Ça faisait plusieurs jours déjà que l'épaisseur du tapis de feuilles en bas de chez moi était telle que l'on ne distinguait absolument plus les bords des trottoirs intérieurs et extérieurs.
Un piège à entorse joliment dissimulé dans des couleurs chatoyantes et automnales.
Je redoublais de vigilance à chaque passage et pensais systématiquement aux enfants, aux poussettes, aux personnes âgées ou à mobilité réduite parce que vraiment, ce tapis, aussi conséquent qu'on se croyait au cœur de la forêt, au pied de notre immeuble, je ne l'avais jamais connu !
Le béton avait du se transformer en humus c'est sûr !
Bien sûr je m'interrogeais sur le pourquoi de cette situation…
Pourquoi la mairie ne faisait-elle pas le nécessaire? Pourquoi cette situation n'avait-elle pas cours avant? Et j'avais même en partie des réponses à ces questions.
Je m'étais déjà entendu dire à ma fille : « avant chacun balayait devant sa porte, maintenant, on attend que ce soit « les autres » qui fassent, la mairie… on ne se sent plus responsable de rien ! »
Et en disant cela, je me sentais consciente d'un changement d'état d'esprit global et ne voyais même pas que je faisais partie intégrante de ces personnes que j'étais en train de pointer du doigt.
Cela ne me posait pas de problème, puisque je le faisais avec une forme de conscience et surtout un détachement. C'est comme ça, ce n'est pas grave, c'est un état de fait. Accueillir ce qui est.
Et puis la semaine dernière, à quelques mètres de chez moi, j'ai croisé cette femme qui balayait le trottoir devant son immeuble. Je me suis arrêtée pour la remercier de son travail.
D'abord surprise et un peu gênée, elle a finalement enchaîné pour m'expliquer que sa fille s'était cassé le gros orteil l'année dernière en trébuchant sur un tapis de feuilles.
En la quittant, je me suis dit que je pouvais en faire autant, que moi aussi je pouvais balayer devant chez moi.
C'est alors que j'ai pris conscience que, n'habitant pas au rez-de-chaussée il y avait une partie de moi qui ne se sentait pas concernée à 100% dans cette démarche. Et puis je ne suis que locataire… Et puis je n'ai pas de balai moi...
J'ai imaginé mettre une annonce sur Facebook pour demander à ce que l'on me prête un gros balai. Je ne l'ai pas fait.
J'ai laissé tout cela se déposer, comme les feuilles au sol… c'est de saison !
Samedi soir, nous sommes allées à un spectacle avec ma fille, dans une salle polyvalente, qui accueillait aussi ce soir là des rencontres de basket.
En sortant de notre spectacle, nous sommes passées devant le tournoi de basket, et surtout devant le comptoir de cette animation sportive qui proposait une petite restauration.
Nous nous sommes offerts un croque-monsieur maison confectionné (avec amour) par les dames présentes devant nous. En même temps que nous dégustions notre dîner imprévu je posais moult questions autour de la rencontre et de leur présence.
Pour finalement apprendre que ces dames, bénévoles bien évidemment, consacraient la quasi intégralité de leur week-end derrière ce comptoir. Et ce, une fois par mois environ. Il était 22 heures passées et elles étaient là depuis midi, ce qui était, selon leur dire, « une arrivée tardive par rapport à d'habitude ».
Elles revenaient le lendemain pour « remettre le couvert ». Après un rapide calcul, j'en étais arrivée à un total de 20 heures bien tassées pour le week-end. Et ce que je ne vous ai pas encore dit, c'est que, malgré l'heure tardive, les sourires sur les visages étaient intacts.
J'ai quitté cet endroit et ces femmes qui lui donnait généreusement vie, songeuse, et la tête remplie d'admiration et de gratitude ...
Le lendemain alors que nous partions nous promener, à pied, avec ma fille nous passons devant une maison voisine de la nôtre dont les occupants sont entrain de charger leur voiture de déchets végétaux. Je me surprends alors à m'arrêter net et leur demander « est-ce que vous auriez un gros balai ? ».
Je leur explique mon projet, mais ils n'ont pas de balai. Qu'à cela ne tienne maintenant que je suis lancée je me sens prête à aller rencontrer d'autres voisins inconnus pour leur demander de me prêter un gros balai.
Ma fille s’interroge .. « tu veux balayer en bas de chez nous ?
oui !
ah ! alors tu n’as qu’à te faire embaucher ..
Ben, je n’ai pas besoin, je viens de créer mon emploi ! »
Nous continuons notre chemin et notre ballade.
Le soir en rentrant chez nous alors que nous franchissons le pas de l'immeuble, ma fille s'exclame « et pourquoi tu ne demandes pas à nos voisins du rez-de-chaussée?»… euh parce que je n'y ai pas pensé !!!
C'est quand même assez impressionnant tous les détours que l'on peut faire quand la solution est juste là à nos pieds !
Car cela s'est avéré être très justement la solution à mon problème du moment.
Au terme d'un week-end oh combien rempli, inspirant, généreux et m'offrant la solution concrète, je vis naître un lundi matin particulièrement lumineux et besogneux.
Armée de mon balai magique j'ai repoussé feuilles mortes et limites une paire d'heures durant. Ma satisfaction grandissait à voir resurgir le béton ... un comble pour moi qui aime tant marcher dans les feuilles. Mais je m'entends, c'est de voir les trottoirs réapparaître qui m'a donné l'énergie -surtout quand je ne sentais plus mes mains.
Et puis ces personnes qui m'ont remercié, rapidement sans s'arrêter ou au contraire en prenant le temps de faire une pause, dans leur marche. Cet homme qui avait de grandes difficultés à se déplacer et qui m'a dit combien c'était précieux pour lui et qu'il ne comprenait pas pourquoi la mairie laissait la rue en l'état depuis si longtemps. Toutes les réactions et attitudes des passants étaient source d'enseignement pour moi. Sentir comment je me sentais face aux témoignages de remerciements et de reconnaissance. Également face à l'ignorance voire l'invisibilité. Sentir mon monde intérieur révélé par tous ces univers extérieurs. Et sentir comment cet instant de service désintéressé vibrait en moi comme une méditation profonde.
J'ai eu de nombreuses pensées pour tous mes amis qui me témoignent de leurs difficultés à trouver leur voie (leur voix) intérieure. Je sais que la période est dense et agitée pour bon nombre d'entre nous actuellement. Il y a des peurs, des doutes, des changements radicaux et profonds. Il y a aussi énormément d'alternatives qui naissent et se développent. Et pendant que je poussais ces feuilles je sentais cette poussée fiévreuse et lumineuse crier en moi de façon jubilatoire. Toutes nos actions aussi infimes puissent elles paraître nous invitent à Être. Tout simplement. Retrouver le chemin de la simplicité.
Que de rencontres simples et merveilleuses hier uniquement parce que je tenais un balai dans les mains. Tout est là. Dans nos mains, dans nos cœurs. Laissons les s'exprimer librement. Sans notre propre censure.
Quand ma fille est rentrée le soir elle m'a demandé "c'est toi qui a fait tout le trottoir toute seule?? C'est génial !!!"
Nous sommes sorties faire une course et un couple de personnes âgées qui terminait à peine de traverser la chaussée, se réjouissait du passage de la mairie, enfin, au moment même où nous sortions de notre immeuble. Ma fille s'est arrêtée pour lacer ses baskets, qu'elle venait à peine de faire chez nous. Je l'attendais sans comprendre. En réalité une fois le couple arrivé à sa hauteur, elle s'est alors relevée et leur a dit "vous savez c'est ma maman qui a tout balayé". La femme, surprise d'abord de l'intervention de ma fille, se reprit pour me féliciter au lieu d'avoir attribué les mérites à la mairie puis félicita ma fille d'être si fière du travail de sa maman. S'ensuivit un bel échange avec ce couple qui émit le souhait de se croiser de nouveau et à l'avenir dans le quartier.
Hier j'ai fait un câlin à la rue.
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