Voici un texte assez polémique de Raphael Liogier sociologue des religions
Ne sortez pas votre mitraillette contre moi , je ne partage pas toute l'analyse de Liogier mais ce texte peut servir de base à une analyse critique .
"Quel est le nom de ce nouveau Dieu ?
C’est surtout la notion d’énergie qui remplace celle de Dieu. On dira qu’il y a de bonnes énergies dans cette maison ou dans cette nourriture ! On distingue même, ce qui est typiquement religieux, les énergies négatives (représentant le Mal dont il faudrait se débarrasser) des énergies positives (qu’il faudrait cultiver en soi et autour de soi, parce qu’elles expriment le Bien). Cette révolution a commencé au XVIIIème siècle. L’énergie est devenue l’objet de toutes les spéculations, à la fois scientifiques et spirituelles. L’un des pères de l’hypnotisme, Messmer (d’où « to mesmerize » en anglais, hypnotiser), fut un des principaux promoteurs de la croyance en un magnétisme animal, selon laquelle une force vitale existerait en nous et dans la nature. Ce principe vital donnerait un sens à l’univers, une direction. Même Hegel s’est intéressé de près au magnétisme animal. Au XXe siècle, les croyances magnétiques donnent progressivement naissance à ce que l’on peut appeler un véritable culte de l’énergie. Le succès des religions extrême-orientales en Occident - surtout le bouddhisme, l’hindouisme, le taoïsme, avec des pratiques comme le yoga, le qi-gong, et les notions de chakra, de méridiens d’énergie - va participer à la normalisation et à la généralisation de ce culte énergétique.
Les trois axes de cette « nouvelle religion » postindustrielle sont le développement personnel (recherche de la créativité), le bien-être (une santé supérieure) et la connaissance de soi (découvrir la vérité du monde au travers de pratiques comme le yoga ou la relaxation).
On le voit dans le travail, mais aussi dans nos loisirs : on ne part plus en vacances pour se vider, on part à la recherche de nouvelles expériences, de nouvelles compétences qui nous transforment, nous améliorent. C’est l’ère du tourisme culturel, du tourisme spirituel, du tourisme humanitaire. On part faire de l’humanitaire, on veut s’accomplir en construisant un hôpital au milieu de nulle part.
Cela transparaît également dans notre rapport au couple : si, un temps, divorcer était un échec, le divorce apparaît aujourd’hui de plus en plus comme une expérience positive, une étape dans le parcours dans le parcours existentiel.
La religion permet aux humains de raconter une vie cohérente sur une scène mythique. Nous avons tous besoin de raconter notre vie. Ne serait-ce que se donner un nom, Pierre, Paul, Jean, etc., c’est déjà faire référence à une histoire, c’est essayer d’être autre chose qu’un organisme animal. C’est cela l’identité au fond ! Qui dit scène mythique, dit évidemment scénarios à jouer (et nous avons déjà évoqué les thèmes centraux des scénarios dans lesquels nous jouons notre vie), mais il faut aussi des décors comme dans un théâtre. Dans la religion individuo-globale, il y a trois décors qui sont combinés, superposés les uns aux autres, ce que j’appelle l’hypertradition (une tradition plus que traditionnelle, dont les religions classiques ne seraient que des versions frelatées), l’hyperscience (une science capable de comprendre l’énergie, qui justement redécouvrirait la vérité de l’hypertradition, qui s’intéresse au mystère de l’infini, à l’ondulatoire, etc.) et enfin l’hypernature (vision d’une nature plus que naturelle, qui est même le critère de la vérité de toute science et de toute tradition).La nature ne saurait mentir, elle est aujourd’hui à proprement parler surnaturelle.
Dans la morale individuo-globale, même un tsunami, s’il fait des morts, ne peut pas être l’œuvre seulement de la nature, mais doit quelque part avoir été provoqué par la « mauvaise » science de l’homme, par l’industrie, etc. La nature est la clé métaphysique de la théologie individuo-globale : l’hypertradition et l’hyperscience doivent prouver qu’elles sont « naturelles » pour être légitimes. C’est valable pour nos pratiques individuelles. La méditation, par exemple, est vantée parce qu’elle serait une pratique à la fois traditionnelle, scientifique, bénéfique à la santé et, forcément, naturelle. De même pour le taï-chi, le chi-kong et la relaxation.
On retrouve cela en marketing. Aujourd’hui, pour vendre un produit de beauté, il faut expliquer qu’il est issu d’une longue tradition, mais que, en même temps, il a été éprouvé par la science d’avant-garde et les nouvelles technologies propres – naturelles – et qu’en cela il renoue avec la Nature. Ce produit, pour être désirable, doit être hypernaturel.
Or le film Avatar exprime, de manière caricaturale, ces trois décors : la fascination pour l’hyperscience, qui peut quasiment tout faire ; pour l’hypertradition, celle de ces autochtones extraterrestres (qui ressemble en réalité à des « autochtones » très terrestres, en dehors de leur peau bleuté), qui vivent selon une tradition originelle, ce qui rend leur mode de vie supérieur à la vie urbaine polluée des humains ; mais une tradition qui est en contact direct avec la nature. Ces « autochtones » sont comme la partie non corrompue de nous-mêmes que nous pouvons redécouvrir lorsque nous partons à la rencontre de l’autre, ainsi que le fait le héros du film, qui va redécouvrir la partie originelle « naturelle » de son humanité en sauvant ce peuple extraterrestre naturel. Et bien sûr on retrouve l’incontournable culte de l’énergie qui sait tout (conférant une connaissance intuitive et immédiate de soi et du monde), qui procure bien-être (source inépuisable de santé voire d’immortalité), et permet la créativité (qui développe toutes les capacités, en nous traversant elle nous fait devenir ce que nous devons être, elle nous révèle à nous-mêmes).
Un des dogmes cruciaux est celui de la connectivité. Il faut être connecté au monde et à soi-même. Connecté depuis son ordinateur, connecté avec ses amis, connecté aux autres, à la terre, et, in fine, connecté à l’univers, à la nature. Quelqu’un qui est connecté se connaît forcément lui-même, il est aussi forcément créatif, et forcément en bonne santé. La connectivité recoupe le dogme de la circulation de l’énergie. Ainsi, dans l’imaginaire individuo-global un problème est forcément un blocage de l’énergie. Par exemple en matière de santé il s’agira de combattre les blocages. De même en matière de management, en politique, il faudra toujours restituer les flux, les accroître (il y a un lien avec le développement du capitalisme libéral bien sûr). Ce qui circule est positif, bienfaisant. L’arrêt ne peut être qu’un blocage. On voit bien que nous sommes au niveau religieux, parce que le caractère positif, merveilleux, bénéfique de « l’énergie qui circule » n’est pas discuté, cela va de soi, cela a la saveur de l’évidence. Personne ne remet en question ces priorités de bien-être, de créativité, de connaissance de soi, ou même la valeur surnaturelle de la Nature. Or le propre du religieux, c’est d’être indiscutablement admis, de constituer la trame même de nos désirs les plus profonds. "
En savoir plus sur http://www.atlantico.fr/decryptage/culte-nature-tradition-et-bien-e...
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