Sommaire
Nos histoires d’amour ne sont pas seulement le fruit de notre désir ou du hasard. Elles sont aussi « influencées par le discours ambiant sur l’amour et sur le couple, placé sous le signe de l’hédonisme et de l’individualisme, constate Patricia Delahaie, mais toujours imprégné d’idéalisme. Les nouvelles technologies n’y changent rien : au XXIe siècle, on continue à chercher l’âme sœur ». Pour la psychosociologue, les mythes sur l’amour ne sont jamais totalement fondés ou totalement infondés. Les idéaux qui les constituent sont les nôtres, collectivement et individuellement. « Parmi les six que nous avons sélectionnés, certains sont plus bienfaisants que d’autres. Ce sont ceux qui nous rendent acteurs de la relation au lieu de nous placer en spectateurs passifs. C’est pourquoi il est important de les décrypter pour mieux s’en servir. »
Le mythe de la bonne personne
« Quelqu’un m’attend quelque part »
Platon et ses androgynes incomplets, les contes de fées et leurs princes et princesses prédestinés… Le mythe de l’autre forcément unique est solidement ancré dans notre inconscient collectif culturel et n’a pas faibli au fil des siècles. Même le technopragmatisme des nouveaux moyens de rencontre amoureuse n’a pas détrôné cet idéal. Sans doute parce que ce mythe prend également racine individuellement dans notre passé le plus archaïque. Celui du nourrisson qui reçoit tout (la nourriture, les soins, l’amour) de sa mère ou de la personne qui l’a en charge. Demeure alors, tapi dans notre inconscient, l’espoir de rencontrer, ou plutôt de retrouver, cette personne toute bonne qui viendra mettre fin à notre incomplétude et à nos errances.
Ses effets : ce mythe a une dimension positive : son aspect dynamique. Il pousse à la recherche de l’amour. Il est un idéal et, à ce titre, il est moteur de vie, il alimente le désir. En revanche, son caractère prédestiné peut conduire à rechercher son partenaire avec un portrait-robot trompeur en main. Car cet autre, unique et « sur mesure », correspond en fait à l’assemblage de données archaïques, saisies par notre inconscient, dans une logique qui nous échappe, chez notre mère et notre père. Nous sommes toujours troublés et attirés par quelqu’un qui nous rappelle quelque chose de l’enfance (odeur de peau, caractéristiques physiques, comportementales), mais, pour autant, cela ne veut pas dire que l’on pourra construire une relation satisfaisante avec cette personne. Sans compter que cette quête avec œillères nous prive d’emblée d’autres rencontres (avec des partenaires qui ne figurent pas sur notre « logiciel ») potentiellement bonnes.
S’en servir : il existe plusieurs « bonnes » personnes pour soi. Et non une seule qui concentrerait tout ce que l’on attend de l’autre à tous les âges de la vie. C’est à deux que se crée et se façonne la relation amoureuse et que, en retour, celle-ci nous remodèle. C’est pourquoi il peut y avoir plusieurs bonnes relations au cours d’une vie, qui ne se développent pas sur les mêmes bases et qui se nourrissent de nouveaux ingrédients.
« Avant l’heure, ce n’est pas l’heure ; après, non plus »
Jamais après une séparation récente. Et toujours se donner le temps de la réflexion… Ainsi, il existerait un bon timing amoureux qui assurerait le déroulement heureux d’une relation et un autre, mauvais, qui garantirait son échec. Ce mythe n’est pas nouveau, il est lié à la conception helléno-romaine du destin, cette temporalité décidée par les dieux et imposée aux hommes, qui doivent en tenir compte pour gagner les guerres et les cœurs. Aujourd’hui, dans un monde où le temps s’accélère, où domine l’angoisse de passer à côté de sa vie, de faire les mauvais choix, le mythe du timing est particulièrement prégnant.
Ses effets : ce mythe entretient l’idée selon laquelle la réussite ou l’échec d’une relation amoureuse tiendraient à des éléments extérieurs à soi et au couple. Le fatum des Romains (personnification du destin choisi parles dieux pour les hommes) prenant ici la forme d’un calendrier psychotemporel. Ainsi, une relation nouée après une rupture récente serait forcément une relation pansement, vouée à ne durer que le temps de la convalescence amoureuse. Tandis qu’un timing favorable – le temps post-convalescence, par exemple – garantirait des liens plus stables et plus pérennes.
S’en servir : seul est valide notre timing intérieur, notre calendrier psycho émotionnel. Il est singulier et, de ce fait, non généralisable. C’est l’individu qui dispose ou non, à un moment donné de sa vie, de la capacité à s’ouvrir, à ressentir et à choisir ce qui peut être bon pour lui. Des histoires solides et durables peuvent se construire à l’ombre d’événements qui, a priori, ne sont pas considérés comme favorables (deuil, maladie, chômage). L’inverse peut également être vrai. D’où l’importance de s’écouter, de se faire confiance et de ne pas prendre avertissements et conseils pour argent comptant.
« Le couple, c’est du travail »
Cette croyance remonte aux fondations de l’amour aristocratique : les partenaires se choisissent pour constituer une équipe afin de gérer au mieux famille et patrimoine. Ce projet accorde une place prédominante à la raison. C’est par ce même prisme aujourd’hui que l’on fait de l’amour la raison sociale de l’entreprise couple. Ainsi, pour qu’il dure, dans un monde où tous les contrats prennent de plus en plus la forme de CDD, on en appelle à la valeur travail. C’est-à-dire à la nécessité de se fixer un objectif et de se servir d’outils appropriés pour atteindre son but. Cette démarche est nourrie par la culture du développement personnel, qui s’est étendue dans tous les domaines de notre vie et qui postule que le travail sur soi est la clé de l’épanouissement.
Ses effets : ce mythe invite à considérer la relation amoureuse comme dépendante de la nourriture qu’on lui apporte. Il invalide la croyance de l’amour clés en main pour favoriser une posture active dans la relation. Sur son versant négatif, il induit un autre type de croyance : l’idée selon laquelle il faut fournir des efforts pour que durent le désir et l’amour.
S’en servir : cette croyance est basée sur un fantasme de toute-puissance et nie la dimension inconsciente de la relation, donc celle du désir, qui échappe à toutes les programmations. Or le couple est une entité organique, il a un rythme qui, comme la respiration, est bâti sur l’inspiration (on se rapproche) et l’expiration (on s’éloigne). Prendre conscience et accepter que ces fluctuations sont le fait d’un couple vivant permet que l’on s’ajuste souplement à ses mouvements plutôt que de s’y atteler laborieusement. Un couple vivant n’est pas en travail mais dans l’échange.
Le mythe de la fusion
« Un plus un égale un »
À la source, toujours Platon et le mythe de l’incomplet (in Le Banquet) enfin complété par sa moitié. Mais il faut également remonter aux premiers moments de notre existence, à ce que le pédiatre et psychanalyste britannique Donald W. Winnicott comparaît à trois semaines de folie douce entre le nourrisson et sa mère. La fusion extatique des corps et des cœurs, qui devient pour certains d’entre nous la seule façon d’aimer et d’être aimés et constitue pour tous un âge d’or de l’amour. À l’heure où les fragilités et les précarités collectives et individuelles sont mises à nu, le fantasme de fusion avec l’autre – celui qui ne nous quitterait jamais – constitue une des représentations de la sécurité existentielle : « Je ne serai plus jamais seul, plus jamais vide. » Derrière ce mythe, il faut entendre aujourd’hui le désir désespéré de solidité, de pérennité, de consistance de l’existence, autant de valeurs qui font cruellement défaut à nos sociétés postindustrielles.
Ses effets : la fusion abolit la relation dans le sens où, pour être relié, il faut de la distance entre soi et l’autre. Elle abolit aussi le « je » pour créer une entité unique, le « nous ». Le monde extérieur, les autres disparaissent, faute d’intérêt. Pour certains couples, ils sont même une menace. La fusion durable passe toujours par un appauvrissement de l’être et de ses ressources, sans toutefois installer en profondeur le sentiment de sécurité.
S’en servir : il y a la fusion que l’on recherche comme un idéal amoureux et celle que l’on vit au début d’une histoire d’amour. Dans les coups de foudre particulièrement, la fusion est totale. Il y a régression émotionnelle et corporelle vers cet âge d’or où le nourrisson est enveloppé par sa mère. Pour la majorité d’entre nous, cette fusion n’a qu’un temps. Chacun investit ensuite d’autres domaines (les enfants, le travail, les amis) et la « folie » retombe. Pour d’autres, elle peut être une quête sans fin (multiplication des rencontres pour ne vivre que l’intensité des débuts), qui peut trouver son aboutissement dans la rencontre d’un partenaire également en quête de fusion. Pour autant, la sécurité qu’offre la fusion est en partie illusoire. La peur est toujours à l’œuvre, principalement celle de perdre l’autre. Lorsque cette perte advient, elle peut provoquer l’effondrement psychique de celui qui se retrouve seul ou, au contraire, une ouverture à d’autres façons d’être et d’aimer.
« Qui se ressemble vraiment s’assemble longtemps »
À l’origine de cette croyance bien ancrée dans les esprits, l’histoire de Narcisse, qui, repoussant la nymphe Echo, tombe amoureux de son reflet alors qu’il s’abreuve à une source. L’histoire d’amour impossible finira par la mort de Narcisse. Plus près de nous, la recherche du double parfait, avec les sites de rencontres et leurs critères d’élection de l’âme sœur à partir d’affinités et de ressemblances censées garantir des unions harmonieuses et pérennes. L’âme sœur serait en réalité une âme jumelle. La croyance à l’œuvre est facilement décryptage, en ces temps de précarité et d’angoisse collective : le semblable est devenu la valeur refuge. L’entre-soi privilégié par les communautarismes de tout poil en témoigne. Comment se tromper, comment connaître désillusions et déceptions dès lors que l’on vit avec une autre version de soi-même, vibrant de la même façon, attachée aux mêmes valeurs, désirant les mêmes choses et venant du même milieu ?
Ses effets : ce mythe du « même », qui assurerait une relation durable exempte de mauvaises surprises, a deux versants. Côté positif : cette quête pousse à prendre son temps pour connaître l’autre et s’intéresser à lui en profondeur. Côté négatif : ne s’intéresser qu’aux semblables, donc se priver de « l’inquiétante étrangeté de l’autre » si nécessaire pour alimenter curiosité et désir.
S’en servir : l’observation de milliers de couples permet de distinguer un facteur qui contribue à la qualité et à la pérennité d’une relation : l’existence d’un socle commun, constitué de compatibilité psychoaffective et d’intérêts partagés. En somme, il ne s’agit pas tant d’être « pareils » que d’être sur la même longueur d’onde. Semblables dans l’orientation générale que l’on souhaite donner à sa vie, compatibles dans la façon de communiquer, d’agir et de réagir, mais aussi suffisamment différents pour susciter l’intérêt, voire la surprise, pour générer une certaine insécurité propice à la relance ou au maintien du désir.
« Connais-toi toi-même pour mieux aimer »
C’est un mythe contemporain qui prend évidemment racine dans l’injonction socratique « Connais-toi toi-même ». Dans notre culture de l’effort, de la performance, qui est également une culture de l’individualisme, il s’agit de prendre en charge tous les pans de sa vie sur la base du volontarisme et de la rationalité. Bien se connaître pour mieux aimer – qui est l’un des fondamentaux du développement personnel – sous-entend que l’on doit tirer toutes les leçons du passé, débusquer tous nos conditionnements et dysfonctionnements, et ce afin de nouer une relation amoureuse saine et durable.
Ses effets : le bon côté de ce mythe est que son postulat nous invite à nous pencher sur nos expériences passées et sur nos attentes présentes. Il nous rend acteurs de notre vie amoureuse en nous mettant en situation de responsabilité. En revanche, cette injonction peut nous maintenir dans l’illusion que le « bon » couple se mérite, qu’il serait la récompense d’un bon travail sur soi. Et qu’un échec ou une déception seraient la preuve du contraire. Ce qui est culpabilisant et n’est que très partiellement vrai.
S’en servir : se connaître a des limites. D’abord parce que nous changeons au fil du temps, des rencontres et des expériences, et ensuite parce que nous possédons un inconscient qui échappe à nos investigations rationnelles. Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas tenter de comprendre ce que nous répétons (en termes de choix de partenaire ou de comportement), surtout si cela génère de l’inconfort ou de la souffrance. Nous pouvons aussi nous interroger sur ce dont nous avons envie et besoin dans une relation amoureuse. Qu’est-ce qui est primordial pour soi ? Qu’attend-on de l’autre en profondeur ? Quels projets de vie sont prioritaires ? Autant de questions en forme d’introspection qui peuvent nous aider à être plus lucides sur nous-mêmes et sur l’autre.
Source : Psychologies
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