Ce que la difficulté à se séparer des objets dit de nous

Getty Images/iStockphoto - Pour certains, jeter, c'est mourir un peu.

  Jeter un bibelot ébrêché ou de vieux bulletins scolaires peut être pour certains une source d'angoisse incontrôlable. Pourquoi est-ce si difficile de se débarrasser d'objets qui nous encombrent? Comment y remédier?

"J'ai depuis toujours un mal fou à jeter, à me séparer des objets", confie Elodie. "J'ai des années de magazines qui dorment dans mon sous-sol et je suis incapable de me débarrasser des vêtements". A tel point qu'avoue-t-elle, "la place commence à manquer". 

Cette difficulté à jeter, nous sommes nombreu(ses) à l'expérimenter, à des degrés plus ou moins préoccupants. Un mal qui fait d'ailleurs le bonheur des coachs en organisation et autres gourous du rangement, la Japonaise Marie Kondo en tête, dont les livres et les services se vendent comme des petits pains. Comment expliquer la tendance de certains à l'accumulation? Comment parvenir à se libérer de cet attachement que nous pouvons avoir pour des objets, quels qu'ils soient?  

Une pathologie quand il n'y a plus de place pour soi

Il faut en premier lieu distinguer une difficulté à jeter parfois handicapante au quotidien mais somme toute banale, de la pathologie appelée syllogomanie, dont les conséquences peuvent être absolument dramatiques. Les personnes atteintes conservent en effet tout, jusqu'aux déchets et voient leur espace vital disparaître peu à peu. "Ce qui est pathologique est ce qui ne permet plus de maintenir un équilibre de vie, d'être bien, de se sentir bien dans sa vie, dans son corps, avec les autres, dans une société", résume la psychologue clinicienne Mélanie Fouré. La "difficulté à jeter" devient donc pathologique "à partir de l'instant où il n'est plus possible d'expérimenter (percevoir, ressentir, agir) le "je suis bien et vivant"". 




On peut ainsi parler de maladie "quand le lien entre soi et l'objet est doté d'affects et que la raison ne permet pas de réguler l'intensité de cet affect", "quand il n'y a plus de place pour soi (physiquement et psychiquement) et que les objets ont pris tout le territoire" ou encore quand "jeter équivaut à être responsable d'un abandon". 

Autres caractéristiques de la syllogomanie, précise encore la psychologue, la volonté de "cacher ce comportement tant le sentiment de honte est intense", la souffrance que provoque cette incapacité à jeter et enfin "le risque vital", avec un envahissement par l'objet. "La mort devient plus présente que la vie", résume Mélanie Fouré. 

Astrid, 52 ans, qui a souffert de syllogomanie, le confirme: "je n'avais littéralement plus de place et j'étais incapable d'appeler au secours. Il m'était impossible de jeter quoi que ce soit, parce que jeter était synonyme pour moi, je crois, de mourir". "J'ai pu observer trois perceptions d'objets", analyse Mélanie Fouré. Le premier, que j'appellerai "l'objet "Autre"", avec lequel il y a un lien d'attachement réactivant la peur de perdre cet autre (réactivation de la douleur de la perte d'un lien, angoisse de séparation,deuil). L'objet "Trophée" que l'on collectionne, regarde, montre, en accord avec l'orgueil. Et enfin, l'objet "identitaire", une partie du Moi: s'en séparer signifie abandonner une partie de soi

Ces choses auxquelles on associe des souvenirs

Des perceptions qui parlent à Noémie, "accumulatrice compulsive", qui ne se sent toutefois pas "malade" et qui parvient, "pour l'instant tout au moins", à vivre en dépit d'un attachement excessif aux objets qui l'entourent: "Je ne suis pas matérialiste du tout, je ne conserve pas les choses pour leur prix, mais parce que je ne peux m'empêcher de leur associer des souvenirs. Mais je vois bien dans le regard des autres que mon appartement les terrifie tellement l'espace est envahi. Je garde les tickets de concert, les stylos même lorsqu'ils ne marchent plus, des crèmes solaires qui ont tourné..." Elodie voit quant à elle dans sa capacité à tout conserver un lien avec "une histoire de famille, de racines perdues, une grand-mère orpheline à 6 ans". 

"Il y a une dimension souvent généalogique dans la difficulté à jeter", confirme Laurence Einfalt, conseillère en organisation formée à la psychologie. "Les personnes que j'aide dans ce cadre avaient souvent des parents qui ne jetaient jamais". "Ma mère ne jette rien ou pas grand chose, raconte Olivia. Elle se retrouve avec des piles de magazines chez elle. Sa mère ne jetait rien non plus. Bilan, moi qui habite leur maison, je me retrouve avec un grenier et deux celliers encombrés. Et je ne sais pas par où commencer pour ranger. Je me soigne, j'ai du mal mais je m'impose un tri régulier afin de ne pas mourir encombrée... Et surtout j'essaie de moins consommer." 

Peur de manquer, faible estime de soi... Des causes multiples à l'accumulation

Autre cause identifiée par Laurence Einfalt, "une longue période de chômage ou l'héritage d'une angoisse de manquer due à la guerre": "on garde alors tout, parce qu'on "ne sait jamais"". Comme Noémie par exemple avec ses crèmes solaires périmées. La conseillère y voit aussi souvent "un problème d'estime de soi": "Parce qu'on ne s'apprécie plus, qu'on pense ne pas mériter mieux que ces vieux vêtements ou autres objets qu'on n'aime plus mais qui sont assez bien pour nous, on finit par ne rien jeter".  

D'une manière générale, prévient Mélanie Fouré, difficile de dresser un portrait-robot des personnes concernées par cette difficulté ou d'attribuer à une cause en particulier leur affection. "Ce sont des personnes qui ont une histoire, une éducation, un tempérament, bref, qui ont leur personnalité." Quant au poids de l'éducation souvent invoqué dans ce dysfonctionnement, elle prévient: "certains peuvent en effet avoir reçu une éducation rigide. L'apprentissage de la propreté participe à l'apprentissage du contrôledu lâcher, de garder ou de donner mais ne se réduit pas à cela". 

Et d'ajouter: "Il est vrai qu'un mode d'exigences élevées amène une inhibition de l'expression des besoins, des émotions. Nous pouvons l'observer lorsque l'on exprime: 'il faut, je dois', le sentiment associé est souvent la contrainte et il y a peu de place pour la motivation, le plaisir. Plus ces 'il faut et je dois' sont associés à une sévérité voire un mode punitif, moins l'envie, le libre arbitre, l'épanouissement est possible". 

Commencer pas à pas, en jetant des objets "sans risques"...

Quelles que soient les raisons qui peuvent amener à l'accumulation des objets, il est difficile d'y trouver une seule recette toute faite pour y remédier. Avant toute chose, lorsqu'il s'agit d'une forme sévère et pathologique, des traitements médicamenteux peuvent être envisagés, mais en prenant en compte d'éventuelles autres troubles associés, explique Mélanie Fouré. Par ailleurs, prévient-elle, "le terme 'guérir' ne s'applique pas dans la sphère des soins psychiques". "Mais une psychothérapie associée à un traitement médicamenteux adapté peuvent apporter un apaisement qui permet à la personne de trouver les ressources pour mieux vivre". 

La psychologue utilise pour sa part des techniques d'orientation cognitive et comportementale. "La première étape consiste à oser demander de l'aide. Ensuite, il faut construire une alliance entre le thérapeute et le patient, basée sur la confiance, puis essayer de comprendre ce qui se passe". Après, seulement, la psychologue invite le patient à "s'exposer au regard de l'autre, à travailler sur sa manière de percevoir les choses et accepter qu'il y en ait d'autres, à identifier le lien entretenu avec les objets". Le patient apprend ensuite à lâcher prise face aux objets, à mettre des mots sur les émotions que déclenche cet acte de jeter.  

... puis accepter l'idée de ne conserver que ce qui est beau ou utile

Un cheminement progressif qui vaut aussi pour ceux et celles dont la difficulté à jeter est de degré moindre. Anouk Le Guillou, coach en rangement et organisation souligne ainsi qu'il faut se garder "de brusquer les personnes". "Nous avançons un pas après l'autre. Nous avons affaire à des gens pour qui il est réellement douloureux de jeter. Il faut donc procéder par étapes, en douceur, les amener à constater que c'est sans danger pour eux". "Je compare ça au tennis", confirme Laurence Einfalt. Au départ, on "fait des balles", on s'entraine sur ce qui est sans risque pour la personne, des objets à durée limitée dans le temps, par exemple les épices ou les conserves." Je tente de faire accepter l'idée de ne conserver que ce qui est beau ou utile, le summum étant de ne garder que ce qui réunit ces deux qualités", explique-t-elle."Contrairement à ce que prétend le poète, les objets n'ont pas d'âme. C'est en constatant le mieux-être éprouvé quand la place se libère qu'on s'en aperçoit!" 

"Souvent, le fait de se faire accompagner dans ce processus permet de voir validé par autrui l'acte de jeter", observe enfin Annick Le Guillou. "Soudain, parce qu'on est à ses côtés, la personne s'autorise à se débarrasser de ce bibelot qu'elle n'aimait pas mais qui appartenait à sa grand-mère. La culpabilité peut s'effacer". "Mais c'est un processus long et délicat. Je ne suis personnellement pas du tout d'accord avec ceux qui, comme Marie Kondo, conseillent de tout jeter d'un coup, de manière assez radicale. "Il faut prendre son temps et accepter des périodes de pause (de statut quo), apprendre à être bienveillant envers soi, à s'ajuster à ses besoins, à s'estimer", conclut Mélanie Fouré. 

Et maintenant, qu'en est il pour pour ?


Source : L'express et Patrick Giani d'Epanews

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Commentaire de Katy le 10 août 2015 à 1:08

En psychologie, il est possible de taxer de pathologique à peu près tous les comportements humains et plus particulièrement, ceux qui n'entrent pas dans une norme donnée, décidée ? (par qui ? Pourquoi ? ).

Mais il est vrai, pourquoi trop creuser des problématiques présentées comme simples ?

Commentaire de Katy le 10 août 2015 à 1:00

Il est vrai, chacun voit ce qu'il veut et surtout ce qui l'arrange, mais, ne me sentant pas concernée par cette attitude (accumule à certains moments, et me débarrasse à d'autres), travaillant avec l'humain depuis des années, il s'agit d'un constat général.

Chacun vit comme il l'entend, le seul risque (presque rien, pas grand chose) est qu'un beau jour, l'ensemble de l'humanité se retourne en se demandant "comment avons-nous pu en arriver là ?". "On n'a rien vu venir".

Les coatch prennent la place des "gourous" des seventies et poussent comme des champignons, si certains sont sérieux (je l'espère), d'autres sont inquiétants, la psychologie débouchant sur la meilleure et la pire des disciplines autour de l'humain.

C'est quoi simple ? D'esprit ? Dans ce cas, pourquoi écrire des sujets et les commenter ?

Commentaire de Lovyves le 8 août 2015 à 20:50

Bonsoir à Tou(te)s
Tout ce que nous possédons, nous possède.
Autrefois, le problème, de la séparation, de jeter des objets, ne se posait pas.
Le prix de chaque chose était tel, que l'on y faisait attention, et seul l'utilitaire, voire indispensable était acheter ou fabriqué soi-même. Le beau était pour les riches.

Aujourd'hui, la technicité a fait que beaucoup d'objets ne sont pas chers, et le seront de moins en moins, dans le futur.
Donc, j'ai la responsabilité de la gestion de .. l'abondance.
Ah ! pas facile , être responsable de ses possessions et de la gestion de ces objets, sans en être affecté.
Qu'est ce qui est utile, indispensable, beau selon mon goûts ou affectivité ?
Et, qu'est ce que je mets à la poubelle, sans regret, et avec soulagement, car plus de place, d'espace, .. plus de liberté ?
C'est toujours mon choix.
.. Que j'assume, ou c'est la faute à ……. !

Commentaire de Katy le 8 août 2015 à 10:03

Enfin, une autre chose que l'on rencontre beaucoup sur ce site, le fait de "négativiser" les émotions, au lieu d'inviter à les canaliser sur un support moins destructeur que "l'autre", réinstaure la rigidité du passé qui les chassait aussi, mais sous une autre forme, plus souple mais tout aussi pénlisante pour celui ou celle qui ressent quelques émotions.
Là encore, ne pas se "déverser" sur les autres est une chose, finir par ne plus rien avoir à dire de peur de se voir taxé de "débordant", en est une autre.

La spiritualité est une démarche très délicate et malheureusement personnelle (voir intime) et qui, si la "marche" est loupée, peut aboutir à des pathologies psychiatriques lourdes et graves. Avant de se "déshabiller" encore faut-il être sûr de pouvoir survivre nu (cela prend tout son sens si l'on utilise cette palette descriptive : en été et en Espagne, ou en hiver et en Sibérie, la finalité ne sera pas la même).

Voir la désintégration positive de Dabrowski (détaillée ici et résumée sur le net) :

http://www.academie-polonaise.org/pl/images/stories/pliki/PDF/Roczn...

On peut ne pas être d'accord avec tout, mais cela a le mérite (comme nombre de travaux) d'avoir été constitué sur une carrière et même sur une vie (au lieu de quelques années, voir mois, de formation ou encore autoproclamation), d'observations et d'analyses (en plus des connaissances acquises tout au long) cela éviterait peut être de tourner en rond (ou réinventer l'eau chaude et l'arranger en fonction de la "mode") sur tout ce qui touche à l'humain, en particulier ou encore, jouer au docteur Folamour.

Car, entre intégration et désintégration : nombre de chausse trappes où l'individu peut se perdre complètement (les gourous le savent très bien d'ailleurs et s'en servent).

En tout cas, bon week end.

Commentaire de Katy le 8 août 2015 à 9:36

Encore un volet qui permet aux individus détenant un flop de connaissances et surtout dotés d'un égo surdimensionné, de s'autoriser à régenter la vie des autres.

Le fait de cumuler est un comportement qui nous vient de la nature, les animaux qui savent se retrouver face à des difficultés pour se nourrir à certains moments de l'année, stockent aussi la nourriture.

Les coatch remplacent ceux qui, jadis, étaient la famille et les amis (les ressources sociales comme on dit), des sortes d'amis "payants".

Les "anciens" accumulaient car ils connaissaient le sens de "manquer" et qu'avoir faim et froid est autrement plus handicapant que l'envahissement.

De plus, les liens entre les gens s'étant distendus tant au niveau géographique qu'à celui de la tolérance (acceptation de la différence), l'affect commence, lui aussi à devenir trop encombrant.

L'humain a déplacé nombre de comportements animaux, vitaux, sur un plan plus abstrait, et l'accumulation en fait partie. L'affect est une "programmation" interne effectuée par la nature qui fait le lien entre l'interne et l'externe. Nous connaissons à peine (malgré l'étendue des recherches) cette programmation et il est fort probable qu'à force d'aller tripatouiller dans tous les sens, l'humain finisse par se retrouver comme à ses débuts : assis sur le sable, démuni de tout, et en plus coupé de ses instincts, émotions et motivations ou encore, comme faisant partie intégrante d'une machine (une sorte de pièce de rechange), au lieu d'atteindre l'inaccessible étoile (spiritualité) ou peut être pas de la façon imaginée aujourd'hui.

Ne reste juste une chose qu'à trop vouloir dépouiller l'humain (ne sachant rien ou pas grand chose de son essence véritable, de ses origines : celles qui le différencient vraiment de l'animal), pour le spiritualiser, on n'en fasse une machine dépourvue de toute motivation, justement et qui n'obéit qu'à des "ordres", directives ou impulsions chimiques, ou, électriques, électromagnétiques, ou encore, à des ondes.

Dépouiller pour trouver la racine, identifier les intentions ou motivations afin de faire émerger les "points" qui handicapent les gens est une chose, tout dépouiller sans discernement et tout vouloir pathologiser afin de satisfaire quelques égos (ainsi que leur porte monnaie), en est une autre.

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