La route devant la maison descendait jusqu'à la mer, en serpentant entre nombre de petites boutiques, de grandes maisons, de garages, de temples et en passant même devant un jardin poussiéreux et abandonné. Lorsqu'elle atteignait enfin la mer, cette route devenait une grande rue très passante, avec des taxis, des autobus bruyants et tous les autres bruits d'une ville moderne.

Une avenue paisible et ombragée que sur-plombaient d'immenses arbres partait de cette grande rue, mais le matin et le soir elle était remplie de voitures qui allaient dans des clubs chics, avec des terrains de golf et de merveilleux jardins. Comme je marchais dans cette avenue, je remarquai plusieurs sortes de mendiants allongés sur le trottoir, qui ne faisaient pas de bruit et qui ne tendaient même pas la main aux passants.

Une fillette d'environ dix ans était couchée par terre, sa tête reposant sur une boîte en fer, et les yeux grands ouverts. Elle était sale, ses cheveux étaient emmêlés mais elle me rendit mon sourire.

Un peu plus loin, une petite fille d'à peine trois ans s'avança vers moi avec la main tendue et un sourire enchanteur. Sa mère était derrière un arbre, non loin de là, et la surveillait. Je pris la main qu'elle me tendait et nous fîmes quelques pas ensemble en direction de sa mère. Comme je n'avais pas de monnaie, je revins le lendemain avec une pièce mais la petite fille n'en voulut pas, elle voulait seulement jouer.

Nous avons donc joué tous les deux et j'ai donné la pièce à sa mère. Et à chaque fois que je passe par cette avenue, je revois cette petite fille, qui est toujours là avec son sourire extraordinaire et ses yeux vifs.

Un mendiant était assis devant l'entrée d'un club très à la mode. Il était recouvert d'une toile de sac répugnante et ses cheveux emmêlés étaient très poussiéreux. Parfois, quand je passais par là, il était couché par terre, la tête dans la poussière, son corps nu sous la toile de sac ; il arrivait aussi qu'il soit assis, parfaitement immobile, regardant sans voir les arbres massifs au-dessus de lui.

Il y eut un soir une joyeuse réception dans ce club. Toutes les lumières étaient allumées et des voitures étincelantes remplies de gens très gais s'arrêtaient et klaxonnaient.

On entendait une musique légère qui venait du club, et qui résonnait dans l'air du soir. L'entrée était gardée par des policiers et des gens s'étaient groupés pour regarder les personnages bien vêtus et bien nourris descendre de voiture. Le mendiant s'était détourné de tout cela.

Quelqu'un lui offrit quelque chose à manger et quelqu'un d'autre une cigarette, mais il refusa silencieusement d'accepter quoi que ce soit, sans faire le moindre mouvement. Il était en train de mourir lentement, jour après jour, sous le regard des passants.

Les arbres formaient une masse imposante contre le ciel assombri, avec des contours fantastiques. Leurs feuilles étaient très petites mais leurs branches semblaient énormes et cela leur conférait une majesté moyen ou un autre? Sans l'humilité, la réalité ne peut pas être.

— Mais je ne cherche, en venant ici, qu'à découvrir le vrai but de la vie.

Est-il possible de vous faire remarquer que vous êtes pris par une idée et que cela devient une fixation. Nous devrions toujours faire attention à cela.

Votre désir de découvrir la finalité de la vie vous a fait lire nombre de philosophes et consulter de nombreux maîtres.

Certains disent ceci, certains disent cela et vous, vous voulez connaître la vérité. Mais de quelle vérité s'agit-il? Voulez-vous savoir si ce qu'ils disent est vrai, ou bien découvrir la vérité par rapport à vos propres préoccupations?

— Lorsque vous posez une question directe comme celle-là, j'hésite à vous répondre. Il y a des gens qui ont étudié et fait des expériences, plus et mieux que je ne le ferai jamais, et ce serait une absurde prétention de ma part de rejeter ce qu'ils disent, car cela pourrait m'aider à découvrir la signification de la vie.

Mais chacun d'eux parle selon sa propre expérience et sa compréhension des choses, et parfois ils se contredisent. Le marxiste dit une chose et le religieux dit tout à fait le contraire. Je vous en prie, aidez-moi à découvrir la vérité de tout cela.

Voir le faux en tant que faux, le vrai dans le faux, et le vrai en tant que vrai, n'est pas chose facile. Pour que la perception soit claire, il faut être libéré du désir, qui déforme l'esprit et le conditionne.

Vous êtes tellement impatient de découvrir la véritable signification de la vie que cette impatience même fait obstacle à la compréhension de votre propre recherche. Vous voulez connaître la vérité au sujet de ce que vous avez lu et de ce que les maîtres ont dit, n'est-ce pas?

— Oui, c'est exactement cela.

Alors, dans ce cas, il doit vous être possible de découvrir par vous-même ce qui est vrai dans toutes ces déclarations. Votre esprit doit être capable de perception directe ; sinon il se perdra dans la jungle des idées, des opinions et des croyances.

Si votre esprit n'est pas en mesure de voir ce qui est vrai, vous serez semblable à la feuille qui tourbillonne. Car ce qui est important, ce ne sont pas les conclusions et les assertions des autres, quels qu'ils soient, mais que vous ayez l'intuition de ce qui est vrai. N'est- ce pas le plus important?

— Si, bien sûr, mais comment avoir ce don?

La compréhension n'est pas un don réservé à quelques-uns, elle est accessible à tous ceux qui sont sérieusement engagés dans la connaissance d'eux-mêmes.

La comparaison ne suscite pas la compréhension, elle n'est qu'une forme de distraction, comme le jugement est une fuite.

Pour que soit la vérité, l'esprit doit être libéré des comparaisons et des évaluations. Car l'esprit n'est pas immobile lorsqu'il compare et qu'il évalue, il est occupé. Un esprit occupé est incapable d'avoir une perception simple et claire.

— Faudrait-il alors que je me dépouille de toutes les valeurs que j'ai édifiées, de tout le savoir que j'ai réuni?

L'esprit ne doit-il pas être libre pour pouvoir découvrir? Le savoir, l'information - les conclusions et les expériences de soi-même et des autres, ce lourd fardeau de souvenirs - engendrent-ils la liberté?

Et la liberté peut-elle exister tant qu'existera le censeur qui juge, condamne et compare? L'esprit n'est jamais immobile s'il doit sans cesse acquérir et calculer. Et l'immobilité de l'esprit n'est-elle pas une condition essentielle pour que la vérité soit?

Chaque partie de la roue cerclée de fer touchait lentement le sol dur. L'homme qui le conduisait dormait, mais les boeufs connaissaient le chemin ; ils passèrent sans hâte et furent eux aussi bientôt absorbés par l'obscurité. Tout était maintenant parfaitement immobile et silencieux.

L'étoile du soir était au-dessus des collines et allait bientôt disparaître. Un hibou lançait son appel au loin, et le monde des insectes de la nuit qui nous entourait était plein de vie et d'activité, sans pour autant que cela trouble la tranquillité du silence.

Tout était contenu dans cette paix, les étoiles, le hibou soli- taire, les myriades d'insectes. Si l'on tentait de l'écouter, on ne l'entendait plus, mais si on s'y joignait, on en devenait partie intégrante.

L'observateur ne peut jamais être inclus dans cette paix, car il est celui qui regarde de l'extérieur sans en faire partie. L'observateur ne peut faire qu'une expérience, mais il n'est jamais cette expérience, cette chose en soi.

Il avait voyagé dans le monde entier, parlait plusieurs langues et avait été professeur et diplomate. Dans sa jeunesse, il avait été à Oxford et comme il avait mené sa carrière avec acharnement, il avait pris sa retraite plus tôt que de coutume.

Il connaissait très bien la musique orientale mais préférait pourtant celle de son propre pays. Il avait étudié les différentes religions et le bouddhisme l'avait particulièrement impressionné. Mais cependant, déclara-t-il, si on les dépouille de leurs superstitions, de leurs dogmes et de leurs rituels, toutes les religions disent exactement la même chose.

Certains rituels étaient d'une grande beauté mais l'argent et le mythe avaient repris à leur compte la plupart des religions et lui-même s'était libéré des rituels et enrôlements dogmatiques.

Il s'était également intéressé à la télépathie et à l'hypnose et connaissait fort bien les phénomènes d'extra-lucidité, mais il n'avait jamais considéré tout cela comme une fin en soi. I

l était possible de développer à l'extrême des facultés d'observation, de parvenir à un contrôle plus grand sur la matière, et ainsi de suite, mais il lui semblait que ces choses-là étaient primitives et évidentes. Il avait pris certaines drogues, y compris celles qui étaient à la dernière mode, et cela lui avait procuré pour un temps une intensité de perception devant l'expérience, au-delà des sensations superficielles habituelles.

Mais il n'avait pas accordé beaucoup d'importance à ces expériences, car elles n'étaient en aucune façon révélatrices de cette signification essentielle qui était selon lui bien au-delà de toutes les choses éphémères.

— J'ai expérimenté diverses formes de méditation, dit-il,

et pendant une année entière j'ai cessé toute activité pour rester seul et méditer.

J'ai lu à plusieurs reprises ce que vous avez dit de la méditation et cela m'a profondément frappé. Depuis l'enfance, le seul mot de « méditation », ou son équivalent sanscrit, m'a toujours fait un très curieux effet.

J'ai toujours trouvé une beauté extraordinaire et une joie profonde dans le fait de méditer, et c'est l'une des rares choses qui m'aient entièrement comblé dans la vie - même si un tel mot est impropre à rendre la profondeur de la méditation.

Ce plaisir ne m'a pas quitté, il s'est approfondi et élargi au cours des années et ce que vous avez dit sur la méditation m'a ouvert la porte de nouveaux paradis. Je n'ai pas l'intention de vous parler à nouveau de la méditation car j'ai lu la presque totalité de ce que vous avez pu dire sur le sujet, mais si vous le permettez j'aimerais parler avec vous d'un événement très récent.

Il s'arrêta un moment et reprit:

— J'ai presque peur de répondre à cette question.

Ne croyez pas que je sois sentimental, je vous en prie, mais cette expérience représente beaucoup de choses pour moi.

Et, bien que je sois venu ici pour en parler avec vous et pour découvrir la vérité au sujet de cette expérience, je m'avise que j'hésite maintenant et que je ne tiens pas réellement à aller plus loin.

Mais il le faut. Eh bien, c'est parfois une figure vivante, mais le plus souvent c'est le souvenir d'une expérience passée.

Vous voyez combien il est important d'avoir conscience de ce qui est et non de se laisser prendre au piège de ce que l'on voudrait que cela soit.

Il est facile de créer une illusion et de vivre en elle. Examinons les choses avec soin. Vivre dans le passé, même si c'est agréable, même si c'est moral, interdit de faire l'expérience de ce qui est.

Et du fait que vous vous accrochez à ce souvenir, l'expérience vivante est niée. Le passé a une fin, et le vivant est éternel. Le souvenir de ce personnage vous enchante, vous inspire, vous donne un sentiment de libération ; c'est ce qui est mort qui donne vie au vivant. La plupart d'entre nous ignorent ce qu'est la vie car nous vivons avec les morts.

Puis-je vous faire remarquer que la crainte de perdre quelque chose de très précieux a commencé à se manifester en vous. La peur a pris possession de vous.

 Cette simple expérience a déjà donné naissance à plusieurs problèmes: la notion d'acquisition, la peur, le fardeau de l'expérience, et le vide de votre être propre. Si l'esprit pouvait se libérer de tout désir d'acquisition, l'expérience aurait un contenu tout différent, et la peur disparaîtrait totalement.

La peur n'est qu'une ombre et non une chose en soi.

— Je commence à comprendre comment j'ai procédé.

Je ne me cherche pas d'excuses, mais l'expérience était tellement intense que mon désir de la conserver lui était proportionnellement lié.

Qu'il est difficile de ne pas se laisser prendre au piège par une expérience émotionnelle profonde! Le souvenir de l'expérience est aussi puissant que l'expérience elle-même.

Il est très difficile de démêler ce qui appartient à la mémoire de ce qui est de l'ordre de l'expérience, n'est-ce pas?

A quel moment l'expérience devient-elle mémoire, la chose du passé? Où se situe cette subtile différence?

Est-ce une question de temps? Le temps est aboli par l'expérience. Toute expérience devient un mouvement tourné vers le passé, et le présent, l'état de l'expérience, se dirige imperceptiblement vers le passé.

Toute expérience, dans la seconde qui la suit, est devenue un souvenir, une chose du passé. Nous connaissons tous ce processus, et il semble inévitable. Mais l'est-il réellement?

— Je bois vos paroles avec délectation et je suis plus qu'heureux que vous parliez de cela, car j'ai conscience de n'être moi-même qu'une série de souvenirs, à tous les niveaux de mon être. Je suis mémoire. Est-il possible d'être, d'exister dans l'état de l'expérience, c'est en fait cette question que vous posez, n'est-ce pas?

Les mots ont pour chacun de nous un contenu subtil, et si nous pouvions dépasser ne serait-ce qu'un instant toutes ces références et les réactions qu'elles suscitent, nous parviendrions peut-être à la vérité. Pour la plupart d'entre nous, l'expérience rejoint toujours la mémoire. Pourquoi? N'est-ce pas la constante activité de l'esprit que d'absorber et de rejeter ou de nier?

Ne tient-il pas à conserver ce qui est agréable, moral, sensé Vous avez étudié le bouddhisme et selon vos propres termes, c'est la religion qui vous a le plus impressionné, ce qui veut dire que le processus de conditionnement était en place.

C'est peut-être ce conditionnement qui a projeté ce personnage, même si l'esprit conscient était occupé par quelque chose d'entièrement différent. En outre, votre esprit a été aiguisé et rendu sensible par votre genre de vie, et par la discussion que vous aviez avec vos amis, et peut-être que vous avez « vu » la pensée revêtue d'une forme bouddhiste comme un autre aurait pu la « voir » sous une forme chrétienne. Mais que cela ait ou non été une auto-projection n'est pas d'une importance capitale, ne pensez-vous pas?

— Peut-être que non, mais cela m'a permis de comprendre bien des choses.

Vraiment? Cela ne vous a pourtant pas révélé le fonctionnement de votre propre esprit, et vous êtes devenu prisonnier de cette expérience. Une expérience n'a de sens qu'à partir du moment où elle débouche sur la connaissance de soi, ce qui est le seul facteur d'intégration et de libération.

Et sans cette connaissance l'expérience est un poids mort qui engendre toutes sortes d'illusions.

- Jiddu Krishnamurti

Note 27 - Le but de la vie - Commentaire sur la vie tome 2

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