Ça semble être un trait commun que lorsque j’ai beaucoup d’argent je juge les autres. Quand j’en ai peu, je me juge. Nos finances sont une échelle de valorisation ou de dévalorisation de soi.

 
En France comme au Québec ce sont les agriculteurs qui remportent la palme du plus haut taux de suicide dans la société. Un agriculteur français à tous les deux jours. Un peu moins d’une centaine par année au Québec. Une industrie qui tire de la patte, blessée, démoralisée, abattue par des quotas, des lois désormais profitables uniquement aux multinationales. Le Codex Alimentarius va bon train. Il fait le boulot vingt-quatre heure sur vingt-quatre, sept jours semaine.

Incapables de rembourser leurs dettes, parce qu’ils ont voulu être concurrentiels, devenir plus gros que leurs voisins, faire plus d’argent, leurs illusions les ont pendus à l’étable de leur démesure. Des décennies d’investissement de soi, de notoriété familiale, d’héritage de plusieurs générations qui disparaissent avec l’agriculteur dans la tombe de la honte.
 
L’agriculture est un exemple frappant, mortellement frappant du rapport que nous entretenons avec l’argent. Nous avons acheté l’idée que celui-ci déterminait notre valeur humaine. Que ce que nous étions passait nécessairement par nos possessions et ce qu’elles rapportaient concrètement. Plus notre pouvoir d’achat, de consommation est grand, plus notre identification à la réussite sociale s’intensifie. Lorsque notre salaire, notre job nous permet de répondre à des besoins non essentiels, de bases – se nourrir, se loger, se vêtir, se déplacer – nous tombons dans une sorte de surinvestissement de soi.



Par fuite, par peur, par manque d’intérêt à sa propre vie, les loisirs, les divertissements augmentent en parallèle pour justifier de nouveaux besoins confondus comme nécessité au bonheur.  Des besoins qui combleraient le vide que nous ressentons en nous-mêmes. La nature n’a pas horreur du vide. Cet axiome que nous nous sermonons afin de s’autoriser des excès mais surtout d’éviter de regarder le vide en face, qui n’existe pas, parce qu’il y a toujours une dualité, une perception de soi et de non-soi, ce qui est autre et qui agit comme un miroir.
 
La scolarisation ne m’a pas appris à être ce que je suis réellement. J’y ai plutôt fait l’expérience de la compétition, de l’intimidation, du classement par âge au lieu de la compréhension, de l’intérêt porté sur les matières ou les aptitudes de chacun.e.s, du marchandage, du louvoiement, du mensonge, de la tromperie, de l’hypocrisie, du faire semblant pour être apprécié, accepté, du jugement selon nos conditions économiques respectives. Classes moyennes et pauvres à l’école publique. Aisées et riches, au privée ou en privée. Une hiérarchie déterminante, endiguée dans le faux mais raisonnable destin des sociétés qui s’auto-manipulent, s’auto-digèrent en créant des enfants, des consommateurs qui s’entredévoreront sous prétexte d’évolution et de croissance économique. Exit la croissance personnelle.



Bonjour les excroissances et décroissances personnelles. Nous devons nous confiner à une seule pensée, une seule idéologie qui serait celle d’être ce que nous possédons. Plus nous aurions plus nous serions. Enlevez ses possessions à quelqu’un c’est faire en sorte qu’il perde ce à quoi il s’était identifié, sa raison de vivre. Il le prendra comme une amputation de lui-même, le ressentira et le vivra comme un handicap, une faille dans lui-même. Comment se fait-il que nous ne sommes pas à la hauteur de nos espérances?
 
Qu’est-ce que je ne comprends pas ou ne sais pas mettre en œuvre pour être riche? Qu’est-ce qui cloche chez moi pour vivre avec si peu de moyens? Pourquoi les autres ont-ils autant d’argent, alors qu’ils apparaissent comme de purs imbéciles, sans mérite? Toutes ces vedettes de la télé, de la radio, du monde du cinéma qui ne sont que des perroquets de l’inutile, du vent, de l’opinion du surface pour la masse, et qui pourtant ont le bonheur et l’honneur de ne manquer de rien vu leur richesse? Les classes moyenne et le pauvre se disent qu’ils feraient mieux, que leurs choix de vie seraient certes incomparables avec ces personnages publics qu’ils méprisent et jalousent à la fois.



Ils sont aussi attirants comme modèles à suivre que répugnants au point de vouloir faire tout le contraire. Le mental jubile. Il invente des scénarios, se les fait jouer, y croit et en demeure prisonnier, enfermer dans le jugement, sa seule réalité dans les circonstances. Il est bon joueur malgré tout, donnant la chance au coureur. Ainsi il ne se contente pas de juger autrui. Il se donne également une leçon. Un artiste dans l’art de se culpabiliser et de se dévaloriser dans la comparaison. Dans les deux cas il est le seul gagnant. Il se fout que quelqu’un détruise une autre personne ou se détruise elle-même. Tant qu’il s’en nourrit, il ne craint pas pour sa survie.

Alors oui, quand j’avais beaucoup d’argent, beaucoup étant relatif dans le rapport que j’avais eu ou voulais avoir, je jugeais les personnes aux soucis financiers. Je me targuais de comprendre les mécanismes de l’abondance, de la réussite, de cette idée fausse de la liberté. On pouvait me juger sur ce que je faisais, sur ce que j’achetais, tout et n’importe quoi, importation massive, les grandes surfaces qui tuent l’économie locale, vident le pays de son argent, perte d’emplois massive, encourage l’investissement dans la Bourse qui elle oblige les entreprises à maintenir un rendement de 25% pour demeurer en place et donc de couper dans la qualité et la quantité des produits, bref, tant que de mon côté j’avais les moyens de m’offrir du surplus à volonté, les jugements ne m’atteignaient pas.



Un bon bas de laine bien garni excluait toutes sentences à mon endroit. L’argent comme refuge, comme protection des qu’en dira-t-on. Pourquoi m’en soucier d’ailleurs? Les autres n’avaient qu’à faire comme moi, se démerder. Je me demandais pourquoi refusaient-ils de s’intégrer à la loi du marché, celle de la concurrence ouverte à tout un chacun? Était-ce la peur de posséder une grosse somme d’argent? Craignaient-ils de révéler au monde ce que la pauvreté cachait mais que leur richesse mettrait au grand jour?
 
Alors oui, quand j’ai eu moins d’argent, moins étant relatif dans le rapport que j’avais eu ou voulait avoir, je me jugeai solidement. Qu’est-ce que je suis dans cette société si je n’arrive pas à me distinguer par mes acquis matériels? Quelle valeur ai-je aux yeux des autres, aux miens? Que puis-je offrir en retour à ces gens que je côtoie, que j’apprécie, à ces inconnu.e.s que je n’ose rencontrer par absence de moyen financier? Mon regard sur moi-même en prend un coup. Moi qui me percevait comme un être ouvert, sensible, à l’écoute, sociable, me voilà renfermé, honteux d’une situation personnelle.



Car c’est de cela qu’il s’agit, le regard sur soi. Une expérience individuelle établit dans une comparaison d’un système qui valorise une voie unique. Or, cette voie qui se veut seule et vraie ne convient pas à l’ensemble de l’humanité. Le modèle de la réussite sociale par l’enrichissement d’une tradition monétaire universelle coupe les ailes de millions de personnes pour les maintenir dans le semblable, la nomenclature du pareil au même. La valeur d’une chose ou d’une personne est une perception propre à chacun.e. Nous l’avons généralisé par la pauvreté versus la richesse et/ou l’inverse. Et je n’y échappe pas. Pas encore.
 
Au-delà de la richesse et de ce qu’elle permet de posséder, c’est le pouvoir qui est recherché. Le pouvoir sur les autres. La/le riche en impose, achète qui il veut par l’intermédiaire des emplois qu’elle/il offre dans ses compagnies. La pauvreté se transige à très bas prix. L’argent mène le monde et la sexualité mène l’argent. Les hommes en consomment jusqu’à la faillite. Les femmes indépendantes financièrement se libèrent de cette obligation. Ne pas avoir d’extra financier c’est s’offrir, quand on en est conscient, une vulnérabilité payante sur un plateau d’argent. C’est de repenser les priorités, c’est de se détacher d’une image de soi qui n’a jamais collée à la réalité de notre espèce.



L’argent reflète cette énergie d’échange, de partage que j’ai avec moi-même et les autres. Veux-je être riche au détriment de mes semblables, me retrouver dans un cercle fermé avec d’autres riches recherchant le pouvoir sur autrui? Avoir de beaucoup d’argent n’a rien de mal en soi. En avoir peu fait mal en soi. J’ai beau dire que l’abondance est avant tout en soi, une question d’attitude mais cela ne m’apportera pas automatiquement du pain sur la table. Qu’importe ce que j’ai ou n’ait pas. Ce que j’ai c’est ce dont j’ai besoin. Ce que je n’ai pas, je n’en ai pas besoin, autrement je l’aurais. La richesse réside dans l’attitude face à sa création du moment. L’argent est un écran de fumée qui se présente ou s’absente au moment opportun.

La vie ne tient pas sur un porte monnaie.

Merci à Annie Tremblay, directrice Web, correction, images.

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Commentaire de Liouba le 31 octobre 2015 à 21:21

Heureusement que nous sommes nombreux à ne pas suivre cette échelle de valeur, voire à en prendre le contre-pied.

Luttons donc contre cet énième formatage.

Commentaire de Romane le 31 octobre 2015 à 19:42

  Nos finances sont une échelle de valorisation ou de dévalorisation de soi.>>  Une absurdité totale en ce qui me concerne ... mais je l'ai consulté avec intérêt . Merci .

 

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