16 - "Sans révolution dans la démocratie, il ne resterait alors que l’effondrement et la révolution tout court pour ouvrir une fenêtre à notre nouvelle Renaissance."

À ce piège général s’ajoute un piège spécifiquement européen. Au sein de l’Union européenne, en effet, la démocratie est tout particulièrement affaiblie par des traités qui déterminent des politiques publiques indépendantes du résultat d’une quelconque élection. Pour toute une série de questions économiques et sociales majeures, les Européens sont, de fait, gouvernés par un État fédéral, avec des lois européennes qui priment sur les lois nationales – des lois initiées par la seule Commission européenne et que les citoyens n’ont aucun pouvoir d’influencer ou de contester par un quelconque vote national ou européen! Et même dans le seul cas où le vote des électeurs peut peser – quand ceux-ci refusent de ratifier un traité -, les gouvernements décident d’effacer le suffrage populaire et de ratifier le traité, entre eux, dans le huis clos d’une majorité parlementaire aux ordres du pouvoir exécutif. Le vote populaire n’est plus toléré qu’à la condition qu’il plébiscite le choix de ses maîtres. Tel est le softfascism à l’européenne! Or, ce mode de fonctionnement ne peut être réformé qu’à l’unanimité des 27 pays de l’Union européenne ; c’est-à-dire que cela n’arrivera jamais tant qu’il restera un gouvernement susceptible d’opposer son veto. Et , là encore, rares sont les partis de gauche en Europe qui osent seulement envisager l’hypothèse qu’un pays renonce à appliquer les traités qu’ils se sont acharnés à faire ratifier, au besoin contre la volonté clairement exprimée des rares citoyens consultés.
Il faut bien comprendre que même si, par miracle, un nouveau gouvernement élu dans un quelconque État de l’Union européenne était résolu à s’engager dans la nécessaire révolution démocratique de son système économique et politique, il s’en trouverait empêché par les traités européens qui, de fait, constitutionnalisent les politiques néolibérales, la libre concurrence généralisée, le libre-échange, la libre circulation des capitaux et donc les pleins pouvoirs pour le capital. Un tel gouvernement aurait, en réalité, tous les moyens nécessaires pour s’engager, même tout seul, dans la voie du progrès humain, mais à la seule condition de violer les traités de l’Union européenne. Tel est, en Europe, l’ultime tabou des faux progressistes qui dominent la gauche moribonde. Tant que les citoyens se laisseront abuser par cette fausse gauche qui ne les libérera jamais du carcan antidémocratique où elle les a enfermés, il pourra bien y avoir mille alternances de la majorité au pouvoir, mille retours de cette “gauche” au pouvoir, sans que la Grande Régression commence à être combattue. Dans les faits, on le sait bien, il ne pourra certainement pas y en avoir “mille”. Car nous ne sommes plus au début de la Grande Régression mais en plein dedans. Notre civilisation ne supportera plus des dizaines de changements de gouvernement sans changement radical de direction. Celui-ci surviendra-t-il avant l’effondrement?
(...) Or, on ne voit pas pourquoi les oligarchies bien installées réformeraient des règles du jeu qui confortent leur domination! Par conséquent, la dynamique des forces et des institutions qui entretiennent la Grande Régression pourrait constituer un cercle vicieux qui piège des centaines de millions de citoyens (fussent-ils même éclairés), dans l’impuissance collective de la résignation.
Sans révolution dans la démocratie, il ne resterait alors que l’effondrement et la révolution tout court pour ouvrir une fenêtre à notre nouvelle Renaissance. L’histoire nous prévient que ce serait là le pire des scénarios. S’il faut en passer par l’effondrement de la civilisation qui fait obstacle à notre seconde Renaissance, celle-ci, tout comme la première Renaissance, ne surgirait peut-être qu’après l’enlisement dans un âge sombre interminable. Sans même remonter au Moyen-Àge, en ne retenant que les leçons propres à l’histoire des sociétés modernes, nous savons que l’effondrement violent d’une société a plus de chance de déboucher sur une “Restauration” ou sur la victoire des fascistes que sur la relance du progrès humain. Le désordre et le chaos font hélas toujours passer le besoin de stabilité et de sécurité avant toute autre préoccupation. Même en temps de paix civile, on l’a vu, le gouvernement par la peur imaginaire est une méthode efficace pour soutenir la domination des réactionnaires. Alors, on peut redouter que cette forme de gouvernement n’ait plus de limites, dans un contexte de guerre civile où la peur n’aurait plus rien d’imaginaire.


La Grande Régression  Jacques Généreux   Éditions du Seuil  octobre 2010     (p.275-277)


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