S’épanouir, devenir soi, donner un sens à sa vie : l’idée est séduisante, mais que
dit-elle vraiment ? Et que peut-on faire, concrètement, pour trouver sa voie ? Le philosophe Michel Lacroix, auteur de Se réaliser, explore cette notion aussi complexe que vitale.

Psychologies : Qu’est-ce que cela veut dire, « se réaliser » ?

Michel Lacroix : C’est d’abord se percevoir comme un ensemble d’aptitudes et d’aspirations. Les tenants du développement personnel parlent de potentiel. Je préfère parler de « possibles ». Ensuite, c’est se percevoir comme ayant à réaliser ces possibles. C’est ce que signifie Nietzsche, avec sa fameuse formule : « Deviens ce que tu es » (in Le Gai Savoir de Friedrich Nietzsche – Flammarion, 2007).

En quoi est-ce différent du bonheur, ou, du moins, du sentiment de mener une vie agréable ?

Lorsque nous nous percevons comme une mine de possibles à réaliser, nous nous mettons en tension vers un certain perfectionnement de nous-même. Nous ne visons pas le bonheur ou le plaisir, mais une forme d’excellence. Le bonheur, la vie agréable viendront après, par surcroît, une fois que nous aurons le sentiment de notre réalisation. Ce qui importe, c’est notre cheminement.

Est-ce à dire que la réalisation de soi est toujours en devenir ?

Il s’agit de s’inscrire dans un projet de vie, ce qui, en effet, est davantage du côté du devenir que de l’aboutissement. Victor Hugo le dit : « Personne ici-bas ne termine ni n’achève » (in Tristesse d’Olympio, poème tiré des Rayons et les Ombres, de Victor Hugo – Gallimard, 2002).

On n’a jamais tout à fait fini de se réaliser. C’est pour cela que les notions d’accomplissement personnel ou de plénitude me gênent, parce qu’elles sous-entendent qu’il serait possible d’arriver au bout d’un processus.

N’y a-t-il qu’une façon de se réaliser ?

Non ! Nous pouvons avoir des projets de vie dans des domaines multiples : le monde du travail ou des loisirs, la vie intime ou familiale, l’engagement humanitaire, politique…

Mais comment savoir pour quel projet de vie nous sommes faits ?

D’abord, il s’agit de s’assurer que nous n’allons pas vers telle activité pour des raisons négatives : le choix d’un métier de l’enfance parce que le monde des adultes nous déplaît, ou d’une vocation religieuse parce que notre vie amoureuse est un désastre.

Ensuite, que ce n’est pas pour obéir à une demande extérieure : « On m’a toujours dit que j’étais fait pour enseigner. » Puis sentir que l’on n’est pas guidé par sa seule vanité, par un désir de reconnaissance ou de célébrité.

En tête des signes positifs, il y a le désir, l’attirance. Nous pouvons aussi nous interroger : « Dans quel domaine ai-je eu le sentiment d’avoir bien réussi ? » Tenir compte de nos réussites est révélateur, à condition que le plaisir s’en mêle. Enfin, il y a nos modèles de jeunesse, des proches ou des personnalités que nous n’avons pas cessé d’admirer : pourquoi ? Que représentent-ils ?

Cela peut parler de notre propre désir et de notre vocation. Toutefois, rien n’empêche de changer de projet de vie au cours d’une existence. Il faut s’accorder un droit à une nouvelle chance, sans estimer que ce serait un échec. L’échec serait de s’enfermer dans un choix de vie qui nous collait à 20 ans et qui ne nous correspond plus à 50 ans.

Vous parliez de viser un certain perfectionnement de soi. Le danger n’est-il pas de sombrer dans le perfectionnisme ?

Si, mais je crois que pour l’éviter, il nous faut apprendre à concevoir la réalisation de soi comme une moisson pas seulement dans le champ de l’exceptionnel, mais aussi dans le champ de l’action modeste et quotidienne. Il faut réconcilier nos ambitions avec le réel.

Quels sont les autres dangers à connaître ?

L’hyperactivité : certains conçoivent la réalisation de soi comme une frénésie activiste. Or, la vie est un mouvement plus ou moins équilibré entre action et contemplation. Il y a le risque de s’isoler, en se pensant seul maître de son projet de vie.

C’est Goethe qui parle de l’« égoïsme supérieur », ou Nietzsche, pour qui non seulement chacun se fait tout seul, mais aux dépens des autres. Or, nous nous faisons grâce à des amitiés, par des relations de travail, dans le lien conjugal, avec le soutien familial, etc.

Sommes-nous tous égaux face au besoin de se réaliser ?

Abraham Maslow (psychologue américain considéré comme le père de la psychologie humaniste) dit qu’il y aurait un « besoin d’actualisation de soi » inscrit en chacun de nous. Du point de vue philosophique, il apparaît que nous sommes des êtres de désir, de projets.

L’être humain ne se contente pas de ce qu’il est, mais est en permanence dans une inquiétude, un sentiment d’inachèvement, qui le pousse sans cesse vers autre chose. « L’homme est ce qu’il n’est pas et n’est pas ce qu’il est », dit Sartre (in L’Être et le Néant de Jean-Paul Sartre – Gallimard, 1976). Et c’est cela le ressort de la réalisation de soi : se percevoir toujours sur le mode du « avoir à être ».

Puis tout le monde n’a pas les moyens de s’interroger sur ce qu’il désire vraiment faire dans la vie…

Je récuse l’idée que la réalisation de soi ne soit le fait que de happy few, de privilégiés, parce qu’elle peut se faire dans tous les domaines, et pas seulement dans les sphères de la gloire éclatante ou médiatique !

Mais est-ce qu’une période de crise comme celle que nous traversons ne complique pas la capacité à se remettre en question et à se lancer dans un projet de vie ?

L’état de la société influe sur nos désirs et sur notre volonté d’agir. Toutefois, quelle que soit l’époque, se réaliser consiste toujours à trouver un équilibre entre le principe de réalité, la prise en compte de la situation actuelle et le principe de désir, c’est-à-dire ce que nous souhaitons vraiment faire de notre vie.

La crise économique et la morosité ambiante sont effectivement des obstacles, ce ne sont que des obstacles de plus parmi d’autres, plus intérieurs, tels que le poids du passé, de l’enfance, de notre éducation, de la psychogénéalogie… Tout projet de réalisation de soi doit tenir compte de ces difficultés.

Plus encore : vous constaterez que ce n’est pas en période faste et calme que nous sommes les plus actifs, au contraire, nous avons alors tendance à nous laisser emporter par le cours tranquille de l’existence. Transformer les entraves en carburant, opter pour un esprit volontariste et non pas victimaire : voilà la démarche propice à la réalisation de soi. « Tout bonheur est dans
la lutte », dit Nietzsche (In Humain, trop humain de Friedrich Nietzsche – Hachette Littératures, 2004).

À quoi reconnaît-on que l’on se réalise ?

Je crois qu’il faut se fier à un sentiment intérieur plutôt qu’à des critères extérieurs. À une certaine forme de satisfaction. Comme le sentiment d’avoir fait… son possible. Non pas d’avoir fait tout ce que l’on voulait faire, c’est impossible en une vie, mais au moins d’avoir concrétisé plusieurs des projets qui nous tenaient à cœur.

Et vous, Michel Lacroix, est-ce que vous avez le sentiment de vous être réalisé ?

Si je me replace au seuil de ma vie adulte, je me remémore deux projets qui me tenaient à cœur : consacrer ma vie à la réflexion et à l’écriture d’une part, et d’autre part remplir ma tâche de père et de transmetteur. Aujourd’hui, je dois à ma persévérance, aux hasards de la vie et surtout au soutien de mes proches d’avoir fait aboutir ces deux aspirations. Et de ressentir les plaisirs qu’ils m’apportent avec la même intensité. Cela ne doit pas être loin, en effet, du sentiment de s’être réalisé.

Le risque n’est-il pas de se disperser ?

Si, en effet. Il doit y avoir un projet dominant. Ce n’est pas que les autres domaines vont être négligés – la réalisation de soi dans le travail n’a pas à se faire au détriment de la vie familiale, par exemple. Simplement, il faut s’efforcer de suivre un sillon, pour éviter de devenir un
« dilettante de la réalisation de soi ».

Par ailleurs, les projets s’enracinent dans des passions qui ont éclos à l’adolescence, quand nous avons commencé à nous projeter dans le futur sous la forme d’un idéal. Mais la réalisation de soi exige un dépassement de cet esprit d’adolescence, qui incite à ne vouloir renoncer à rien.

Cela revient donc à être à la fois fidèle à son esprit de jeunesse, aux passions qui nous habitaient adolescents, et suffisamment mûr pour choisir et accepter l’autorestriction, renoncer à l’idée de toute-puissance.

Il y a donc toujours, à la base, un sentiment d’insatisfaction…

Je crois, oui. Et ce sentiment peut nous faire basculer soit dans une sorte de dépression, soit au contraire galvaniser notre énergie et nous propulser vers l’avant.

Pour aller plus loin, un livre  : Se réaliser de Michel Lacroix (Robert Laffont)

Source : Anne Laure Gannac via Tarot Psychologique

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