sur la position du défunt, c’est en fait son accord pour un prélèvement qui est toujours demandé. Ainsi, même si vous êtes porteur de la carte de donneur, vos proches peuvent s’y opposer, c’est leur parole qui fera don… ou pas. Or, le nombre de malades en attente de greffe explose (20 000) quand celui du nombre de greffes réalisées augmente, certes, mais bien plus timidement.
Le prélèvement achoppe sur le nombre de refus : 33 %. Pourtant, huit à neuf Français sur dix se disent favorables au don et seules quelque 97 000 personnes sont enregistrées au registre des refus.
D’où l’amendement déposé au printemps par le député Jean-Louis Touraine : un amendement pour mieux appliquer le consentement présumé, le don a priori. Désormais, les familles ne seront plus consultées pour connaître la position du défunt, au risque de ne pas la respecter, mais « informées de la nature des prélèvements réalisés ». Ce sera au défunt d’avoir manifesté son opposition sur le registre des refus, principalement, ou par de nouveaux moyens, qui seront fixés par décret en 2017 : par exemple, sur la carte vitale, ou le dossier médical personnalisé.
Levée de bouclier
On aurait pu penser que cet amendement aurait fait l’unanimité, la levée de boucliers a été nourrie, de la part d’associations mais aussi d’équipes coordinatrices, ces médecins et infirmiers qui, dans les hôpitaux, sont en charge de recueillir l’accord pour le don. Leur inquiétude : comment l’imposer aux familles, dans un moment pareil ? « On veut les dégager du poids de la décision, et pourtant ce sera pire », prédisent les uns, c’est une « nationalisation des corps » ont brandi les plus virulents, opposant la loi au devoir d’éthique.
L’amendement, voté à l’Assemblée en avril avant d’être rejeté par les sénateurs la semaine dernière, sera représenté en novembre en seconde et dernière lecture de la loi de santé publique.
Sans doute, les mêmes débats reprendront-ils, il y a pourtant un point sur lequel tous s’accordent, que vous soyez pour ou contre le don d’organes, parlez-en.
C’EST LA LOI
1976. La loi Cavaillet instaure le principe de consentement présumé : le prélèvement est envisagé dès lors que le donneur n’a pas exprimé son refus.
1994. Le registre national des refus est créé. Le consentement est toujours présumé mais le médecin doit recueillir la volonté du défunt auprès de la famille.
2015. Loi de santé publique, l’amendement à l’article 46 ter précise que, sauf à avoir manifester son refus (sur le registre ou un autre moyen, restant à définir), l’équipe médicale ne consulte plus la famille sur la volonté du défunt mais l’informe du prélèvement.
L’application est prévue à partir de 2018.
AILLEURS EN EUROPE
L’Espagne et la Belgique sont les deux premiers pays pour le taux de prélèvements d’organes par million d’habitant. En Espagne, le taux de refus est de 16 % ; en Belgique, de 20 %.
En Belgique, il existe un double registre, pour les oui et pour les non. Si le défunt est inscrit sur le registre des oui, les médecins peuvent prélever sans l’accord de la famille. En Espagne et en Belgique, le consentement est présumé, comme en Autriche, Grèce, Italie, Luxembourg, Portugal et Suède.
Au Danemark, aux Pays-Bas, Royaume-Uni, Irlande, Allemagne, le consentement est explicite : le prélèvement n’est autorisé que si le donneur a explicitement donné son accord de son vivant. En pratique, tous les pays pratiquent l’entretien avec les familles pour prendre connaissance des volontés du défunt.<cci:mvdn_puce class="macro" displayname="MVDN_PUCE" name="MVDN_PUCE">
Source : Agence de biomédecine
Jean-Louis Touraine, député PS et médecin transplanteur à l’origine de l’amendement sur le don d’organes.
Pourquoi cet amendement ?
« La France a été leader en matière de prélèvement et don d’organes mais aujourd’hui elle marque le pas à cause d’une pénurie d’organes. Il y a toujours plus d’inscrits sur liste d’attente. Certains malades attendent plus que de raison, d’autres décèdent faute de greffons, près de 500 par an, et autant sont retirés de la liste parce que leur état ne leur permet plus d’être greffé.
Or, la situation n’est pas inéluctable : l’Espagne, la Belgique, prélèvent mieux.
Beaucoup de points ont déjà été améliorés, grâce à un plus grand nombre de donneurs vivants pour le rein, grâce aux progrès de la médecine qui ont permis d’étendre les conditions de prélèvement. Mais nous sommes allés au maximum de ce que nous pouvions faire. C’est le constat d’un rapport parlementaire mais aussi, de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des affaires sociales. Il y a inadéquation entre les possibilités et les besoins. Et les causes d’échec ne sont plus les complications ou les rejets mais l’absence de greffons et les refus. »
Le sens de l’amendement
« Si nous prélevons moins que nos voisins c’est parce que la loi n’est pas appliquée et si elle ne l’est pas c’est parce qu’elle n’est pas applicable, qu’en pratique, elle est détournée. Aujourd’hui, la loi ne dit pas que c’est l’avis de la famille qui prévaut mais l’avis du défunt et que, pour cela, le médecin doit recueillir l’avis de la famille.
C’est bien, en théorie, mais comme les gens ne disent pas s’ils veulent être prélevés et même si les sondages montrent que 85 à 90 % sont d’accord, il y a bien plus de 10 à 15 % de refus. Il y a toujours eu des familles très opposantes. ll ne s’agit pas de prélever ceux qui ne le souhaitent pas mais, s’il n’y a pas d’opposition, on prélève.
Beaucoup de familles aspirent à la sérénité. Or, quand on leur demande leur avis sur la position du défunt, il n’est pas rare que cela ne sème pas la discorde. »
L’application
« Bien évidemment, cet amendement s’accompagnera d’une campagne d’information sur les moyens qui existent pour faire connaître son opposition.
Le prélèvement ne se fera pas sans en informer la famille au préalable et, s’il y a une opposition trop ferme, il ne se fera pas non plus. Il ne s’agit pas de passer en force mais de ne plus laisser l’initiative aux familles quand, au XXIe siècle, elles sont de plus en plus recomposées. C’est une question de respect des droits du défunt à disposer de son corps et du malade, en attente de greffe, à être soigné. On ne peut pas rester les bras croisés quand il existe des donneurs potentiels. »
Pourquoi les Français ne se positionnent pas
« C’est un problème de civilisation. Dans l’Antiquité, on parlait de mortels, pas d’êtres humains. Il y avait une conscience permanente de la mort et donc une réflexion. Nous, nous nous comportons plus comme si nous étions immortels, on a repoussé notre longévité et on ne veut pas y penser. C’est vrai que cela peut être douloureux mais ça se passe toujours mieux quand on y a pensé. C’est la même chose avec le débat sur la fin de vie. La France aime bien être la première à brasser des idées avant-gardistes mais, quand cela se concrétise, elle reste conservatrice.
RECUEILLI PAR S. L.
Le CHRU de Lille est l’un des plus gros centres de prélèvement d’organes de France. L’an dernier, 61 prélèvements y ont été réalisés. Guillaume Strecker est l’un des deux médecins de l’équipe coordinatrice des prélèvements.
Le premier frein au don, rappelle le médecin, est le nombre de personnes concernées : « 500 000 personnes meurent chaque année en France mais seulement 3 547 ont été recensées comme en état de mort cérébrale l’an dernier, 120 à Lille. » Les conditions de la mort importent et « les cas sont rares ».
Le diagnostic posé, la question de la volonté du défunt peut alors se poser. Le registre des refus est consulté. Mais, témoigne Guillaume Strecker, lui-même n’a jamais eu un patient inscrit sur ce registre. « Le plus souvent les personnes ne se sont pas positionnées et c’est aux familles d’apporter le témoignage de ce qu’aurait voulu leur proche. On leur demande qui il était, ce qu’il aurait souhaité… On leur explique qu’on ne prélève que les organes dont on est sûr qu’ils seront greffés. Que le don d’organes, ce n’est pas faire don de son corps à la médecine. Que le défunt est opéré dans un bloc opératoire et que nous sommes garants de l’intégrité de son corps. » Le temps est compté, l’équipe a 24 à 48 heures pour prélever les organes.
Le médecin mesure que la famille ne respecte pas toujours la volonté du défunt. À Lille, le taux de refus, 37 %, est un peu plus élevé que la moyenne nationale. Pour autant, Guillaume Strecker n’adhère pas à l’amendement Touraine : « L’idée est d’aller au bout du consentement présumé, mais c’est très théorique, il y a là un esprit utilitariste du don. En pratique, l’éthique n’est pas collective, elle est familiale. Un lien se construit avec la famille. On l’accompagne. On ne peut pas être dans le conflit dans ces moments-là. On a un contrat moral avant et après le don. » Il n’est pas rare que la famille rappelle pour savoir ce que sont devenus les greffons.
Pour le médecin, il faudrait d’abord « travailler au diagnostic. Des personnes ne sont pas détectées comme potentiels donneurs ». Surtout, poursuit-il, pour vraiment changer le cours des choses, « il faudrait faire du don un vrai débat de société. La préoccupation des gens, c’est le chômage, les enfants… Ils ne se sentent pas concernés. En Espagne, c’est plus inscrit dans les mentalités, ils donnent de manière plus naturelle et les équipes de coordination sont aussi plus développées ».
Sources : Sophie Leroy - photos Philippe Pauchet via La voix du nord
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