Le 26 février 2008, une réserve mondiale qui pourra contenir jusqu'à 4,5 millions d'échantillons végétaux a été inaugurée au nord de la Norvège. Censée protéger le patrimoine alimentaire de l'humanité d'une catastrophe planétaire, cette "Arche de Noé" suscite bien des interrogations quant à ses motivations réelles.
C'est dans un bunker prisonnier des glaces et d'une terre gelée en permanence appelée permafrost que les graines des principales cultures vivrières du monde sont conservées à une température de - 18 °C. Cette réserve, sous haute protection, se trouve sur une île de l'archipel du Svalbard à 1000 km du pôle Nord.
Il s'agit officiellement de disposer d'un "grenier" mobilisable en cas de catastrophe majeure qui compromettrait nos ressources alimentaires afin de "garantir la préservation de la diversité des produits agricoles pour le futur". A terme, plus de 4,5 millions de semences y seront stockées, ce qui équivaut à environ 2 milliards de graines, deux fois plus que le nombre de variétés que nous cultivons. Actuellement, 250 000 échantillons ont déjà été collectés auprès de différents États et institutions qui en resteront propriétaires. En effet, si une variété de culture vient à disparaître, les Etats et institutions pourront récupérer les graines qu'ils ont déposées.
Si cela n'est bien sûr pas suffisant pour recréer l'ensemble de la biodiversité des végétaux, il s'agit un palliatif qui pourrait être d'un grand secours en cas de crise majeure. Changements climatiques, menaces nucléaires, effondrement de la biodiversité, épidémies, catastrophes naturelles, chute d'un météorite : les raisons ne manquent malheureusement pas pour justifier un tel projet.
Lors de la cérémonie d'inauguration, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso a décrit l'endroit comme "un jardin d'Eden glacé". En fait, il s'agit d'une installation fortifiée qui comprend un long tunnel d'une centaine de mètres de long qui débouche sur trois grandes alcôves.
Les graines y reposent dans des sachets hermétiques alignés sur des étagères métalliques. La partie visible se limite à l'entrée qui émerge de la montagne enneigée. Celle-ci est constituée de deux hautes parois surmontées d'une oeuvre d'art conçue pour être visible à des kilomètres à la ronde dans l'obscurité permanente et totale de l'hiver polaire.
Le "jardin d'Eden" se rapproche donc davantage d'un blockhaus puisqu'il comprend des portes blindées, des caméras de surveillance, des parois en béton armé de plus d'un mètre d'épaisseur et que la conception d'ensemble, protégée par la roche de la montagne, permet en théorie de résister aux tremblements de terre et même, selon leur concepteur, à une attaque nucléaire directe ou à une chute d'avion. De plus, les chambres froides sont situées à 130 mètres au-dessus du niveau de la mer pour échapper à la montée du niveau des océans, conséquence très probable du réchauffement climatique. Il n'y aura pas de personnel présent en permanence mais une gestion et surveillance à distance.
Si le niveau de protection peut rassurer, il peut inquiéter également quant à l'ampleur des menaces prise en compte, ce que confirme dans son discours José Manuel Barroso : "nous espérons et oeuvrons pour le meilleur, mais nous devons nous préparer au pire".
Le nom officiel du projet est "Svalbard Global Seed Vault" alors que les partenaires qui y collaborent l'appellent entre eux "le coffre-fort de l'apocalypse" (doomsday vault), ce qui n'est guère rassurant.
De surcroît, les noms bien connus des différents financeurs sèment le trouble sur l'objectif réel de ce projet. En effet, le Réseau Semences Paysannes souligne dans un communiqué que ce projet est le fruit d'un accord tripartite entre le gouvernement norvégien, le « Global Crop Diversity Trust » et la « Nordic Gene Bank ». Le « Trust » -- financé et soutenu notamment par la Fondation Bill et Milinda Gates, La Fondation Rockefeller, Dupont/Pioneer, Syngenta AG, la Fondation Syngenta et la Fédération Internationale des Semences, les plus importants lobbies de l'industrie des semences – financera les opérations de « l'Arche ».
Or, la plupart de ces structures ne sont pas réputées pour favoriser la diversité génétique et l'accès aux ressources génétiques vivantes actuelles. En effet, selon le Réseau Semences Paysannes, "elles imposent partout des lois qui remettent en cause les droits des paysans de conserver, utiliser, échanger et vendre les semences reproduites à la ferme (...) Elles les obligent ainsi à acheter celles de l'industrie, seules à pouvoir être inscrites dans les catalogues officiels requis pour toute vente. Dans de nombreux pays, les paysans n'ont même plus le droit de ressemer leur récolte." De plus, "elles généralisent la culture des organismes génétiquement modifiés (OGM) par des stratégies commerciales agressives mettant en danger la diversité des semences fermières."
Notons enfin, qu'il existe déjà des banques de semences à travers le monde qui conservent en plusieurs exemplaires les graines si précieuses. Les concentrer en un seul endroit, si les autres devaient fermer pour différentes raisons, pourrait au contraire, augmenter considérablement le risque que ce projet cherche à prévenir officiellement...
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