De l'amour anthropophage à l'Agapè... (3) Jean Yves Leloup

 

Eros est également magnifique. N'est-ce pas magnifique de se sentir des ailes dans le corps ? Dans ce cas-là nos mains, au lieu d'être des griffes, ont presque des ailes. Le plaisir devient beaucoup plus grand que dans la simple consommation qu'est la Pornéïa.

Puis, si ce désir s'inscrit au cœur d'une amitié, dans la Philia, quel plaisir ! Ce sont là non seulement deux corps qui se touchent, mais deux âmes qui s'étreignent, qui se rencontrent. Nietzsche disait:     « Dans le véritable amour ce sont les âmes qui enveloppent les corps. »

Nous le ressentons dans une amitié entre deux êtres, une amitié amoureuse, une amitié érotique: il y a étreinte des corps, mais aussi étreinte des âmes. Nous pouvons même aller plus loin... Nous serons alors dans l'amour divin, où ce ne sont plus simplement les âmes qui s'étreignent mais les dieux qui s'étreignent ! C'est le divin qui rencontre le divin dans l'autre... À ce moment-là, on ne sent rien ! C'est cela qui est difficile... Dans la Pornéïa, on sent quelque chose: de la décharge, de la pulsion. Dans l'Eros, c'est encore mieux: c'est du plaisir et la jouissance est plus subtile. Dans la Philia, c'est presque sublime: nous touchons parfois le sublime. Mais dans l'Agapè... ?!

Il me semble que nous sommes appelés à cette divinisation. Mettre de l'Agapè dans l'enfant qui est en nous, qui veut consommer l'autre. Ne plus avoir peur de la pulsion, mais y mettre de l'Agapè. Mettre de l'Agapè dans l'Eros, mettre de l'Agapè dans la Philia... Et là, connaître l'amour gratuit !


C'est une bénédiction, nous bénissons Dieu. Nous l'accueillons dans notre étreinte, nous l'accueillons dans le don qu'il nous fait de nous aimer. À cet instant, nous recevons l'amour de l'autre comme un don que Dieu nous fait pour l'aimer. Nous aimons l'autre avec l'Amour que Dieu nous donne pour l'aimer...C'est Divin !

Mais quelle difficile intégration, que l'intégration de l'enfant en nous qui mange, qui consomme; et de celui qui donne, qui s'abandonne !

Je pense à une amoureuse comme Thérèse d'Avila. Dans certaines de ses confidences, elle dit que dans ses moments d'extases: « elle mouillait sa petite culotte » !

Bon, ça choque de dire cela... Mais c'est le rappel que l'Etre qu'elle aimait, elle ne l'aimait pas d'une façon abstraite, elle l'aimait de tout son être. Le côté Pornéïa était lui aussi comblé, respecté. Dieu la faisait jouir à ce niveau de son être. Elle jouissait aussi dans son âme, dans son psychisme. Dieu n'excitait pas seulement son Noûs, son intelligence...

En revanche, chez Maxime le Confesseur, nous sentons que ses érections sont très cérébrales ! Mais il est possible d'être pornographe avec sa tête...

Il faudrait arriver à dire les choses clairement ! L'Agapè, c'est ce qui va permettre une sorte de « lâcher prise ». Que ce soit dans le corps, dans le cœur ou dans la tête. Il y a des personnes qui veulent « comprendre » Dieu, le saisir, l'avoir. C'est de la magie...

Il y a des pornographes au niveau du cœur: ils veulent « avoir » des émotions, des sentiments. Il y a une certaine forme de romantisme pornographique, c'est la pornographie du cœur ! Nous nous faisons des mises en scènes émotives, affectives, etc. Mais là aussi nous consommons, nous en faisons de l'avoir !


Mettre de l'Agapè dans tout cela, c'est justement permettre que quelque chose se détende dans le corps (et c'est mieux que de retenir son souffle !), permettre que quelque chose se détende dans le cœur (et c'est mieux que l amour romantique), permettre que quelque chose se détende dans la tête (et c'est mieux que le savoir !).

N'avez-vous pas l'impression que vous risquez de beaucoup choquer avec une théorie comme celle-ci ?

C'est possible. Mais je dis ce que je vis et ce que je pense ! Pour moi, il y a des intellectuels qui font de la pornographie ! Il y a une façon d'être scientifique qui est pornographe...

En fait, ce que je dis, c'est l'expérience de la chasteté. La chasteté, c'est faire l'amour avec une femme sans vouloir la « prendre », sans l'avoir, sans la consommer. C'est la respecter dans son corps, dans tout son être... Et ce n'est pas facile !

Cela demande beaucoup d'écoute, à la fois de l'autre et de soi-même. Parce qu'il s'agit aussi d'être chaste avec soi-même, de respecter son désir ou son non-désir, de ne pas se mentir ni mentir à l'autre. La chasteté du cœur, c'est ne pas faire de chantage, ne pas manipuler l'autre, l'aimer même s'il ne vous aime pas. Il existe des façons d'aimer très affectives, très généreuses, qui cachent une voracité à peine croyable ! Pourtant, la personne se croit vraiment très généreuse: « Je lui ai tout donné ! Je lui ai donné ma vie, mon corps, mon cœur! »


Mais en réalité, que lui a-t-elle de donné ? Je lui ai donné quelque chose qu'il n'a pas reçu, qu'il ne voulait pas...


Connaissez-vous l'histoire de cette personne qui aimait beaucoup son lapin ? Tous les jours, elle lui prépare un magnifique steak, et lui offre ce magnifique steak cuit à point ! Mais le lapin, lui, n'a rien reçu... Puis cette même personne eut un lion. C'était son lion chéri, adoré. Elle lui préparait donc les meilleures soupes de légumes, les meilleurs fruits de son verger. Chaque jour, un grand cageot de légumes frais ! Elle lui avait tout donné... Mais le lion n'avait rien reçu !

C'est idiot, mais dans nos vies, c'est ça !

 C'est l'exemple type du malentendu ?

Eh... oui. Mais nos amours ne sont que cela. Nous avons l'impression de beaucoup donner à l'autre et finalement nous ne lui donnons rien.

En fait, nous ne lui donnons que ce que nous aimerions recevoir... C'est une conception très égocentrique du bonheur de l'autre ?

Exactement. Ce que nous appelons bien pour nous, nous l'appelons bien pour l'autre, et nous voulons lui imposer notre bien ! Il y a tant de personnes qui croient donner, avec tellement d'amour. Elles sont sincères, mais elles n'ont rien donné, parce que ce n'était pas ce que l'autre pouvait manger, recevoir, digérer ! « Je t'ai donné ce que j'avais de meilleur... » Oui, mais ce qui est le meilleur pour toi, n'est pas le meilleur pour moi. Il ne suffit pas d'aimer.

L'amour sans l'intelligence nous rend malheureux.

Visites : 444

Commentaires bienvenus

Pour ajouter un commentaire, vous devez être membre de ‘épanews’.

Rejoindre épanews (c'est gratuit)

Communauté

Rejoignez notre communauté pour partager textes, photos et vidéos sur le thème du développement personnel.

À découvrir

Stages, formations, etc.

Annonces gratuites

© 2024   ↑ Menu | Créé par l'association épanews    

Liens  |  Signaler un problème  |  Conditions d'utilisation