Un moyen de se faciliter l’intelligence des résultats de la science occulte consiste à diriger les facultés ordinaires de l’âme sur ce qui fournit des concepts susceptibles d’être élargis et transformés au point d’atteindre peu à peu les phénomènes et les êtres du monde spirituel. Si l’on manque de patience pour choisir ce chemin, on sera sujet à se représenter le monde spirituel comme par trop semblable au monde physique ou sensible ; bien plus, on restera incapable de se faire une idée correcte de l’esprit et de ses rapports avec l’homme.
Les phénomènes et les êtres spirituels se manifestent à l’homme quand son âme est préparée à les percevoir, mais la façon dont ils se manifestent n’est pas celle des faits et des êtres physiques. On peut se faire une idée de cette différence essentielle en portant son attention sur la nature du souvenir. On a été, par exemple, il y a quelque temps, mêlé à un événement. Ce dernier, à un moment donné, émerge de la subconscience.
On sait que ce qui émerge ainsi correspond à un événement réel et on l’y rapporte. Mais ce qui est présent, au moment du souvenir, c’est uniquement l’image-souvenir dudit événement. Qu’on se représente maintenant, surgissant dans l’âme, une image semblable, il est vrai, à une image-souvenir, mais exprimant toutefois un contenu étranger à l’âme, c’est-à-dire quelque chose ne provenant pas d’expériences faites antérieurement — et l’on aura compris comment, dans une âme dûment préparée, le monde spirituel commence à apparaître. Puisqu’il en est ainsi, quelqu’un qui ne connaît pas assez bien les lois du monde spirituel objectera toujours que les soi-disantes expériences spirituelles ne sont autre chose que des images-souvenirs plus ou moins distinctes, prises à tort pour des révélations du monde occulte. Il faut bien concéder qu’il n’est pas facile, dans ce domaine, de distinguer l’illusion de la réalité.
Bien des personnes, en effet, s’imaginent avoir des perceptions du monde suprasensible, alors que de simples images-souvenirs — qu’elles ne savent pas discerner comme telles — occupent leur esprit. Pour être tout à fait à l’abri de l’erreur, il faut être instruit de ce qui peut engendrer l’illusion. Ainsi, par exemple, un incident visuel fugitif qui a à peine effleuré la conscience, peut surgir plus tard — même tout à fait modifié — en forme d’image vivante, et, celle-ci, à défaut de souvenir précis, sera tenue pour une véritable inspiration. Ceci et beaucoup d’autres raisons encore expliquent fort bien pourquoi ceux qui ne connaissent guère les méthodes particulières de la science occulte, trouvent les données de la clairvoyance extrêmement discutables.
Mais si l’ont veut bien tenir un compte exact de ce que j’ai dit du développement de la clairvoyance dans mon livre L’Initiation, on arrive pourtant à pouvoir distinguer dans ce domaine, l’illusion de la vérité. À cet égard, il sera permis de faire remarquer encore ceci. Il est vrai que les phénomènes spirituels se manifestent d’abord comme images ; c’est-à-dire qu’ils surgissent sous cette forme des profondeurs de l’âme dûment préparée. Or, ce qui importe, c’est de savoir acquérir la juste appréciation de ces images. Car, pour la perception spirituelle, elles n’ont de valeur que quand, par toutes les façons dont elles se présentent, elles ne prétendent pas s’imposer comme des réalités en soi ; autrement, elles ne vaudraient guère plus que des rêves ordinaires. Elles doivent, comme les lettres de l’alphabet, être considérées comme des signes. Quand on a devant soi des lettres, on ne s’attache pas à leur forme, mais on les lit pour savoir ce qu’elles veulent exprimer. De même qu’un écrit n’invite pas à décrire les caractères dont il se compose, les images qui forment le contenu de la clairvoyance, ne doivent pas être saisies pour elles-mêmes, mais elles incitent l’âme à faire abstraction de leur apparence et à se concentrer sur le phénomène ou l’être spirituel qui s’exprime par elles.
Il ne vient à l’idée de personne de faire remarquer qu’une communication épistolaire contenant des nouvelles inédites ne se compose après tout que d’une série de lettres connues depuis longtemps. Il serait tout aussi déplacé de dire que les images de la clairvoyance ne contiennent que des éléments empruntés à la vie ordinaire. Certes, de pareils éléments s’y trouvent ; mais ce qui importe pour la conscience véritablement clairvoyante, ce ne sont pas ces emprunts à la vie ordinaire, mais bien ce que les images expriment.
La première tâche de l’âme est de se préparer à voir surgir de telles images à l’horizon spirituel ; mais, il faut de plus que l’âme cultive en soi l’instinct de ne pas s’attarder aux images, mais de les rapporter comme il convient au monde suprasensible. Il est tout à fait juste de dire que la vraie clairvoyance ne consiste pas seulement dans la faculté de contempler en soi un monde d’images, mais, avant tout dans cette autre faculté comparable dans le monde sensible à la lecture d’un texte. Il faut commencer par se représenter le monde suprasensible comme se trouvant tout à fait en dehors de la conscience ordinaire. Rien, dans cette conscience, ne lui permet d’approcher ce monde.
Grâce à la méditation les forces de l’âme grandissent et créent un premier contact avec le monde spirituel, ce qui fait que les images dont nous avons parlé émergent des flots de la vie intérieure. Elles forment un tableau qui est, en somme, tissé tout entier par l’âme elle-même, c’est-à-dire par les forces que l’âme s’est acquises dans le monde sensible. En tant qu’assemblage d’images ce tableau ne contient vraiment que du souvenir. Pour l’intelligence de la conscience clairvoyante il est bon de se rendre compte de tout cela autant que possible.
Non seulement on se garantira alors contre toute illusion concernant la nature des images, mais on s’acquerra aussi par là un sentiment juste de la manière dont il faut rapporter les images au monde suprasensible. On apprendra par les images à lire dans le monde spirituel. Il est dans la nature des choses que par les sensations du monde sensible on est beaucoup plus près des êtres et des phénomènes de ce monde qu’on ne l’est du monde suprasensible par les images de la conscience clairvoyante. On pourrait même dire que ces images ne sont d’abord que comme un rideau que l’âme place devant le monde suprasensible quand elle sent le contact établi entre elle et ce dernier. Il faut se familiariser peu à peu avec la manière dont les phénomènes occultes atteignent l’âme. De l’expérience spirituelle résultera une interprétation de plus en plus correcte, une lecture de plus en plus juste de ces phénomènes. Si ces derniers ont un caractère particulièrement important, il apparaîtra avec évidence qu’ils ne peuvent provenir d’images-souvenirs de la vie ordinaire. Malheureusement parmi ceux qui, à tort ou a raison, croient s’être acquis des convictions de certaines connaissances suprasensibles, on rencontre bien des affirmations absurdes.
Combien de personnes, pour être convaincues de la réalité de la réincarnation, s’empressent de rapporter aux expériences d’une vie terrestre antérieure certaines images surgissant dans leur âme ! On devrait toujours se méfier quand ces images semblent indiquer des vies précédentes telles qu’elles ressemblent sous certains rapports à la vie actuelle ou qu’elles se manifestent de telle façon que la vie actuelle puisse être intellectuellement comprise par ces soi-disant vies antérieures. Quand, dans une véritable expérience occulte, la vraie impression de la vie précédente ou d’incarnations antérieures surgit, elles apparaissent comme fort différentes de tout ce que l’imagination, les désirs et les aspirations orientés vers la vie actuelle eussent jamais été capables ou désireux de produire. Il peut arriver, par exemple, que l’impression de la vie terrestre précédente se présente dans un moment de la vie actuelle où il est impossible de s’assimiler les facultés ou qualités que l’on avait possédées dans cette vie antérieure.
Non seulement les images qui se présentent lors de pareilles expériences spirituelles particulièrement importantes sont loin de rappeler des faits de la vie ordinaire, mais elles en sont généralement tellement différentes qu’on aurait été incapable de les concevoir. Cela est bien plus encore le cas pour les impressions véritables provenant des mondes tout à fait transcendants. Ainsi, il est souvent radicalement impossible de former des images dérivant de la vie ordinaire et se rapportant à l’existence entre les vies terrestres, c’est-à-dire à la période entre le dernier décès de l’homme dans la vie antérieure et sa naissance à la vie actuelle. On peut alors faire l’expérience que, pendant la période vécue dans le monde spirituel, on a développé en soi des sympathies et des penchants complètement opposés à ceux qu’on est en train de développer dans la vie terrestre. On reconnaît que, dans la vie terrestre, on a souvent été amené à s’intéresser avec amour à des choses qu’on a repoussées ou évitées dans la vie spirituelle précédente (entre la mort et la naissance). Tout ce qui pourrait émerger des expériences ordinaires en forme de souvenir devrait être différent de l’impression reçue par la véritable perception occulte. Celui qui ne connaît pas à fond la science occulte pourra toujours faire des objections, même quand la description qui vient d’être donnée est juste.
Il pourra dire : « Eh bien, oui ; j’aime une chose. La nature humaine est compliquée. À toute sympathie est mêlée une secrète antipathie. À un moment donné cette dernière surgit et je la prends pour un phénomène prénatal, alors que, peut-être, elle peut très naturellement s’expliquer par les données de la subconscience. » Il faut reconnaître en général qu’une pareille objection est certainement à sa place dans nombre de cas. C’est qu’il n’est pas facile d’acquérir les connaissances de la conscience clairvoyante de façon à ce qu’elles soient à l’abri de toute objection. Mais s’il est vrai qu’un prétendu clairvoyant peut se tromper et rapporter une donnée de la subconscience à une expérience spirituelle prénatale, il est tout aussi vrai que la discipline occulte amène à une connaissance de soi-même telle, que cette dernière embrasse jusqu’au domaine de la subconscience et puisse, à ce point de vue aussi, être affranchie de toute illusion.
Tout ce que nous voulons affirmer ici, c’est que nos connaissances suprasensibles ne sont vraies qu’à la condition qu’au moment où nous les élaborons, nous sachions distinguer entre ce qui provient des mondes suprasensibles et ce qui est simplement formé par notre propre représentation. Mais en se familiarisant avec les mondes suprasensibles on s’approprie une telle faculté de discernement qu’on finit par distinguer, dans ce domaine, la perception de l’illusion aussi bien que, dans le monde physique, on distingue un fer chaud qu’on touche du doigt d’un fer chaud simplement imaginé.
EXTRAIT du livre : LE SEUIL Du MONDE SPIRITUEL de RUDOLF STEINER aux Editons ALICE SAUERWEIN retranscrit par Francesca
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