Charlie Hebdo : comment résister à la barbarie ?

Charlie Hebdo : comment résister à la barbarie ?

Malgré un élan de fraternité sans précédent dans le pays après les morts tragiques de Charlie Hebdo et de l'Hypercacher de Vincennes, nous sommes encore, à Psychologies, sous le choc. Nous avons demandé à des experts, psys et philosophes, de nous donner leur avis et leurs conseils pour nous aider à traverser l’épreuve, individuellement et collectivement.

N'anticipons pas le pire

Par Jacques Lecomte, docteur en psychologie et auteur de La Bonté humaine, altruisme, empathie, générosité (Odile Jacob, 2014).

« Lorsque nos peurs s’emballent, il faut revenir au réel : en France, le risque de mourir d’un accident de voiture est plus probable que celui de tomber sous les balles d’un terroriste. L’islam français dans son immense majorité est paisible, nos institutions sont solides, la nature humaine n’est pas foncièrement mauvaise. La surreprésentation médiatique du pire chez l’homme altère notre perception de la réalité. Nous avons du mal à voir toutes les preuves d’empathie et de gentillesse dont regorge notre quotidien. C’est à cela qu’il faut s’attacher : garder notre conviction que, parce que le bon existe en nous et, donc, chez l’autre, notre humanité n’est pas condamnée au pire. La réponse à la haine ne peut être la haine et la peur, mais l’engagement personnel pour un monde meilleur. »

Faisons face

Par Olivier Douville, psychanalyste et psychologue, auteur des Figures de l’autre (Dunod, 2014)

« Je ne nie pas qu’il y ait des raisons d’avoir peur. Nous ne vivons pas un moment serein. Mais tous ces rassemblements spontanés, surtout la présence massive des jeunes, donne des raisons de ne pas succomber à l’inquiétude. Pour être davantage rassurés et faire face, nous devons adopter une position active. Nous avons le droit et le devoir de demander des informations claires aux autorités : quels sont ces réseaux d’entraînement militaires dont bénéficient les apprentis terroristes ? Quelles sont ces filières françaises de trafic d’armes qui rendent possibles leurs opérations meurtrières ? Je crois que c’est aussi l’occasion de repenser sans faiblesse bon nombre de situations qui encouragent ces jeunes à passer à l’acte – notamment la vie dans ces banlieues devenues des zones de non droit. Il faut surtout éviter de sombrer dans le désespoir en s’imaginant que nous n’avons le choix qu’entre le fascisme et l’islamisme. Je crois que, contre la terreur que cherchent à semer les terroristes, nous devons au contraire nous regrouper autour des valeurs qui nous sont chères : l’ouverture, le vivre-ensemble, la liberté d’expression. »

Retrouvez l’intégralité de son interview Nous devons nous regrouper autour des valeurs qui nous sont chères

Ne devenons pas fanatique

Gérard Bonnet, psychanalyste et auteur de Soif d’idéal, les valeurs d’aujourd’hui (Philippe Duval, 2012)

« Soyons vigilants à ne pas répondre au nom d’une idéologie, car les intégristes nous en opposeront une autre à laquelle ils croient autant que nous, et parfois plus encore. Méfions-nous : les idéaux sont toujours à double face et l’on s’entre-tue depuis des siècles en leur nom. C’est une chose d’invoquer la liberté et le respect de la vie qui nous animent. C’en est une autre que de brandir à notre tour nos idéaux et de les confondre avec un combat, une personne, un système, une idéologie. L’idéal est dévoyé quand il ne peut plus être parlé, échangé, à travers des mots, des images, des sentiments ; en tenant compte du fait que personne n’en détient la vérité. Lorsqu’il devient une cause collective, il justifie les pires atrocités. Nous l’avons vu avec le 11 septembre et les guerres qui ont suivi, où l’on a cru qu’il suffisait de renvoyer la violence à la violence. N’oublions pas non plus que la fraternité, qui est aussi un idéal républicain essentiel pour nous, dépasse tous les clivages. »

Pensons au "je"

Par Michel Lacroix, philosophe et auteur de Ma philosophie de l’homme (Robert Laffont, 2015).

« Ce qui peut contribuer à raffermir notre résolution et notre résistance face à ce type d’horreur, c’est de nous rappeler ce que c’est que l’homme et sa vocation : depuis le monde grec jusqu’à la pensée contemporaine en passant par les Lumières et le positivisme, l’homme s’impose comme un être voué à la rationalité et à la liberté. Et, à la jonction de ces deux principes, se trouve le libre examen. En d’autres mots, en tant qu’humain, je suis voué non pas à me soumettre à telle ou telle croyance, préjugé ou communautarisme, mais à pouvoir dire : “Je pense.” Dire “je”, au nom de mon individualité ; et “penser”, c’est-à-dire faire vivre mon discernement et mon libre examen. Pour combattre ce genre d’adversaires, il me semble plus que jamais essentiel de reprendre la mesure de cette tradition universaliste et rationaliste. »

Faisons place au doute

Par Jean-Michel Hirt, psychanalyste et auteur de Paul, l’apôtre qui “respirait le crime”, pulsions et résurrection (Actes Sud, 2014)

« Toutes les religions ont affaire à cette “maladie infantile”, qui consiste à rejeter le mal sur les infidèles ou les impies et à considérer qu’elles sont seules dépositaires du bien. Les racines psychiques de cette attitude sont connues, elles sont liées à l’enfance, aux projections du mauvais sur le monde extérieur, afin de ne garder en soi que le bon. Comment ne pas céder à cette tentation ? En renonçant à se croire propriétaire du sens, en acceptant la multiplicité des interprétations d’un texte qui permet de s’ouvrir à l’altérité, en faisant place au doute, au débat intérieur, au désir de s’ouvrir à l’inconnu, au lieu de se replier sur soi et de brandir ses certitudes. Rappelons que c’est lorsque l’enfant accepte d’avoir en lui et le bon et le mauvais qu’il devient capable de se sentir coupable de ses fautes, et responsable de ses actions. »

Redonnons espoir aux ados

Par Philippe Jeammet, pédopsychiatre, psychanalyste et auteur de Grandir en temps de crise, comment aider nos enfants à croire en l’avenir (Bayard, 2014).

« Il faut écouter les adolescents et leur expliquer que ce sont les mêmes forces qui unissent ou qui détruisent, qu’on a le choix de taper ou de tendre la main. Il faut aussi leur dire que le malheur redonne du sens à la vie, nous fait découvrir que nous sommes importants les uns pour les autres et forts dans l’union contre la destructivité, qui ne donne qu’une illusion de pouvoir : tous ceux qui sont violents finissent par perdre. Servons-nous plutôt de nos émotions pour cultiver nos forces créatives. Mais face à des croyants, à des jeunes fragiles, ne les humilions pas en attaquant leurs valeurs, tâchons de les convaincre en leur donnant confiance en l’avenir, en cette solidarité humaine. »

 

Révoltons-nous

Par Roland Gori, philosophe et auteur de Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ? (Les Liens qui libèrent, 2014).

« “Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un homme qui dit non”, répond Camus dans L’Homme révolté (Gallimard, "Folio", 2013). La France a dit non au meurtre, à la violence, à la barbarie, à la terreur fanatique. Mais l’homme révolté, c’est aussi celui qui dit oui. La France a dit oui à l’émancipation. Le peuple s’est insurgé pour refuser la servitude par la terreur et la sidération, pour défendre la liberté de penser et de rêver. La révolte est le refus de la négation de l’humain. “Je me révolte donc nous sommes” (Camus) : un “nous” collectif qui refuse les pratiques totalitaires et fanatiques rappelant les pires moments de notre histoire. Les citoyens viennent de sortir de leur sommeil politique. Avec “Je suis Charlie”, ils défendent leur dignité de penser. »

Resacralisons la parole

Par Jean-Pierre Winter, psychanalyste et auteur, avec Nathalie Sarthou-Lajus, Peut-on croire à l’amour ? (Le Passeur, en librairies le 5 février 2015)

« Nous vivons dans un univers qui bafoue le sacré du langage, sa transcendance, au profit du tout-image. Freud dit, dans Moïse et le monothéisme (réédité sous le titre L’Homme Moïse et la religion monothéiste, Points, “Essais”, 2012), que, toute question religieuse mise à part, l’interdit de l’image, qui existe dans les grandes religions monothéistes, a été la condition du progrès de la vie de l’esprit. Il a permis de détacher le langage de la seule communication, d’accéder au symbole. Or le tout-image nous amène à oublier cette dimension. Et ce que nous oublions nous revient de manière extrêmement violente, nous venons de le vivre. Les assassins deviennent à leur insu les porte-parole de la Parole, avec un grand P. Comme si, en tuant, ils régénéraient ou voulaient régénérer quelque chose de cet ordre. Nous devons réfléchir très sérieusement à la transmission du langage, qui fonde notre culture, c’est-à-dire à la transmission de la littérature et des arts occidentaux. Tout comme les musulmans doivent réfléchir à leur transmission du “vrai” islam, qui n’est pas le fondamentalisme. »

Relions-nous les uns aux autres

Par Serge Hefez, psychiatre, psychanalyste et auteur de Nouvel Ordre sexuel, pourquoi devient-on fille ou garçon ? (Le Livre de poche, 2013).

« Au milieu de la tragédie, dans ces “moments effervescents”, comme dit le sociologue Émile Durkheim, chacun s’ouvre émotionnellement à l’autre. Nous avons tous senti ce besoin de nous rapprocher les uns des autres, de nous toucher, de faire corps, de célébrer ensemble ce à quoi nous croyons, ces valeurs laïques qui sont aussi sacrées, et auxquelles nous n’avons pas si souvent l’occasion de nous référer. Continuer à se retrouver, ensemble, entre voisins, entre amis, dans des groupes constitués ou informels, pour rendre concrètes ces valeurs sacrées, c’est affirmer notre foi en elles, et continuer à avoir de l’espoir. »

Recherchons du sens

Par Jean-François Vézina, psychologue et psychothérapeute. Il publie prochainement Tout se joue avant 100 ans ! (Éditions de l’Homme, en librairies le 16 avril)

« Étymologiquement, le chaos, c’est un bâillement, une ouverture qui, paradoxalement, peut révéler notre capacité à nous ouvrir, à ouvrir un espace de parole. Le chaos n’est pas porteur de sens, mais il est une porte vers une recherche de sens. Il nous faut d’abord ressentir le chagrin, la perte, puis le mouvement vers les autres. C’est ce contact-là avec l’absurdité qui nous pousse vers le sens. Nous sommes aujourd’hui face à deux possibilités : nous ouvrir, à partir du chaos, ou nous refermer. Si nous n’acceptons pas cette brèche, c’est la peur qui se jouera de nous, qui prendra le contrôle de nos vies. Alors, arrêtons-nous, et reprenons des forces ensemble pour permettre à la vie de retrouver un chemin, au mouvement de réapparaître. »

Source : Psychologies.com

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Commentaire de Lovyves le 10 Février 2015 à 22:06

Bonsoir à Tou(te)s
Logique, Cher dempsey, si à " … nous sommes encore, à Psychologies, sous le choc… "
C'est qu'ils ont (à Psychologies) le cerveau qui fonctionne beaucoup plus lentement que le cerveau des femmes, en général.

Donc, les cerveaux lents, ne savent faire que de "beaux discours" .. pour "endormir" le peuple.
Et, seuls les cerveaux lents, ont droit à la parole .. paroles de Cerfs volants, que du vent de cerfs, d'âge moyen, de la pensée ultralibérale.

Commentaire de Patrick ONNIS le 10 Février 2015 à 16:52

Merci pour ce partage très intéressant, ma chère Sylvie.

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