"Du sens de l'art" extrait du Livre de Thé d'OKAKURA KAKUZO

Un moment de bien être pour Frédéric et Damien et pour tous ceux et celles qui aiment les contes. Aujourd'hui je vous en présente venu du taoïsme "La Harpe apprivoisée".
Dans le ravin de Lungmen se dressait autrefois, il y a très, très longtemps, un arbre Kiri qui était le véritable roi de la forêt. Il portait si haut la tête qu'il pouvait converser avec les étoiles et ses racines s'enfoncaient si profondément dans la terre qu'elles mêlaient leurs anneaux de bronze à ceux du dragon d'argent qui dormait au-dessous de lui. Et il arriva qu'un puissant magicien fit de cet arbre une harpe merveilleuse, dont le farouche esprit ne pourrait être apprivoisé que par le plus grand des musiciens. Durant longtemps l'instrument fit partie du trésor de l'empereur de Chine, mais aucun de ceux qui, tour à tour, avaient essayé de tirer de ses cordes une mélodie ne vit sa tentative couronnée de succès. En réponse à leurs efforts suprêmes il ne sortait de la harpe que de dures notes de dédain, peu en harmonie avec les chants qu'ils désiraient chanter. La harpe se refusait à reconnaître son maître.
Enfin vient Peiwoh, le prince des harpistes. D'une main délicate il caressa la harpe, comme lorsque l'on cherche à calmer un cheval rétif, et se mit à toucher doucement les cordes. Il chanta la nature et les saisons, les hautes montagnes et les eaux courantes ; et tous les souvenirs de l'arbre se réveillèrent ! De nouveau la douce brise du printemps se joua à travers les branches. Les jeunes cataractes, en dansant dans le ravin, souriaient aux fleurs en bouton. De nouveau l'on entendit les voix rêveuses de l'été avec leurs myriades d'insectes, et le joli battement de la pluie, et la plainte du coucou. Ecoutez ! un tigre a rugi et l'écho de la vallée lui répond. C'est l'automne ; dans la nuit déserte, tranchante comme une épée, la lune étincelle sur l'herbe gelée. L'hiver maintenant, règne et à travers l'air plein de neige tourbillonnent des vols de cygnes, et des grêlons sonores frappent les branches avec une joie sauvage.
Puis Peiwoh changea de ton et chanta l'amour. La forêt s'inclina comme un ardent jeune homme perdu dans ses pensées. Là-haut, pareil à une altière jeune fille, volait un beau nuage éclatant ; mais son passage traînait sur le sol de longues ombres, noires comme le désespoir. Le ton changea encore ; Peiwoh chanta la guerre, les épées qui s'entre-choquent et les chevaux qui piaffent. Et dans la harpe se leva la tempête de Lungmen ; le dragon chevauchait l'éclair, l'avalanche s'écroulait à travers les collines avec un bruit de tonnerre. Le monarque Céleste, extasié, demanda à Peiwoh quel était le secret de sa victoire. " Sire, répondit-il, ils ont tous échoué, parce qu'ils ne chantaient qu'eux-mêmes. J'ai laissé la harpe choisir son thème, et en vérité je ne savais pas si c'était la harpe qui était Peiwoh ou Peiwoh qui était la harpe. "
Ce conte montre combien le sens de l'art est chose mystérieuse. Un chef-d'oeuvre est une symphonie jouée avec nos sentiments les plus raffinés. L'art vrai, c'est Peiwoh et nous sommes la harpe de Lungmen. Au contact magique du beau, les cordes secrètes de notre être se réveillent ; en réponse à son appel, nous vibrons et nous tressaillons. L'esprit parle à l'esprit. Nous entendons ce qui n'a pas été dit, nous contemplons l'invisible. Le maître fait jaillir des notes, nous ne savons d'où. Des souvenirs, depuis longtemps oubliés, nous reviennent chargés d'un sens nouveau. Des espoirs étouffés par la crainte, des élans de tendresse que nous n'osons pas reconnaître s'offrent à nous, parés d'une splendeur nouvelle. Notre esprit est la toile sur laquelle l'artiste pose ses couleurs ; les teintes sont nos émotions et le clair-obscur est fait de la lumière de nos joies et de l'ombre de nos tristesses. Le chef-d'oeuvre est en nous et nous sommes dans le chef-d'oeuvre.
"Extrait du chapitre Du sens de l'art d'OKAKURA KAKUZO. L'auteur du Livre du thé est né en 1862 et mort en 1913. Japonais d'origine, d'éducation, de culture, défenser ardent des traditions et des moeurs qui ont-fait durant des siècles, la force de la civilisation japonaise, ses ouvrages, les Idéaux de l'Orient (1903), le Réveil du Japon (1905), ont été, comme le Livre du thé (1906), écrits et publiés en anglais.

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Commentaire de Michele le 19 Juillet 2009 à 11:09
Tout comme un chef-d'oeuvre, la vie est une symphonie jouée avec nos sentiments les plus raffinés. La vie est un art! Merci , j'adore ce conte. C'est le raffinement, la subtilité, la délicatesse de la pensée Taoiste. The must!!! Merci pour ce partage

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