A chacun son bonheur: devenu millionnaire, il renonce à sa fortune.

Karl Rabeder, millionnaire autrichien, a décidé que l'argent ne faisait pas son bonheur; il a renoncé à sa fortune pour aider les autres et se libérer. 


Photo: © Mirco Tallercio/Laif/Redux

“Nous passons notre temps 
à préparer l’avenir sans prendre 
la peine de vivre le présent.”
Dans les montagnes du Tyrol autrichien égayées par le chant des oiseaux, un homme entre deux âges saute sur la pointe des pieds. “C’est difficile, dit-il, d’exprimer ce sentiment de liberté, de légèreté absolue".

Karl Rabeder se sentira bientôt encore plus léger de quelques millions de dollars : après avoir fait fortune dans le commerce des objets pour la maison, il a récemment fait la une de la presse internationale en annonçant qu’il allait vendre tous ses biens pour venir en aide aux pauvres d’Amérique latine et d’Amérique centrale. Son somptueux mas de Provence a déjà été mis aux enchères, de même que sa société, ses voitures de luxe et sa flotte de planeurs. Il ne lui reste plus que sa maison, dans la petite ville de Telfs, où il vit depuis treize ans — un chalet évalué à environ 1,1million d’euros avec sauna, vue sur les montagnes et le lac —, nichée au creux d’une boucle de la rivière près d’Innsbruck. Sous peu, Karl Rabeder remettra les clés de cette demeure tyrolienne à l’heureux gagnant d’une loterie européenne pour s’installer dans une maisonnette en bois. Il ne se tient plus d’impatience, car, pour lui, passer du luxe au dépouillement est un processus bien plus enrichissant que l’inverse. «L’argent ne fait pas le bonheur, affirme Karl Rabeder, physique d’intello avec lunettes à monture métallique et chemise à carreaux. Pendant vingt-cinq ans, j’ai travaillé d’arrache-pied pour des choses dont je n’avais ni besoin ni envie.
Aujourd’hui, j’aspire au dépouillement.»
 
 
Élevé dans la banlieue industrielle de Linz, en Autriche, le jeune Karl s’était fixé un but : faire fortune.
 
Chez lui, Karl Rabeder travaille dans un bureau tout blanc à l’atmosphère sereine, devant un ordinateur dont la messagerie sonne sans arrêt. Peu de signes extérieurs de richesse, même si de beaux meubles en bois révèlent l’homme de goût. Il établit le bilan d’une vie de travail, sans fierté aucune d’en être arrivé là. Pour sa nouvelle vie dans les montagnes, il a mis de côté des vêtements de rechange, deux cartons de livres et un ordinateur portable. Il a prévu 888 euros par mois, persuadé qu’il n’en dépensera même pas la moitié. Élevé dans la banlieue industrielle de Linz, en Autriche, le jeune Karl s’était fixé un but : faire fortune. «Je suis issu d’un milieu très modeste. Je n’ai jamais connu mon père. Disons qu’entre l’alcool et sa famille, il a choisi. Je vivais avec ma mère, chez mes grands-parents. Ma grand-mère était une gestionnaire hors pair, convaincue que la valeur d’une personne se juge à ses économies. Enfant, je revendais les légumes du petit jardin maraîcher familial et je me débrouillais très bien. Adolescent, j’ai travaillé pour financer mes études de mathématiques, physiques et chimie. Très vite, j’ai volé de mes propres ailes. J’ai commencé par vendre les fleurs du jardin. Avant la fin de mes études, mon affaire de décoration d’intérieur et objets pour la maison était si florissante que je ne voyais plus l’intérêt de viser autre chose. Dans un premier temps, j’étais content d’avoir de l’argent, même si je ne pouvais pas m’empêcher de songer parfois : “Fabriquer des objets dont nul n’a vraiment besoin est-il un but en soi ? A chaque fois, la réponse était non.”»
 
Au fil des années, il se sent de plus en plus étranger à l’univers des grandes entreprises et de la société de consommation : «On nous dit d’acheter pour notre bien-être. Mais cela ne nous rend pas heureux, alors nous achetons encore plus. Et comme nous ne sommes toujours pas heureux, nous devenons de plus en plus manipulables. Nous avançons comme des moutons, un chien à gauche, un chien à droite — l’un brandit la menace de la crise financière et du chômage, tandis que l’autre aboie qu’il nous faut des assurances hors de prix au cas où. Nous passons notre temps à préparer l’avenir sans vivre le présent. Je sais de quoi je parle, affirme Karl Rabeder. J’ai vécu ainsi pendant vingt-cinq ans, toujours plus riche et toujours plus malheureux.»
Un mal-être qui atteint son paroxysme en 1998, lors de vacances passées à Hawaii avec Irène, son épouse. «Nous avions prévu un séjour de rêve, dans un palace, se souvient-il. En trois semaines, nous n’avons pas rencontré une seule personne sincère, mais des acteurs. Les employés jouaient à être gentils et serviables, et les clients à se rengorger de leur pseudo-importance. De retour en Autriche, nous sommes partis en randonnée en montagne. Dans un refuge, une serveuse a renversé la moitié de nos boissons sur nos genoux. Nous étions ravis. Enfin de retour dans la réalité !»  Karl Rabeder était prêt à abandonner son mode vie quand, en 2003, sa femme l’a quitté. Il a accusé le coup, puis il s’en est remis. Aujourd’hui, il voit l’aspect positif de cette séparation : «Elle a rencontré un autre homme. C’est la meilleure chose qui pouvait m’arriver. Nous étions enlisés dans une relation que j’aurais qualifiée d’acceptable, sans plus.»
 
Ce choc a accéléré sa transition.
 
«Notre rupture m’a appris à être plus attentif à l’instant présent», explique-t-il. Entraîneur de l’équipe d’Autriche de planeurs, il avait effectué plusieurs voyages en Amérique du Sud. Et il s’est aperçu que, dans les pays moins développés, la vie semble moins vide de sens. «A chaque fois que je revenais de mes voyages, quand je voyais les visages fermés des gens, à l’aéroport de Francfort, je me demandais quelle catastrophe venait de les frapper. Mais cette angoisse sur les visages est la norme dans les pays développés. Dans le tiers-monde, j’ai rencontré des personnes à qui la vie n’avait pas donné le choix, mais qui vivaient cependant dans l’instant. Alors je me suis demandé si j’avais vraiment besoin d’un chalet, d’un mas en Provence, de belles voitures, de planeurs ou de dîners hors de prix. Puis j’ai commencé à tisser des liens avec d’autres personnes.»
 
Lors de l’un de ses voyages, Karl Rabeder s’est lié d’amitié avec un menuisier : «Il avait un grand sens artistique et des idées, mais il avait besoin d’une scie spéciale. Or, sans garantie, la banque lui refusait un prêt. Je lui ai avancé 300 dollars. Nous n’avions pas fixé de date pour le remboursement, mais, l’année suivante, il m’attendait à l’aéroport et m’a remboursé. Aujourd’hui, il a une petite entreprise artisanale qui lui permet de nourrir ses enfants et de cultiver sa fibre artistique. C’était si simple !» Cette expérience a été le déclic qui l’a décidé à fonder une société de microcrédit. Depuis 1994, il a monté plusieurs projets philanthropiques en Amérique centrale et en Amérique latine. La School Bakery, par exemple, dans les faubourgs de Lima, au Pérou, fonctionne à plein régime. «La boulangerie fabrique du pain enrichi en vitamines et minéraux pour les gamins démunis, mais les enfants peuvent aussi y apprendre le métier.»
 
Les gens simples vivent heureux
 
Il y a deux ans, Karl Rabeder et l’économiste Wolfgang Mauer ont créé mymicrocredit.org une ONG en ligne qui propose aux micro-investisseurs des projets dans les pays en voie de développement. La vente de sa maison par tirage au sort, à raison de 99 euros le bon de participation, était conçue comme une opération publicitaire pour mymicrocredit.org. «Si j’avais vendu via les circuits classiques, j’aurais eu une dizaine de visiteurs qui, peut-être, se seraient intéressés à mes activités. Avec mes 21999 bons, j’en ai touché bien plus.» Autrement plus satisfaisant que la comptabilité d’une entreprise d’objets pour la maison ! Et c’est contagieux. Sa philosophie, «perdez une fortune, gagnez une vie», lui a déjà valu un contrat avec un éditeur allemand, et ses stages de développement personnel font un tabac en Europe. «Les gens simples vivent heureux, selon un dicton allemand, explique Karl Rabeder. Ce n’est peut-être pas toujours vrai, mais c’est éloquent : lorsqu’on a le choix, il faut trancher entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Entre l’âge de 15 ans et 40 ans, je ne me posais pas la question, je me demandais juste ce qui était possible.» Maintenant que son existence est au diapason de ses valeurs, pense-t-il changer le monde ? Le gourou en herbe hésite, lève le menton d’un air incertain : «Tout le potentiel est là», dit-il en posant la main sur son cœur.

 

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