Véritable phénomène de mode, la dépression fait plus de cent dix millions de nouvelles victimes chaque année. Synonyme de l’enfer, elle est pourtant aussi une opportunité d’échapper au plan de conscience ordinaire.
Par Jean-Claude Cartier
Un suicide collectif ?
Au plan sociologique, on peut se demander si ce ne n’est pas l’humanité dans son ensemble qui est en train de sombrer dans la dépression ! A en juger par ses diverses tentatives de suicide, cette hypothèse peut être étudiée avec sérieux. Car, comment appeler autrement la destruction actuelle de l’écosystème, et la dégradation orchestrée de la santé publique à grand renfort d’aliments chimiquement ou génétiquement dégénérés, de pollutions atmosphérique, aquatique, électromagnétique ?... Cette fureur que mettent scientifiques, techniciens et consommateurs à détruire les équilibres vitaux n’est-elle pas le symptôme le plus flagrant de la mise en place du suicide collectif d’une humanité déprimée, lasse d’un mode de vie et d’une culture qui ne lui conviennent plus ?
La fin du monde tant attendue par les prophètes de malheur pourrait, pourtant, ne pas avoir lieu, si nous parvenions à dépasser cette crise dépressive, à nous en servir comme d’un tremplin pour accéder à une nouvelle perspective psycho-spirituelle et, partant, à de nouveaux comportements plus en harmonie avec notre nature intérieure… et la nature extérieure. Mais, pour cela, il nous faudrait, bien sûr, autre chose que l’arsenal des psychotropes chimiques.
Le désir du désir
Dépression et éveil ! Ces deux termes ont été plus d’une fois associés, dans l’histoire de la spiritualité ; les exemples les plus célèbres étant sans doute ceux de Job et de Bouddha, ou encore de Judas qui, comme on le sait, finit par se suicider.
En fait, peut-être pourrait-on considérer l’éveil comme une dépression, mais... sans la dépression. Dans l’éveil, au moment même où tombent toutes les illusions qui excitaient habituellement notre mental et le faisait courir après les objets de satisfaction, il ne reste évidemment plus trace de la moindre émotion, du moindre désir, du moindre projet. Et la paix parfaite qui accompagne cet état n’est d’ailleurs rien d’autre que l’absence des conflits ordinairement suscités par les désirs.
Or, s’il existe un autre état dans lequel on retrouve apparemment une absence de désirs et de projets, c’est bien la dépression !
Naturellement, la comparaison s’arrête là, et, au-delà des apparences, une différence essentielle semble, en revanche, devoir être relevée : dans la dépression l’absence de désir n’est pas absolue. Si, dépressifs, il ne nous reste parfois guère plus qu’un désir instinctif et inconscient de sortir du marasme (ce qui constitue quand même un désir), la plupart du temps c’est l’espoir bien conscient d’un retour de flamme de nos anciennes illusions que nous passons notre temps à cultiver, ne désirant secrètement rien d’autre que de retrouver les plaisirs d’une existence superficielle, insouciante et animale.
En deux mots, dans la dépression nous nous plaignons d’avoir perdu nos illusions, et nous désirons encore le désir.. ce qui n’est évidemment pas le cas dans l’état d’éveil.
Pour cette raison sans doute pourrait-on considérer la dépression comme un éveil raté. Raté, parce que, bien que privé de désirs concrets, le mental continue malgré tout de s’orienter vers l’extériorité et ne veut pas s’échapper du temps. Les désirs n’ont plus assez d’énergie pour déclencher le passage à l’acte, mais ils en ont encore suffisamment pour entretenir, et même stimuler, le décalage pathologique de l’ego par rapport au présent... car, plus qu’aucun autre, le dépressif est tout entier dans son passé.
Ouvrir ou fermer sa mémoire
La Vie spirituelle s’ancre dans le présent, au contraire de l’existence ordinaire et fantasmatique qui, elle, plonge ses racines dans le passé et se cristallise dans la mémoire d’expériences mortes.
Ce contraste entre la spiritualité et l’existence ordinaire est décrit avec pertinence dans l’épisode biblique de la destruction de Sodome (Genèse 19:17), où, une fois sorti de cette ville (symbole de l’inversion), il nous est indiqué que le Chemin spirituel doit passer par Tsoar, c’est à dire, étymologiquement, par la nécessité de se faire tout petit, de réduire de manière drastique l’importance jusque là accordée à la personnalité. Or, parvenu à ce stade, un tel Chemin devient incompatible avec le moindre regard en arrière. Pourquoi ? Parce qu’à l’heure de l’anéantissement de l’ego, le regard, s’il reste fixé sur le présent, ne peut voir que le Soi qui grandit, alors que, tourné vers l’arrière, il est confronté au spectacle insupportable d’un moi qui dépérit et devient misérable... ce qui ne peut que provoquer, chez la pusillanime femme de Lot qui est en nous, la réaction dépressive d’une transformation en statue de sel, véritable cristallisation de souvenirs stériles et de désirs moribonds définitivement figés dans une immobilité sépulcrale.
Il n’est d’ailleurs pas étonnant de constater que l’écrasante majorité des dépressions survienne dans une tranche d’âge bien particulière, entre 45 et 55 ans, c’est à dire vers le milieu de l’existence, précisément lorsque la construction du moi est – normalement - achevée, et où il reste, à chacun d’entre nous, à choisir entre le sacrifice de ce moi au profit du Soi, et l’ordinaire préservation égocentrique... suivie d’une immanquable cristallisation.
On pourrait schématiser le processus de cristallisation égocentrique en évoquant l’image classique de la spirale qui, après s’être déroulée, s’enroule à nouveau sur elle-même. Durant la première partie de la vie, l’individu accumule des expériences qui lui permettent de se développer et de s’ouvrir ; puis, durant la seconde partie, il utilise ces expériences passées comme souvenirs et les enferme en lui, et se referme sur eux, jusqu’à la mort.
Inversement, lorsqu’on choisit de sacrifier l’ego, après une première partie d’existence tout à fait conventionnelle, la spirale se retourne, et les expériences, au lieu d’être conservées au dedans sous forme de souvenirs personnels, sont offertes au dehors et se dissolvent progressivement dans l’universel, jusqu’à cette extinction définitive appelée Nirvana.
La différence entre ces deux processus est, on s’en doute, immense, puisque, dans le second cas, la mémoire, plutôt que de radoter et de se perdre dans le néant de l’oubli, est prodigieusement régénérée... puisqu’elle parvient à se souvenir du Tout.
Dans cette image, on voit, en tous cas, que le milieu de l’existence est bien le moment du grand choix et, par conséquent, de toutes les hésitations. Et l’on comprend que chaque fois que nous refermons cette belle spirale faite pour s’ouvrir, nous interrompons le mouvement naturel d’expansion de la conscience, et nous subissons une dépression.
La réintégration d’une dimension oubliée
Pour la psychiatrie conventionnelle, la dépression, comme tous les troubles psychiques, ne peut avoir que trois sortes de causes : biologiques, sociologiques, ou psychologiques, excluant toute cause spirituelle, pourtant prioritairement et systématiquement invoquée dans la plupart des sociétés traditionnelles anciennes.
Freud, pour sa part, considère la dépression comme une hémorragie du moi qui atteint la conscience vitale du sujet au moment où il perd l’objet d’amour ; autrement dit, dans les cas de décès d’un proche, de séparation ou d’échec.
Résultat de cette conception personnaliste et rationaliste de la psychopathologie : aujourd’hui, beaucoup de gens sont persuadés que la dépression n’est que la conséquence de frustrations d’ordre affectif, sexuel ou professionnel. On en vient pratiquement à penser que si le moi-roi est déprimé, c’est parce qu’il n’a pas eu sa dose de satisfactions égocentriques.
On ne peut que déplorer une telle limitation des causes de la position dépressive. Mais il est vrai que le paradigme classique, en ne permettant pas une vision globale et “ en relief ” (avec appréciation des hiérarchies de phénomènes), produit diverses confusions entre causes, déclencheurs et symptômes, et, par conséquent, dans la pratique, freine souvent l’efficacité du processus thérapeutique.
Heureusement, pour les psychiatres et psychothérapeutes réorientés dans une perspective spirituelle et se référant au paradigme holistique, l’être humain retrouve ses trois dimensions traditionnelles : le corps, l’âme et l’Esprit. Cette réintégration de la dimension spirituelle permet de rendre à chaque manifestation psychopathologique la place qui lui revient dans ce processus de maturation de l’être que l’on appelle généralement “ la vie ”.
La peur, source de toutes les pathologies
Selon le Dr François Cusano (*), l’existence, en tant que processus d’involution de l’âme dans la matière, peut être subdivisée en plusieurs étapes, chacune correspondant à une position psychologique particulière pouvant susciter un type de pathologies spécifique.
Pour ce médecin adepte de l’ésotérisme chrétien, le point d’impact de l’être lorsqu’il s’incarne (donc le degré zéro de l’incarnation, le centre de la spirale) correspond à ce que Jung appelait “ l’ombre ”, c’est à dire cette part de nous-mêmes que l’on ne veut pas connaître, tous ces désirs et ces peurs qui sont en nous...
La peur, dans cette approche, revêt d’ailleurs une importance de premier plan. Pour le Dr Cusano, qui n’hésite pas à faire un rapprochement entre “ terre ” et “ terreur ”, l’incarnation sur terre, en obligeant l’être à tourner son attention vers l’extérieur et donc à ne plus distinguer la source de vie intérieure, engendre une peur fondamentale.
Bien sûr, durant l’existence, la manifestation de cette peur dépendra du niveau d’investissement de l’individu :
* s’il est matériel (corps physique), la peur s’objectivera dans des palpitations, des angoisses, des somatisations ;
* s’il est de l’ordre du sentiment (corps astral), elle se traduira par des anxiétés, des peurs sans objets, des malaises, des paniques, des phobies ;
* s’il est mental, la peur sera intellectualisée et se manifestera par des délires ou des troubles du comportement...
Accompagnant ces peurs nées de l’oubli de la source de Vie, vient naturellement le désir ou, plus exactement, le désir de combler le manque de Vie. Hélas, tant que son attention restera tournée vers l’extériorité, l’individu ne pourra que rechercher vainement sur le plan horizontal ce qu’il a perdu sur le plan vertical. De là vient que le désir ne peut jamais être définitivement satisfait... et que, tout au contraire, cultiver le désir revient à cultiver l’insatisfaction.
Toujours est-il que cette peur-désir est à l’origine de tous les troubles psychologiques, et même de toutes les maladies psychiatriques. Pourquoi ? Parce que lorsqu’on a peur, ou qu’on est obsédé par un désir, on ne peut ressentir l’amour.
On ne peut avoir peur et avoir confiance. Or, sans confiance, sans lâcher-prise, sans amour, aucune spiritualité ne peut s’épanouir, aucune guérison véritable et profonde ne peut avoir lieu.
Avec la peur, on peut tout au plus construire un ego, une forteresse pour se protéger... et il est vrai que cela est indispensable, durant la première partie de la vie. Mais il faudra naturellement se défaire de cette protection avant qu’elle se transforme purement et simplement en prison.
De la conquête du monde... à la dépression
Conformément à l’image de la double spirale, le Dr Cusano subdivise l’existence en deux parties, chacune comportant quatre étapes.
La première partie, l’involution dans la matière, commence, on l’a vu, par l’impact dans l’incarnation, le point zéro. Suivent quatre étapes durant lesquelles la peur structure la personnalité à travers une succession de problèmes douloureux, pendant que, de son côté, le désir pousse l’être incarné à explorer le monde toujours plus loin à l’extérieur de son Soi.
Il va sans dire que chacune de ces étapes, ayant été traversée par tout être humain, demeure partie constituante de sa personnalité sa vie durant, mais qu’elle peut aussi, à n’importe quelle occasion, être réactivée et prendre une importance excessive et pathologique... surtout, bien sûr, si elle était restée inachevée.
* La première de ces étapes est la position schizoïde, ou autistique, avec pour problèmes la peur d’exister, le refus de l’incarnation, ou la sidération du désir. L’autiste est tout. Il s’est fait tout seul, n’a pas de géniteur, est tout puissant et n’a besoin de personne. L’autiste ne connaît pas le sexe, il n’a pas accepté ce qu’on appelle en psychanalyse “ la castration ”, c’est à dire la limitation à un sexe.
* La deuxième étape est l’abandonisme. L’abandonnique est celui qui, se sentant abandonné, se met en colère. Une colère qui, bien sûr, masque la tristesse, car, si on l’a abandonné, c’est qu’il n’était pas assez bien. L’abandonnique ne s’aime pas et ne peut aimer son prochain. Et le prochain ne peut pas l’aimer non plus.
* La troisième étape est l’égocentrisme, cette nécessité de ramener vers soi des énergies qui sont dispersées, de concentrer. Malheureusement l’égocentrique prend, mais jamais rien n’en sort. Tout est ramené au moi. Pour survivre, ce trou noir est donc obligé, comme un vampire, d’aller chercher l’énergie chez les autres.
* La quatrième étape est la dépression, autrement dit l’aboutissement du voyage dans l’extériorité ; lorsque - généralement vers la quarantaine - l’individu en crise se demande sincèrement si tous les objets, concrets ou abstraits, qu’il a acquis sont vraiment capables de le satisfaire.
Dans l’optique spiritualiste du Dr Cusano, la dépression est donc nécessaire, puisqu’elle marque la fin de l’exploration du monde extérieur, et le début du voyage de retour.
Evidemment, la plupart d’entre nous fuit cette dépression, dans le travail, le sexe ou n’importe quelle activité futile qui, d’une manière ou d’une autre, semble pouvoir faire revivre un peu de la jeunesse perdue ; refermant ainsi la spirale de l’existence sur elle-même.
Mais quelquefois, l’étape dépressive porte ses fruits et permet d’entamer le voyage de retour, non sans souffrances et difficultés, d’ailleurs !
La dépression, en effet, réactive toutes les peurs, comme pour les vérifier... et, avant tout, la peur de ne pas être le centre du monde.
Le voyage de retour
En fait, le voyage de retour passera par toutes les étapes précédentes, mais en sens inverse et dans une confrontation à l’autre plutôt qu’à soi-même. Il va bien s’agir de retourner la spirale, et de libérer au dehors ces imprégnations mentales inconscientes que les Yogi appellent vasanas ou samskaras et qui, dans la majorité des cas, s’enterrent malheureusement au dedans et produisent du Karma.
Ainsi, dans ce retournement, le moi va-t-il pouvoir se déconstruire, mais non sans résister, ce qui suscitera, bien sûr, des manifestations pathologiques spécifiques à chaque étape :
* Lorsque la position égocentrique sera remise en question dans cette constatation déprimante que “ je ne suis plus le centre du monde ”, c’est la paranoïa qui, bien souvent, prendra le relais... et l’autre deviendra un ennemi à combattre.
* Lorsque l’abandonnisme sera revisité, nous aurons alors affaire à un comportement de pervers, de manipulateur, voire de psychopathe… tous personnages qui réduisent l’autre à un objet dont on se sert. Le pervers peut toutefois être sadique avec lui-même, et devenir un obsessionnel qui s’enferme dans un monde qu’il contrôle mentalement.
* Lorsque la position schizoïde du départ est réactivée, le sujet en arrive au comportement de l’hystérique qui cherche à être aimé, qui cherche à paraître le meilleur possible, comme s’il fallait racheter une faute... mais en s’emparant, en fait, du désir de l’autre pour le faire sien.
* Enfin, au bout du voyage vers soi-même, c’est l’ombre qui constituera la dernière étape vers cette véritable individualité oubliée que nous recherchons tous, plus ou moins sans le savoir... et, au-delà de laquelle, toute personnalité et toutes peurs effacées, l’état spirituel pourra être pleinement réintégré.
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(*) Dr. François Cusano : Psychiatre, psychothérapeute transpersonnel (formé à l’Institut d’Esalen en Californie), hypnothérapeute ericksonnien. Responsable, avec son épouse Nicole Roux, de “ l’Ecole de Transpersonnelle Energy ” (E.T.E.), 6 chemin de l’ermitage, 38240 Meylan, Tél. : 04 76 90 09 90.
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A lire
* “ Le Maître et le thérapeute ” - Jacques Vigne - Albin Michel.
* “ Eléments de psychologie spirituelle ” - Jacques Vigne - Albin Michel.
* “ Evolution intérieure et problèmes psychologiques ” - Dennis Boyes - Dervy.
* “ Les psychothérapie transpersonnelles ” - Collectif - Trismégiste.
* “ Psychothérapie occidentale et orientale ” - Alan Watts - Fayard.
* “ Psychologie et religion ” - C.G. Jung - Buchet-Chastel.
Janvier 2001
http://www.buddhaline.net/Depression-et-spiritualite
"L'ombre": Karl Gustav Yung
Carl Gustav Jung pensait qu'au bout de la pénible exploration de notre inconscient se trouvait la découverte du soi, notre lumière intérieure, la part de sagesse divine enfouie au plus profond de nous-mêmes. Mais le psychiatre suisse affirmait qu'avant d'arriver à cette lumière, l'explorateur devait d'abord rencontrer un personnage qu'il a appelé l'ombre.
L'ombre peut être définie comme notre double inversé, celui ou celle que nous aurions pu être, mais que nous ne sommes pas. C'est notre face obscure, elle contient l'ensemble des traits de caractère qui n'ont pas pu se développer dans notre personnalité. Elle symbolise en quelque sorte notre frère jumeau opposé qui est caché dans les profondeurs de notre inconscient.
L'ombre est cette part de nous-mêmes que nous nous refusons, a priori de voir, en nous-mêmes. Elle peut être pour celui qui s'y intéresse une source importante de développement personnel. Elle est issue du résultat d'un ensemble de possibles qui étaient offerts au sujet:
« Ce sont toutes les possibilités du sujet, ce qu'il aurait pu choisir ou être mais qu'il n'a pas vécu jusqu'à présent. Ces potentialités font partie des aspects personnels (qualités et attributs propres à la personne) et collectifs (les possibilités humaines de développement) de la psyché.» (C-G Jung)
Prendre conscience que tous nos « ennemis » sont pour la plupart que des points de vue intellectuels que l'on donne sur ce que nous sommes (même si ce n'est que potentiellement) mobilise énormément le système psychique pour « rien » et surtout « le disperse ». La réalisation de cela, c'est-à-dire en premier une compréhension et la réalisation d'une perte énorme (perte de temps, et d'énergie que nous avons eue) et surtout que nous avons (tant que nous n'arrivons pas à nous recentrer sur nous-mêmes, et lâcher notre « pseudo-guerre »), et nos pseudos ennemis, pour aller de l'avant. En cela la réalisation de cet état puis sa conscientisation et sa mentalisation libératrice (si elle est faite seule) est dangereuse :
« Cette extrême dispersion du psychisme montre que de nombreuses prises de conscience sont nécessaires avant que l'ombre n'apparaisse au conscient. […] La prise de conscience de l'ombre développe d'abord une série d'effets qui sont tous de l'ordre de la perte. En cela, elle est dangereuse. » (C-G Jung)
Carl Gustav JUNG (1875-1961)
Carl Gustav Jung est né à Kesswil, sur la rive Suisse du lac de Constance. Son père, pasteur, s'installa peu après à Schlosslaufen, au bord de la chute du Rhin, puis à proximité de Bâle. C'est dans cette ville qu'il fit ses études et acquit le titre de médecin. Il entre alors à l'hôpital psychiatrique du canton de Zurich. Il y est élève, puis assistant de Bleuler. Après avoir soutenu sa thèse sur la "psychopathologie des phénomènes dits occultes", il y prépare ses premières publications: "études sur les associations"(1903) et "les démences précoces"(1907). Cette même année, il devient disciple et ami de Sigmund Freud, qu'il quitte cinq ans plus tard pour fonder une nouvelle école de "psychologie analytique". Il fonde en 1948 l'institut "JUNG" à Zurich.
Découverte de "l'inconscient collectif", fondement de l'imagination, commun à tous les peuples à travers les âges, et qui se manifeste dans les religions, les mythes, l'alchimie...
Jung a beaucoup voyagé en Afrique noire, en Afrique du nord, aux Indes et en Amérique où il étudia particulièrement les coutumes des Indiens "Pueblos". Il s'efforça toute sa vie de dépasser une attitude purement descriptive de la maladie mentale et de la comprendre de l'intérieur.
S'il fut d'abord attiré par les travaux de Freud (avec qui il se lia d'amitié durant 5 années), l'esprit de système de son aîné l'éloigna peu à peu de lui; Jung ne pouvait accepter une conception de l'énergie psychique (la libido) limitée, pour les besoins d'une théorie, à l'impulsion sexuelle.
La rupture survint après la parution de "métamorphoses et symboles de la libido" en 1912 dans laquelle Jung exposa sa théorie sur la notion de l'inconscient collectif. Il décrit une structure quaternaire de la psyché, avec 4 fonctions psychologiques caractérisant les différents types humains:
Pensée ;
Intuition ;
Sentiment ;
Sensation .
Ces 4 fonctions forment un instrument que l'individu doit manier pour évoluer.
Sa vision de l'homme est dynamique, et on peut la résumer par ces 2 concepts: le devenir, et la transformation.
En l'homme, le monde devient conscient de lui-même par la formation d'un Moi. Mais le renforcement unilatéral de ce dernier ne doit pas dépasser une certaine limite. Au delà, le Moi tend à oublier son lien avec l'océan d'où il sort, l'arbre se sépare de ses racines, se dessèche ou produit des fruits monstrueux. Sur le plan collectif ce seront alors des déchaînements sauvages: les exemples abondent au 20ème siècle. Chez l'individu, c'est la névrose, affection mentale où l'inconscient, nié, réclame sa part. La névrose n'est donc pas liée uniquement à des évènements du passé notamment infantiles, comme pour Freud, mais à une situation actuelle. Rétablir le passage sans heurt du courant psychique, source de renouvellement, tel est le but de l'exploration intérieure.
La persona : c'est la partie de nous, apparente, éclairée, que l'on montre aux autres. C'est notre Moi social.
L'ombre : partie inconsciente de notre personnalité, non exposée à la lumière. Ce sont toutes les potentialités que nous n'exploitons pas, mais pas forcément que nous réprimons.
Il existe un équilibre entre la "persona" et "l'ombre" car sinon rien de spontané ne pourrait avoir lieu. Ils dépendent tous deux du contexte socioculturel.
L'inconscient collectif : ses modes de manifestation sont les "archétypes" qui désignent les images anciennes (comme le "dragon", le "paradis perdu"...). Ces images constituent un fond commun à toute l'humanité. Dans chaque individu on les retrouve, en tout temps et en tout lieu, à côté des souvenirs personnels. Ils se manifestent dans les rêves, les délires et les arts picturaux.
Jung distingue plusieurs strates dans l'inconscient collectif:
1ère couche : c'est l'inconscient individuel;
2ème couche : c'est l'inconscient collectif familial auquel on appartient: dans certaines familles il y a par exemple certains chiffres qui reviennent génération après génération;
3ème couche : c'est l'inconscient collectif du groupe ethnique et culturel auquel appartient la famille;
Au dessus : il y a un inconscient collectif primordial. C'est ce qui est le plus général à l'humanité, comme par exemple la peur commune de l'obscurité, les instincts... etc. Dans cet inconscient collectif, il y a des structures de base, un code général où cet inconscient s'exprime et ce sont les "archétypes". Ils puisent dans la matière indifférenciée, le magma, le chaos de l'origine.
Les archétypes : ce sont des structures de base, un cadre général où l'inconscient collectif s'exprime. Ils sont innés, immuables et les mêmes pour tout le monde. Ce sont les contenus de l'inconscient. Les archétypes sont les formes "a priori" de la représentation. Il y a ainsi les archétypes parentaux (Père et Mère), l'anima, l'animus... etc.
L'anima : est l'aspect féminin psychique chez l'homme;
L'animus : est l'aspect masculin psychique chez la femme;
Le Soi : c'est la totalité. Quand cette partie de nous-même a atteint la totalité, elle se prend pour Dieu. Le paranoïaque est un individu qui pense atteindre le Soi. C'est l'inflation pathologique du Soi. On a tous tendance à rechercher l'unité.
Tout le travail de Jung s'est appuyé sur la double question qui domina sa vie: "qu'est-ce que le monde?" et "qui suis-je?". L'insuffisance du cadre religieux éclata aux yeux de ce fils de pasteur. Il devina que la réponse se trouvait au-dedans de lui et non au-dehors.
La psychiatrie lui parut offrir un moyen plus propice d'aborder la totalité de l'Homme. Jung a également travaillé sur la recherche alchimique. Il relia ainsi la mythologie, l'archaïque au psychologique: dans la transformation alchimique du fer en or, c'est la transformation de quelque chose en nous que l'on tente. C'est la transformation de la personnalité.
Jung fut avant tout le témoin d'une réalisation interne. Sa méthode psychologique et son œuvre sont les fruits de cette réalisation. Adolescent, il a rencontré sur son chemin la figure fascinante de Zarathoustra, le "messager du surhumain" qui avait conduit à la folie Frédéric Nietzsche, Bâlois d'adoption comme lui. À son tour il s'est vu contraint par le destin d'affronter ce qui est en définitive, l'unique problème de l'âme moderne: l'homme peut-il être surmonté, et par quelle voie?
Méthode thérapeutique
Afin de rétablir le passage du courant psychique, il faut pratiquer l'exploration intérieure. Pour y parvenir, Jung n'a guère recours à des techniques, capables à ses yeux de préjuger du résultat. Sa méthode est définie par "l'Auseinandersetzung", confrontation, échange sans dérobade entre deux personnalités. Une attitude objective, neutre, n'est pas de mise de la part du praticien. Seul un sujet peut aider un sujet, dans son drame et non à côté. Jung accorde par la suite, comme Freud, une importance capitale au transfert qui est le lien affectif unissant le praticien et le patient. Mais loin d'être, comme pour ce dernier, la simple projection d'une image parentale du patient, le transfert joue pour Jung, à partir du praticien, le rôle actif d'un catalyseur en vue de la manifestation des contenus inconscients. Pour être efficace, il présuppose donc un accomplissement personnel du psychiatre ou du psychologue.
Aux yeux de Jung, la portée de la psychothérapie est aussi variée que la nature humaine. On ne peut lui assigner de but. L'évolution psychologique est essentiellement imprévisible. Les intentions et les voies de la nature ne sont pas les nôtres. La disposition requise à leur égard est donc une attention vigilante alliée à une totale disponibilité.
Auprès de la "petite psychothérapie" qui tend à la guérison de symptômes comme l'obsession, la phobie, l'inhibition... et dans laquelle les découvertes cliniques de Sigmund Freud ont leur place, le praticien peut se trouver engagé dans une "grande psychothérapie", entreprise de longue haleine qui ne vise pas que la transformation de la personnalité. Jung ne se contente pas de rétablir une norme qui reste pour lui à définir.
La thérapeutique de Freud, quant à elle, vise à faire venir à la conscience les contenus personnels inconscients qui, pour avoir été oubliés ou refoulés, troublent la vie consciente.
Voyant dans l'inconscient une énergie pré-existant au Moi, Jung ne fixe pas de limites à sa poussée en vue de son actualisation et accueille toutes les formes de réalisation possibles. Il demeure seulement attentif à sauvegarder le contrôle du Moi conscient. Il se garde aussi de réduire la valeur des matériaux mis au jour. De telles attitudes ne feraient que masquer notre ignorance. Si un grand poète a été névropathe, cela ne touche en rien au mystère de son génie, car tous les névropathes ne sont pas des grands poètes. La reconnaissance dans l'Homme d'une dimension qui "dépasse infiniment l'homme", limité à l'égo, caractérise la psychologie analytique, dite "complexe" ou "des profondeurs" par opposition à la psychanalyse Freudienne.
Dynamisme des images oniriques
Le rêve est pour Jung, comme il l'est pour Freud, la "voie royale" menant à l'inconscient. Jung professe le plus grand respect à l'égard du songe et de son message. Le rêve révèle l'existence d'un psychisme objectif, d'une sagesse naturelle qui tend à l'auto-régulation de la psyché, et dont il est la voie. Il traduit l'état de l'inconscient à un moment donné et exerce normalement une fonction de complémentarité par rapport aux attitudes conscientes. C'est une production naturelle qui doit être examinée comme telle.
Les symboles qu'il met en œuvre pour peindre une situation ne sont pas uniquement des signes, des allégories créés par une fonction de censure servant à dissimuler des figures de l'état de veille, ce qui est la conception Freudienne. Ce sont des images qui ont leur raison d'être en elles-mêmes et possèdent leur dynamisme propre. Leur signification excèdera toujours les interprétations que l'on peut en donner, car le propre du symbole est précisément de mettre le conscient en contact avec ce qui est "inconnu et à jamais inconnaissable".
Le rêve formant un tout complet, son sens ne doit pas être recherché au moyen de libres associations qui nous écartent de lui (méthode Freudienne), mais chaque symbole demande à être éclairé à l'aide du contexte onirique et vital. La nature autonome du symbole, ainsi que l'existence d'un inconscient collectif permettent d'inviter le rêveur à passer au-delà de ses associations personnelles. Il pourra alors examiner toute la portée possible de l'image proposée à sa conscience en utilisant les matériaux historiques qui s'y rapportent. Cette opération est appelée "amplification".
Les symboles peuvent encore apparaître à l'état de veille sous forme de fantasmes, d'impressions visuelles ou auditives. Une mention spéciale doit être faite de l'imagination active. Elle consiste à fixer l'attention sur une image empruntée à un rêve et à en examiner la libre évolution. L'imagination active, où le Moi joue le rôle de témoin vigilant, est aux antipodes de la rêverie. Elle peut fournir un instrument de choix en vue de la maturation des situations oniriques. Les plus belles images demeureront vaines tant que le Moi ne les aura pas faites siennes par un acte qui sera, suivant le cas, interne ou externe. C'est alors seulement que l'on pourra parler d'intégration, de réalisation psychologique.
Inconscient collectif et individuation
Par la voie une et multiple de l'image, l'homme pénètre progressivement dans les cercles qui le mènent vers le centre de son être intérieur. Le premier rencontré est celui de la "persona" (en latin, c'est le masque du comédien). Ce terme désigne ici le personnage social qui, s'il a l'utilité et le caractère indispensables d'un vêtement, risque bien souvent de nous dissimuler notre nature individuelle. Il faut ensuite affronter et intégrer "l'ombre", partie de nous-même constituée par nos défauts et les produits de la fonction psychologique la moins différenciée. L'ombre a cependant un sens plus vaste et peut également désigner l'inconscient dans son ensemble. En effet, tout ce qui n'est pas entré dans la lumière de la conscience apparaît comme rempli d'obscurité et de menace. Jung applique à la plongée dans l'ombre l'expression de "mort volontaire" qu'il emprunte à Apulée parlant des mystères d'Isis. Mais au-delà de la porte étroite, on débouche dans "une immensité sans limites, une indétermination inouïe".
Avec l'entrée dans cet infini, océan d'énergie antérieur à l'individu, Jung franchit un pas que Freud n'avait pas osé faire. Par opposition à l'inconscient personnel, il le nomme inconscient collectif. Son exploration n'est pas sans danger: les énergies qui font alors irruption dans la conscience inondent l'être, tel un déluge. On assiste à un "abaissement du niveau mental" pouvant aller jusqu'à la dissolution de la conscience pendant laquelle le psychologue tient, grâce au transfert, la place d'un Moi de substitution.
Les contenus de l'inconscient collectif, ses modes de manifestation sont les archétypes. Plutôt que des structures préformées, ce sont des virtualités (potentialités) formatrices qui modèlent la matière indifférenciée fournie par le flux de l'énergie psychique. Ce sont de purs dynamismes qui se présentent sous des formes extrêmement variées, mais contenant toutes une forte charge émotionnelle.
Cette charge est à la fois positive et négative: l'archétype est simultanément l'indispensable facteur de l'évolution intérieure et, par la fascination qu'il exerce, une puissance captatrice, un "ogre" redoutable. La vie de l'homme toute entière est dominée et comme aimantée par les archétypes. Les plus puissants d'entre eux sont, sans conteste, ceux des parents.
L'anima est au suprême degré la puissance qui arrache l'homme à son univers relationnel. C'est pourquoi elle apparaît souvent en premier lieu comme la séductrice, le fauteur de désordre. Certains types d'anima demeurent ainsi purement négatifs et aliènent entièrement celui qu'elles entraînent. Mais, peu à peu l'harmonie naît du chaos: l'anima montre son visage d'initiatrice. L'intégration de l'anima chez l'homme, de son homologue l'animus chez la femme, conduit à la réalisation intérieure de l'androgyne mythique. Comme tout ce qui relève de l'inconscient collectif, les archétypes ne sont pas séparés les uns des autres par des limites rigoureuses. Il existe entre eux des parentés, des contaminations, des passages. Ils se manifestent non seulement à l'intérieur mais aussi sous forme de situations où l'évènement extérieur se trouve en correspondance avec une donnée psychique. L'archétype doit être considéré comme un facteur (non pas psychique mais "psychoïde"), dans lequel on peut voir le pont reliant le monde intérieur et le monde extérieur. Il façonne à la fois la psyché et le continuum espace-temps.
L'apparition de l'inconscient collectif et de ses messages au premier plan des préoccupations contemporaines constitue pour Jung la voie par laquelle la nature s'efforce de résoudre un grand problème: le développement prodigieux de la conscience claire a eu pour contrepartie la mise en jachère du domaine de l'âme, de l'irrationnel, relégués au rang de résidu de l'âge mythologique. L'intellect a usurpé la place de l'esprit créateur et celui-ci doit être recherché non plus en haut, telle une flamme, mais dans les profondeurs où se trouvent les eaux, ainsi qu'en témoignent les rêves de nombreux hommes d'aujourd'hui. Les plus beaux triomphes de la science ne sauraient compenser cette perte d'âme. L'homme, une fois seul avec lui-même, se sent dans un état d'indigence spirituelle, génératrice de déséquilibre: "la névrose, écrit Jung, est la souffrance d'une âme qui a perdu son sens".
L'individuation conduit au retrait des projections. L'homme dépouille le monde extérieur de son pouvoir de fascination et parvient à l'autonomie. A la loi arbitraire du Moi et des influences extérieures, se substitue une règle interne. Le nouveau centre appelé Soi est situé au-delà du Moi qui occupe par rapport à lui la position d'un satellite. Comparant les symboles du Soi et ceux qui expriment la divinité dans les religions et les mythes, Jung conclut que le Soi est identique à l'image de Dieu dans l'âme...
Il existe depuis 1948 à Zurich, un institut C.G. JUNG qui assure la formation des praticiens. L'école Jungienne a des représentants un peu partout dans le monde.
http://psychiatriinfirmiere.free.fr/infirmiere/formation/psychiatri...
"LE POUVOIR DU MIROIR"
Chapitre III : les tyrans intérieurs (extrait)
Le texte ci-dessous est un extrait du livre " Le pouvoir du miroir " par Daniel Cordonier, paru aux Editions Georg (2ème édition 1999). Ce texte est soumis à la législation internationale sur le copyright. Il est destiné à une utilisation personnelle et ne peut être distribué, traduit ou diffusé sans l'autorisation de l'éditeur. En consultant ce fichier, vous acceptez de respecter ces limitations d'utilisation.
L'OMBRE ET LA LUMIERE
Carl Gustav Jung pensait qu'au bout de la pénible exploration de notre inconscient se trouvait la découverte du soi, notre lumière intérieure, la part de sagesse divine enfouie au plus profond de nous-mêmes. Mais le psychiatre suisse affirmait qu'avant d'arriver à cette lumière, l'explorateur devait d'abord rencontrer un personnage qu'il a appelé l'ombre. L'ombre peut être définie comme notre double inversé, celui ou celle que nous aurions pu être, mais que nous ne sommes pas. C'est notre face obscure, elle contient l'ensemble des traits de caractère qui n'ont pas pu se développer dans notre personnalité. Elle symbolise en quelque sorte notre frère jumeau opposé qui est caché dans les profondeurs de notre inconscient. Ce frère représente ce qui manque à notre conscience, ce qui aurait pu vivre mais est resté enfoui en nous sans parvenir à naître. Si vous êtes timide et réservé, votre ombre aura probablement les traits d'un personnage très sûr de lui, séducteur et plein de charme. A l'inverse, si vous avez une personnalité énergique, si vous adorez les défis et l'aventure, votre ombre aura l'aspect d'un être anxieux, craintif et pantouflard.
Comment reconnaître notre ombre ? Jung, tout comme Freud, accordait une grande importance à l'analyse des rêves. D'après lui, l'ombre apparaît presque toujours dans les songes sous la forme d'un personnage du même sexe que l'individu qui rêve, mais possédant une personnalité opposée. Un homme aimable, poli et charitable pourra par exemple rêver d'un officier nazi hautain, brutal et impitoyable. Une femme soumise et casanière verra surgir dans ses songes une aventurière séductrice qui mène les hommes par le bout du nez. L'ombre représente les tendances que nous n'avons pas laissées éclore dans notre personnalité. Comme la plupart des gens tentent de se conformer à des règles morales de respect, de bonté et d'honnêteté, leur ombre possède souvent des traits plutôt négatifs qui représentent l'inverse de ces valeurs.
Mais comme tous les archétypes, l'ombre présente aussi des aspects positifs. Sa fonction principale est de nous permettre de relativiser notre vision de nous-mêmes, elle agit comme une sorte de contrepoids à notre personnalité consciente. Si nous sommes capables de la reconnaître et de l'accepter, nous pouvons la maîtriser et en faire un facteur d'enrichissement de notre être. Elle nous montre que nous sommes des individus plus complexes que nous ne le pensons, et que chacun de nous porte en lui son contraire. Elle nous aide aussi à nous montrer plus tolérants face aux défauts d'autrui. Mais cela implique d'accepter des parts de nous-mêmes qui sont souvent peu reluisantes et qui nous remettent parfois douloureusement en question. Ce chemin est pourtant le seul qui soit moralement et psychologiquement valide. Sainte Thérèse de Lisieux disait très justement : " si vous acceptez de vous déplaire, vous serez un abri pour Jésus ". Mais la plupart des gens n'ont pas ce courage et préfèrent ignorer leur jumeau obscur. C'est là que le danger guette, car plus la personnalité consciente est rigide et unilatérale, plus l'ombre devient puissante et potentiellement nuisible. Si elle est méconnue et mise à l'écart, elle risque un jour de prendre le pouvoir.
Nous avons vu que les forces inconscientes peuvent prendre le pouvoir et nous manipuler si nous refusons de les reconnaître et de dialoguer avec elles. Les personnes qui sont absolument convaincues d'être bonnes et justes, qui n'ont pas le moindre doute sur leur droiture et leur honnêteté sont celles qui risquent le plus d'être manipulées par leur ombre. Elles refusent de voir la part ténébreuse qui se cache en elles et n'ont pas compris que chaque acte comporte à la fois un côté lumineux et une face obscure. Le dévouement constant envers autrui, par exemple, est évidemment un acte digne d'admiration, mais il peut obéir à des motivations peu avouables. En aidant quelqu'un, on acquiert du pouvoir sur lui et on peut le rendre dépendant au point qu'il ne pourra plus se passer de nous. Les gens qui veulent aider les autres devraient impérativement apprendre à reconnaître leur ombre. Sans cette prise de conscience, ils risquent en toute bonne foi de commettre des dégâts parfois irréparables. Il en va évidemment de même pour toutes celles et ceux qui rêvent de changer le monde...
Nous savons que la prise du pouvoir par les forces inconscientes peut se produire de différentes façons. Dans certains cas le tyran intérieur se manifeste directement, mais chez la plupart des individus, ce sont les mécanismes de défense qui entrent en scène et réduisent la personne en esclavage (le plus souvent sans qu'elle s'en aperçoive). En ce qui concerne l'ombre, la prise du pouvoir directe peut prendre différentes formes, des plus bénignes aux plus dramatiques. Dans les cas anodins, on la voit apparaître pour un court instant, comme la tête du serpent qui surgit quelques secondes avant de disparaître à nouveau dans les taillis. Cette brève apparition peut prendre la forme d'une remarque blessante ou pleine de fiel qui nous échappe subitement dans une conversation, le genre de phrase dont on se demande après coup : " mais pourquoi diable ai-je dit une telle méchanceté ? ". Cela vous est peut-être déjà arrivé. Ces situations sont fréquentes et la plupart du temps sans conséquences. Elles nous permettent simplement de constater que nous ne sommes pas aussi sympathiques et tolérants que nous le pensions : notre ombre s'est rappelée à notre bon souvenir. Dans d'autre cas, la prise de pouvoir est beaucoup plus massive et spectaculaire, entraînant une modification soudaine de comportement avec des conséquences parfois tragiques. Les faits divers de nos quotidiens fourmillent d'exemples de ce mécanisme. C'est l'employé timide qui a gentiment souri pendant 20 ans aux moqueries de ses collègues et aux brimades de son patron, et qui un jour débarque au bureau avec un fusil mitrailleur et massacre tout le monde. Ou la mère de famille modèle mariée depuis 30 ans qui une nuit tranche le sexe de son époux avec un couteau de cuisine. Les guerres et les situations d'anarchie sont souvent propices à l'émergence de l'ombre chez des individus qui semblaient jusque là parfaitement civilisés. Durant la guerre civile qui a débuté en Bosnie Herzégovine en avril 1992, de nombreux bosniaques musulmans qui habitaient dans des régions minoritaires ont soudain vu leurs voisins serbes avec qui ils avaient partagé les bancs d'école et dansé aux fêtes de village se transformer en brutes sanguinaires prêtes au massacre.
Mais, en ce qui concerne l'ombre comme pour les autres forces qui peuplent notre univers intérieur, la prise de pouvoir la plus insidieuse et la plus difficile à reconnaître est celle qui se produit à travers les mécanismes de défense. Plus un individu a une vision rigide et unilatérale de lui-même, plus son ombre insistera pour être reconnue. Afin d'échapper à cette douloureuse confrontation avec son jumeau obscur, le moi mettra automatiquement en place un mécanisme de défense pour se protéger. Lorsqu'il s'agit d'éviter de voir la partie ténébreuse de soi-même, le mécanisme qui surgit le plus souvent est celui de la projection. Il s'agit, comme nous l'avons déjà vu, de projeter sur l'extérieur des désirs ou des pensées qui risqueraient de remettre en question notre image de nous-mêmes. Quelqu'un qui est absolument persuadé d'être toujours juste et droit fera tout pour ne pas reconnaître la part de lui-même susceptible de tricherie et de fausseté, il projettera donc son ombre sur les autres. Il les verra comme des menteurs et des hypocrites, ce qui lui permettra de continuer à se considérer comme parfaitement intègre et loyal.
Celui qui n'a pas le courage d'affronter son ombre la fait porter aux autres. Il se dessine une carte du monde en noir et blanc avec d'un côté les bons (dont il fait toujours partie) et de l'autre les méchants qu'il faut craindre ou éliminer. Le même mécanisme se passe au niveau des nations ou des systèmes politiques. Dans les années 1980, le président américain Ronald Reagan affirmait que le communisme était une création du Diable. De leur côté, les ayatollahs irakiens qualifiaient les USA de Grand Satan et les communistes soviétiques dépeignaient le capitalisme comme la cause de tous les vices et de toutes les injustices. Nous retrouvons une fois de plus l'une des clés de la manipulation : quelqu'un qui est prisonnier d'un dictateur intérieur devient une proie facile pour les tyrans ou les démagogues extérieurs. Tous les discours guerriers, racistes et nationalistes sont basés sur la projection de l'ombre. Ces exhortations touchent en priorité les gens qui n'ont pas conscience de leur part obscure. Ils boivent comme du petit lait les affirmations selon lesquelles ceux qui ont une autre nationalité, une autre religion ou une autre couleur de peau sont paresseux, agressifs, menteurs ou nuisibles. Cela leur évite de s'interroger sur leurs propres défauts. En faisant porter leur ombre aux autres, ils peuvent continuer à se considérer comme des gens bien et attribuer tous leurs problèmes à ceux qui ne partagent pas leur vision du monde. Ce sont eux que les tyrans utilisent pour mener un pays à la guerre ou à la haine raciale. Ils sont prêts à mourir en héros pour débarrasser le monde de ceux qu'ils considèrent comme les méchants.
Savoir reconnaître et maîtriser l'ombre permet de ne plus tomber dans ces pièges. L'individu qui en est capable voit le monde en couleurs, pas en noir et blanc. Il sait qu'en lui comme en chaque être humain se trouve l'obscur et le lumineux, le meilleur et le pire. Il comprend que le premier travail d'un homme est d'affronter ses propres démons, pas de pourchasser ceux des autres. Mais comment faire pour distinguer notre ombre ? Nous avons vu qu'elle apparaît dans les rêves, mais rêver d'un officier nazi ne nous aide pas forcément à prendre conscience de la face ténébreuse de notre personnalité. Un moyen plus efficace et surtout plus concret d'appréhender notre ombre consiste à examiner nos réactions face à nos proches. Y a-t-il parmi les personnes que vous connaissez (surtout celles du même sexe que vous) quelqu'un qui vous énerve et vous fait sortir de vos gonds, quelqu'un dont le comportement vous paraît inadmissible et révoltant, quelqu'un à qui vous ne voudriez ressembler à aucun prix ? Cette personne représente probablement une bonne image de votre propre ombre ! Ces individus dont nous disons parfois : " c'est ma bête noire " nous touchent et nous irritent parce qu'ils correspondent justement à notre partie obscure. Si nous pouvons admettre qu'une part de nous-mêmes leur ressemble, nous avons la possibilité d'entrer en contact avec notre ombre. Non pas pour admettre ses revendications, mais pour les écouter, les transformer et les soumettre à notre volonté et à notre conscience morale. Par ce travail, notre face ténébreuse peut devenir source de réflexion et d'enrichissement au lieu de nous manipuler et de nous rendre esclaves.
http://serenagaia.blogspot.fr/2014/06/depression-et-spiritualite.html
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