Boris Cyrulnik : le penseur de la résilience

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Boris Cyrulnik est le « pape » de la résilience, ce concept désormais utilisé à tout bout de champ (on parle même de la résilience des partis politiques…). Rien n’agace davantage le psychiatre, qui n’a cessé d’écrire, d’expliquer, de répéter qu’il n’a jamais « inventé » la résilience1. Qu’il en soit le vulgarisateur, le pédagogue, aucun doute : ses livres explorent l’idée de notre capacité à reprendre le cours de notre développement, de notre vie, après un événement traumatique. Alors pourquoi le psychiatre s’est-il intéressé à ce concept, au point d’en faire l’objet de son travail tout au long de sa vie ? La réponse se trouve bien sûr du côté de l’enfance.

“Mon histoire est née cette nuit-là, à 6 ans”

« Aussi loin que remontait ma mémoire, écrit-il2, je savais que j’avais toujours voulu devenir psychiatre. » À 11 ans, il confie dans une rédaction : « Je veux devenir psychiatre pour comprendre l’âme des humains. » La sienne d’abord, sans doute. Celle d’un petit garçon qui a connu le pire dès l’âge de 6 ans. Et celle de ceux qui ont souhaité sa mort, qui ont tué ses parents, qui ont voulu sa disparition parce qu’il avait le tort d’être un enfant juif en 1940. Tout au long des nombreux ouvrages de neuropsychiatrie qui ont établi sa renommée, il s’appuie sur la tragédie de cette enfance pulvérisée pour explorer ce mystère psychologique qui lui a permis, à lui comme à d’autres jeunes plongés dans des drames, de remonter à la vie. Ce récit traverse toute son œuvre, cette fracture organise son existence et sa pensée. Qu’en est-il exactement ?

Un premier drame survient lorsque la mère de Boris Cyrulnik est arrêtée par les Allemands, en 1942, après avoir confié son fils de 2 ans à l’Assistance publique. Elle disparaît dans l’un des convois qui précipitent les juifs français à Auschwitz. Son père est à l’armée, puis il est arrêté et détenu dans un camp en France, avant d’être déporté à Auschwitz, lui aussi. De ce premier déchirement, le psychiatre n’a aucun souvenir. « Le décès de mes parents n’a pas été un événement pour moi… Je n’ai pas trace de leur mort, mais j’ai reçu l’empreinte de leur disparition… Il ne s’agit pas d’une souffrance : on ne souffre pas dans le désert, on meurt, c’est tout3. » À cette première trace d’arrachement, inconsciente, vient s’ajouter une autre, vécue en pleine conscience, celle-là : alors que, à 6 ans, il est confié à la garde de son institutrice, Margot Farges, les soldats allemands débarquent en pleine nuit. « J’ai été arrêté par des hommes armés qui entouraient mon lit. Ils venaient me chercher pour me mettre à mort. Mon histoire est née cette nuit-là4. » Le traumatisme se poursuit : le petit garçon se retrouve dans la synagogue de Bordeaux, au milieu d’adultes et d’enfants arrêtés eux aussi pour être déportés. C’est parce qu’il surprend un échange, « On a reçu l’ordre de mettre les enfants dans des wagons “salés” », qu’il prend peur. Le petit Boris ne connaît pas le mot « scellé », mais il en a bien perçu l’horreur. Il décide de se sauver. Et y parvient, en grimpant en rappel le long du mur des toilettes, puis en sautant dans une ambulance, et en se cachant sous le corps d’une mourante, sur les conseils d’une « jolie infirmière ».

“Ma mère avait imprégné en moi un attachement sécure”

Cette scène fondatrice, le psychiatre la raconte à merveille dans son livre5. Et l’analyse. Car déjà le premier signe de la capacité de résilience est là, ce désir farouche de vivre, cette dynamique qui le pousse à s’accrocher au moindre signe, lui, si petit, pour rebondir. En effet, Boris Cyrulnik explique que pour pouvoir repartir après un grave traumatisme, le blessé de l’âme a besoin de deux éléments essentiels : sa force vitale et ce qu’il nomme un « tuteur de résilience », un point d’accroche sur lequel il sera possible de s’appuyer pour reprendre vie, tout comme une plante pour pousser.

Or, cette vitalité n’existe que si le bébé a pu se développer dans une « niche de sécurité », c’est-à-dire entouré de l’attention et de l’affection de ceux qui ont son éducation en charge. « Les bras de sa mère » le plus couramment, remarquent le médecin, mais aussi tout son entourage. Un petit qui, à quelques mois, n’a pas été sécurisé correctement développe des troubles de l’attachement et du comportement. En cas de grave traumatisme, il lui sera plus difficile de repartir et de se saisir d’un tuteur. « […] Lors de mes petites années, ma mère avait imprégné en moi un attachement sécure. Le style relationnel qui favorise la rencontre m’avait aidé à ne pas rater les mains tendues », constate Boris Cyrulnik. L’assurance intérieure d’être digne d’être aimé, digne d’intérêt… et donc de vivre.

“Je devenais le héros du récit que je me racontais”

Mais il y a autre chose. C’est en se remémorant son passé, en écoutant ses patients, en accompagnant des enfants en institution, que le psychiatre réalise l’importance des souvenirs, mais surtout du récit que chacun s’en fait. Ainsi, il y a quelques années, Boris Cyrulnik prend conscience que le souvenir de sa dissimulation aux yeux des Allemands sous une mourante est… faux. Pas totalement, mais en grande partie. Pourquoi ? Pour survivre à l’abominable. Pour que le souvenir traumatique soit suffisamment remanié pour être supportable. « Je n’étais plus un objet bousculé par le destin, je devenais sujet de l’histoire que je me racontais, peut-être même le héros6 ! » Cette capacité verbale est souvent oubliée dans le processus de résilience. Elle est essentielle. « Les deux facteurs de protection les plus précieux sont l’attachement sécure et la possibilité de verbaliser. » Le petit Boris a ainsi permis au grand Cyrulnik d’accéder à son rêve : épouser sa Jane, comme le Tarzan de ses lectures d’enfant, devenir psychiatre et vivre dans une maison d’où l’on voit la mer. Quelle revanche !

1. Boris Cyrulnik n’a cessé de faire reconnaître le travail de Myriam David (1917-2004), pédopsychiatre, psychanalyste, déportée à Auschwitz qui, après la guerre, soigna de nombreux enfants en souffrance. 
2 à 6. Extraits de Sauve-toi, la vie t’appelle.

À lire

Un merveilleux malheur, Les Vilains Petits Canards et Sauve-toi, la vie t’appelle de Boris Cyrulnik. Trois classiques pour mieux comprendre le lien entre l’auteur et le concept de résilience (Odile Jacob).

Sources : Pensées positives

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