C'est si agréable de rester simplement assis en silence, le dos droit, dans une posture pleine de grâce et dignité - et c'est aussi important que de regarder ces arbres dénudés.

Avez-vous remarqué comme ils sont beaux, ces arbres, contre le ciel pâle du matin?

Les branches nues d'un arbre révèlent sa beauté ; mais ils sont aussi merveilleusement beaux au printemps, en été et en automne.

Leur beauté change avec les saisons, et il est aussi important de remarquer tout cela que de réfléchir aux voies que suit notre propre existence.

Que nous vivions en Russie, en Amérique ou en Inde, nous sommes tous des êtres humains; en tant qu'êtres humains, nous avons des problèmes communs, et il est absurde de se concevoir d'abord en tant qu'hindous, américains, russes, chinois, etc.

Certes, il existe des divisions politiques, géographiques, raciales et économiques, mais les mettre en avant ne fait que susciter antagonisme et haine.

Les Américains sont sans doute pour l'instant beaucoup plus prospères, ce qui signifie qu'ils ont plus de gadgets, plus de postes de radio et de télévision, plus de tout, y compris un surplus de nourriture, alors que dans ce pays règnent la famine, la misère, la surpopulation et le chômage.

Mais où que nous vivions, nous sommes tous des êtres humains, et en tant que tels nous sommes à l'origine de nos propres problèmes humains.

Et il est capital de comprendre que si c'est en tant qu'hindous, américains ou anglais, ou bien noirs, basanés ou jaunes que nous nous définissons, nous créons entre nous des barrières qui n'ont pas lieu d'être.

L'un de nos principaux problèmes est que l'éducation moderne, dans le monde entier, se préoccupe surtout de faire de nous de simples techniciens.

Nous apprenons comment concevoir des avions à réaction, comment construire des routes pavées, comment fabriquer des voitures ou manœuvrer des sous-marins nucléaires dernier cri, et au milieu de toute cette technologie nous oublions que nous sommes des êtres humains - ce qui veut dire que nous ne cessons de remplir nos cœurs de choses d'ordre purement mental.

En Amérique, l'automatisation délivre un nombre toujours croissant de personnes de longues heures de travail pénible, comme ce sera bientôt le cas ici, et nous aurons alors à résoudre l'immense question de savoir quoi faire de notre temps.

D'énormes usines employant aujourd'hui des milliers d'ouvriers fonctionneront grâce à une poignée de techniciens: que vont donc devenir tous ces autres hommes qui travaillaient là, et qui vont se retrouver avec tout ce temps libre sur les bras?

Si l'éducation ne commence pas à prendre en compte ce problème-là - et bien d'autres problèmes humains -, nos vies seront bien vides.

Mais nos vies sont d'ores et déjà très vides, n'est-ce pas? Vous pouvez avoir un diplôme universitaire, être mariés et vivre à l'aise, être très astucieux, très bien informés, au courant des derniers livres parus - tant que vous remplissez votre cœur de préoccupations d'ordre purement mental, votre vie est vouée à la vacuité et à la laideur, et elle n'aura que peu de sens. La vie n'a de beauté et de sens que lorsque le cœur est lavé de tout ce qui relève uniquement de l'esprit.

Ce problème nous regarde à titre individuel, ce n'est pas un problème d'ordre spéculatif ne nous concernant pas. Si en tant qu'êtres humains nous ne savons pas prendre soin de la terre et de tout ce qui s'y trouve, si nous ne savons pas aimer nos enfants et si nous nous intéressons exclusivement à nous-mêmes, à notre progression et à notre succès personnel ou national, nous rendrons notre monde hideux - ce qu'il est déjà.

Un pays peut devenir très riche, mais ses richesses sont un poison tant qu'un autre pays meurt de faim.

Nous sommes une seule et même humanité, la terre est le bien commun que nous avons à partager, et avec ce qu'il faut d'amour et de soin, elle produira de quoi nous nourrir, nous vêtir et nous loger tous.

Le rôle de l'éducation ne se limite donc pas à vous préparer à décrocher quelques examens, mais à vous aider à comprendre toute cette problématique de l'amour - qui concerne à la fois la vie sexuelle, la nécessité de gagner sa vie, la capacité d'initiative, l'enthousiasme, la faculté de réflexion profonde. Découvrir ce qu'est Dieu est aussi un problème qui nous concerne, car là est le fondement même de notre existence.

Une maison ne résiste pas sans fondations solides, et toutes les inventions astucieuses de l'homme ne voudront rien dire si nous ne cherchons pas a découvrir Dieu, ou la vérité.

L'éducateur doit être capable de vous aider à comprendre cela, car c'est dès l'enfance qu'il faut commencer, pas à soixante ans! Vous ne découvrirez jamais Dieu à soixante ans, car à cet âge-là, la plupart des gens sont usés, finis.

Il faut commencer très jeune, alors vous pouvez poser les fondations permettant à votre maison de résister à tous les orages que les hommes s'infligent.

Alors vous pouvez vivre heureux car votre bonheur ne dépend de rien, ni des saris et des bijoux, ni des voitures et des radios, ni du fait d'être aimé ou rejeté. Vous êtes heureux non parce que vous possédez quelque chose, mais parce que votre vie a un sens en elle-même.

Mais ce sens ne se découvre que lorsqu'on est à la recherche de la réalité, d'instant en instant - et la réalité est en toute chose, on ne la trouve ni à l'église, au temple ou à la mosquée, ni dans un quelconque rituel.

Pour débusquer la réalité, nous devons savoir balayer la poussière des siècles passés sous laquelle elle est enfouie ; et je vous prie de me croire quand je dis que cette quête de la réalité constitue la véritable éducation.

Tout homme intelligent est capable de lire des livres et d'accumuler des informations, de parvenir à une situation et d'exploiter les autres, mais ce n'est pas cela, l'éducation.

L'étude de certains sujets ne constitue qu'une part infime de l'éducation ; il existe une vaste zone de notre existence à laquelle notre éducation ne s'adresse pas, et envers laquelle nous n'avons pas la bonne approche.

Trouver comment aborder l'existence de sorte que notre vie quotidienne, nos radios, nos voitures et nos avions aient un sens par rapport à ce quelque chose, qui les inclut et les transcende tous - c'est cela l'éducation. En d'autres termes, l'éducation doit commencer par la religion.

Mais la religion n'a rien à voir avec le prêtre, avec l'église, avec aucun dogme ni aucune croyance. La religion, c'est aimer sans motif, c'est être généreux, être bon, car c'est seulement alors que nous sommes des êtres authentiquement humains.

Mais la bonté, la générosité ou l'amour ne naissent qu'à travers la quête du réel.

Malheureusement, la prétendue éducation d'aujourd'hui ignore à dessein tout ce vaste territoire de notre existence.

Vous êtes sans relâche occupés à faire des lectures qui n'ont guère de sens, et à passer des examens qui en ont encore moins. Certes ils peuvent vous permettre d'obtenir un emploi, et cela a un certain sens.

Mais à l'heure actuelle, nombre d'usines fonctionnent presque uniquement grâce à des machines, c'est pourquoi il faut dès à présent qu'on nous enseigne à gérer notre temps libre - qui ne consiste pas à courir après des idéaux, mais à découvrir et à comprendre ces vaste pans de notre existence dont nous ne sommes actuellement pas conscients, dont nous ignorons tout.

L'esprit, avec tous ses arguments malins, n'est pas tout. Il y a, au-delà de l'esprit, quelque chose d'immense et d'incommensurable, une beauté que l'esprit ne peut appréhender.

Dans cette immensité est une extase, est une gloire ; et s'immerger en cela, le vivre, en faire l'expérience - telle est la voie de l'éducation.

Faute de recevoir ce genre d'éducation, à votre entrée dans le monde vous perpétuerez ce hideux chaos que les générations passées ont engendré.

Donc, vous tous, professeurs et élèves, songez à tout cela.

Ne vous plaignez pas, mais retroussez-vous les manches et contribuez à créer une institution où la religion, au vrai sens du terme, soit explorée, aimée, mise en actes et vécue.

Vous vous apercevrez alors que la vie devient fabuleusement riche - bien plus riche que tous les comptes en banque du monde !

- Jiddu Krishnamurti -

Chapitre 26 - L'esprit n'est pas tout - Le sens du bonheur (1966)

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