Un nouveau travail, une autre maison, un break de quelques mois… Nous y aspirons tous plus ou moins. Est-ce un fantasme, qui nous permet de supporter une vie qui ne nous convient plus, ou une véritable aspiration ?

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Quitter l’entreprise pour devenir masseur ou prof de yoga ; ouvrir un gîte ou une ferme écologique à la campagne ; aménager un camping-car et, le temps d’une saison, aller voir là-bas si j’y suis mieux… L’envie de changer de vie gagne de plus en plus d’entre nous : un sur deux, voire 79 % des Français, soit trente-sept millions de personnes, selon les sondages. Nous sommes 88 %, soit neuf Français sur dix, à estimer que la crise économique devrait être l’occasion de changer de mode de vie, bien que seul un sur trois soit prêt à le faire.

Des êtres de projet

Des mots, rien que des mots ? Quelle valeur accorder à ce fantasme s’il n’est pas suivi d’effets ? Précisément celle… d’un fantasme, commun, voire universel. « Nous sommes, par nature, des êtres de projet, indique le philosophe Michel Lacroix, auteur de Ma philosophie de l'homme(Robert Laffont, 2015). Car nous ne sommes jamais totalement en adéquation avec nous-mêmes. » Notre désir s’élance sans cesse vers de nouveaux objets. Sartre, dans l'Être et le Néant, disait : « L’homme n’est pas ce qu’il est, il est ce qu’il n’est pas. » Et Michel Lacroix de résumer joliment : « Le bondissement vers du nouveau est constitutif de notre être », même s’il ne nous pousse pas toujours aux grandes ruptures.

Ontologique, donc, ce désir prend, selon les époques, des colorations différentes. « Depuis 1968, commente le philosophe, nous sommes imprégnés par cette conviction – portée par la culture du développement personnel – qu’il faudrait se changer soi pour changer le monde. » La crise, depuis, est venue ajouter son grain de sel : pour beaucoup, le changement n’est plus seulement une utopie, il devient une nécessité. Le chômage, le burn-out, la difficulté d’entreprendre poussent à lareconversion professionnelle ou à l’expatriation. Les désastres environnementaux intiment en outre à chacun d’entre nous ce nouvel impératif : « Tu dois changer ta vie » – titre d’un essai du philosophe allemand Peter Sloterdijk (Pluriel, 2015). Ou plus précisément : « Agis de sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie sur Terre. » Une « exigence excessive », d’après l’auteur – car elle nous inflige le casse-tête, pour chacun de nos choix, d’en évaluer les conséquences sur sept milliards d’individus –, mais inévitable.

La réalité s’en ressent : « La plupart des projets de changement semblent aujourd’hui fléchés vers un monde à sauver », observe Michel Lacroix. Le retour à la terre, la formation aux médecines douces, l’engagement solidaire… « Il y a du changement dans le changement ! juge-t-il. Autrefois motivé par des valeurs individualistes – la recherche de l’épanouissement, de l’excellence –, il répond aujourd’hui davantage à des valeurs altruistes : faire en sorte, à travers nos engagements, que ce monde aille moins mal. »

Auteure d’un très sympathique « Country guide de (relative) mauvaise foi à l’usage des Parisiens candidats à l’exil » (Y a-t-il une vie après le périph ? Eyrolles, 2015), Laëtitia Rigaud, publicitaire et coach en vie sauvage, abonde : « Tous les sociologues vous le diront : au sommet de la pyramide de Maslow, à l’acmé de tout épanouissement humain, ne se situe pas la possession d’une Ferrari ou d’une Rolex, mais celle d’un jardin. »

L'appel d'un ailleurs

Bien avant de s’incarner dans un projet précis, l’envie de changement nous saisit. À 40 ans, le psychothérapeute anglais Vincent Deary a tout plaqué – son appartement, son cabinet, sa vie londonienne – pour un exil dans les landes écossaises, où il s’est attelé à l’écriture de son grand œuvre, Qu’est-ce qui nous fait vivre ? (Payot, 2015). Le changement, écrit-il, s’annonce sous la forme de « news from elsewhere », des « nouvelles venues d’ailleurs ». Il peut commencer par « une rumeur lointaine, un bruit à l’extérieur de notre petit monde […], signalant l’existence d’un autre monde. Ce peut être la découverte d’une vocation, un appel ou une offre, un gain ou une perte, une catastrophe ou une révélation, ou une simple accumulation, un enchaînement d’événements minimes ».

La crise de milieu de vie accentue le phénomène. « Jung disait que nous passons la moitié de notre vie à escalader une échelle, et l’autre à réaliser que nous l’avions adossée au mauvais mur », s’amuse Michel Lacroix. Quoi qu’il en soit, prévient Vincent Deary, « tôt ou tard, votre monde actuel changera, la saison actuelle prendra fin. Personne n’a dit que ce serait facile… » Car subitement, nous ne nous sentons plus à notre place. L’envie de fuir – l’ennui, la routine, les contraintes du quotidien… – précède la vision d’une nouvelle existence possible. Ce que nous voulons d’abord, c’est cesser de subir, redevenir créateurs de notre parcours, mais pour quoi faire ? Dans le déséquilibre qui nous arrache au confort d’une vie familière, « il faut se remettre à réfléchir », poursuit le thérapeute anglais. Comment ça marche ? Où aller ? C’est le début d’une errance qui, peut-être, deviendra l’odyssée de notre vie. Le brouillard avant l’île.

La peur d'y aller

À mesure que le malaise s’accroît, grandit avec lui le risque de la fuite. Pas tant de ces disparitions soudaines où l’on s’échappe en allant acheter des allumettes, mais de la fuite de soi : ne pas vouloir écouter la métamorphose qui s’opère en nous, au prétexte qu’elle semble ne pas avoir de but. Car le changement fait peur. Quoi qu’en disent les sondages, peu d’entre nous veulent chambouler leur existence. Nous sommes des êtres d’habitudes, attachés aux sentiers que nous avons tracés et qui nous définissent, même si nous préférons nous imaginer en aventuriers.

Le changement est coûteux, périlleux. Le philosophe Emmanuel Mounier, dans son ouvrage Introduction aux existentialismes (Presses universitaires de Rennes, 2010) parlait de « vie exposée » pour signifier que le risque, l’échec, le malheur sont inhérents à l’action, que celle-ci est pourtant inévitable pour qui veut « être, se faire, exister ».

Quitter son travail, son conjoint, l’endroit où l’on a plongé ses racines, même si c’est pour le paradis, comment imaginer que tout cela se fasse sans heurts ni regrets ? Alors, quand le tournant s’amorce, la résistance surgit, puissante, farouche. « Nous ne pensons qu’à arriver au bout du processus, ou à ne pas le commencer du tout, ou nous faisons tout pour l’éviter alors que nous sommes en plein dedans », constate notre psy anglais-devenu-écrivain-écossais. Changer de vie ou ne rien changer ? Le dilemme étourdit. Vite, l’étouffer, décider qu’il n’y aurait rien à gagner ailleurs. Mais voici la question qui réveille et ne nous lâchera pas : jusqu’où allons-nous continuer de nous perdre ici ?

Interrogés par les sondeurs, ceux qui ont sauté le pas considèrent à 46 % que « ce fut la meilleure décision de leur vie », à 50 % qu’ils sont ensuite « retombés dans la routine », et à 4 % qu’ils « regrettent leur choix ». Il y a de quoi hésiter. « Mais, à trop tergiverser, on risque de se couper du dynamisme de l’action, un peu comme Hamlet tenant son crâne en ressassant, prévient Michel Lacroix. “To be or not to be…” La conscience fait de nous des lâches, concluait le héros shakespearien. Peut-être vaut-il mieux se lancer sans trop réfléchir. Cela réussit à certains. »

Se remettre en mouvement

Car le changement demande de l’action, impossible autrement. Plutôt que de focaliser sur les pertes à venir, mieux vaut se tourner vers des « attracteurs » : nous après, nous ailleurs, nous plus heureux. D’abord visualiser cette autre vie possible, la rêver jusqu’à ce que l’envie de boucler nos valises nous démange. « La question qui compte, estime le philosophe, c’est : “Est-ce que j’en ai envie ?” plutôt que : “Est-ce que j’en suis capable, est-ce que je fais bien ?” »

De la force du désir découlera le reste : la faisabilité, l’acceptation de l’entourage, le bénéfice pour soi et les autres… Clarifier son désir permet de s’apercevoir qu’il existe des paliers vers sa réalisation et rend l’avenir moins intimidant. L’enjeu s’apprivoise : peut-être ne s’agit-il pas tant de partir ou de rester que de devenir qui nous sommes, ici ou là-bas. Mais comment ? « Comme beaucoup, dans la précédente décennie, j’étais obsédé par la question de la réalisation de notre potentiel, confie Michel Lacroix. Mais j’en suis un peu revenu. Car, à moins d’avoir une passion, le potentiel reste une affaire nébuleuse. Si je ne l’identifie pas, si j’estime ne pas en avoir beaucoup, que me reste-t-il à part la dépression ? »

D’où cette nouvelle proposition : « Quitter l’idée du changement sur le mode de l’évasion et de la sublimation de soi, et tenter de se consacrer au potentiel de l’autre, moins énigmatique que le mien. » Que puis-je faire, ici et maintenant, pour que mes enfants, mon conjoint, mes collègues vivent mieux ? Comment remettre du rêve, de l’espoir dans leur existence comme dans la mienne, du mouvement plutôt que de l’inertie ?

Il y a une somme de petits changements possibles – se parler mieux, être plus attentif… –, moins spectaculaires et cependant plus puissants dans leur capacité à transformer nos vies que le grand départ. Et le philosophe de conclure : « On dit que le diable se niche dans les détails. Les anges aussi. »

A découvrir :

Une interview radio 'changement de vie : ne vous faites pas trop d'illusions France Inter

. Et pour vous un TEST 'que changeriez vous à votre vie ?' Test Psychologies.

Sources : Psychologies

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